jeudi 30 mars 2017

En attendant Godot: contexte



Beckett écrit  En attendant Godot en 1948. Une date importante de notre histoire contemporaine, qui impose d’emblée une certaine grille de lecture, orientée, connotée.
L’après-guerre fait naître un nouveau mental, qui a besoin d’une « aventure théâtrale » pour se concrétiser. Au lendemain de la guerre « Le théâtre n’en finit pas d’exorciser ses fantômes » (s. Beckett).
il met en scène l’inhumanité de l’humanité. Une remise en question et de
nouvelles perspectives s’imposent.
Les années 1950 se partagent en trois écoles du théâtre, différentes dans leur dramaturgie et leur idéologie : le théâtre épique de Brecht, le théâtre politique de Camus et de Sartre, et enfin le théâtre de Beckett, Ionesco et Adamov, réunis sous l’étendard du « théâtre de l’absurde ».
Ce théâtre prend acte des horreurs de la seconde guerre mondiale, à savoir : Auschwitz et Hiroshima, deux grands chocs dans l’histoire de la pensée. L’humanité se trouve confrontée à l’impensable : L’Allemagne, pourtant nation des meilleurs esprits de l’époque, patrie de Goethe,Nietzsche et Bach, a « fécondé la bête immonde » dont parlait Brecht quelques années auparavant.
il va falloir penser la juxtaposition de la culture et de la barbarie. Le bien
et le beau ne se confondent pas forcément. De même, le progrès n’est pas nécessairement au service du bien : la certitude que la science mènerait au progrès de l’humanité, est une idée des 18 et 19èmesiècles. La machine devait servir à libérer l’homme, à créer et non à détruire.
Or, dans les années 1950, c’est l’effondrement de tout ce qui organisait l’idée de progrès. Cette idée que là où allait l’humanité était intelligible, que l’Histoire avait un sens (grands récits marxistes).
En 1945-1946, on s’aperçoit que l’histoire n’a aucun sens ! s’il y en avait eu un, elle ne se serait pas confrontée à l’extermination d’une partie de l’humanité par une autre.
L’idée que demain sera mieux qu’hier est une idée du 19ème siècle, ce n’est plus une idée des années 1950. sur le plan philosophique, c’est une véritable cassure de la pensée humaine, qui renaîtra plus tard dans le réconfort de la psychanalyse: nous avons un inconscient, nous sommes,au final, des énigmes à nous-mêmes. au 19ème siècle, les poètes de la « négation » (Sade, Rimbaud, Lautréamont) avaient rêvé la destruction du monde. Des mots arrivaient alors à dire l’insupportable, la haine de l’être humain, l’avilissement le plus parfait. et voilà qu’en 1939, ce qui était fantasme devient réalité.
C’est dans cet horizon là qu’il faut lire (et voir) Beckett : quelque chose est atteint dans l’espoir, on ne peut même plus rêver la destruction du monde : elle est maintenant concrète. Ce que Beckett raconte, c’est qu’il n’y a plus grand chose à raconter. et ainsi, surtout, faire attention à ne pas trop « signifier »* ! Si signifier donne du sens, ouvre sur un horizon d’espérance,alors il est vain de chercher encore à signifier.
D’un point de vue purement dramaturgique, on note la profusion de didascalies dans le texte, qui marque en réalité la contrainte absolue des choses.

Le point de vue développé si dessus est l'une des approches possible du texte de Beckett mais pas le seul.( Cf Alain Badiou)