jeudi 25 janvier 2018

Britannicus: Journal de Création de Martinelli

Lien vers les videos que j'ai commencé à vous montrer ce matin

Commentaire de la scénographie de Martinelli dont je vous ai montré le schéma ce matin:
voir le document avec photos de plateau


SCÉNOGRAPHIE : de « dans une chambre du palais de Néron» à un atrium tragique...

Les spectateurs découvrent un espace scénique épuré, qui renvoie à l’esthétique du plateau nu. Plutôt qu’une antichambre (rappeler la didascalie « dans une chambre du palais de Néron »), cet espace se réfère à l’atrium9
, avec sa fontaine centrale : sorte de cour intérieure, à ciel ouvert, qui, dans les maisons latines, ouvrait sur les pièces
de la maison. L’espace renvoie donc à la méditerranée, sur les murs bleu gris semble se refléter le ciel (mais plutôt comme dans une caverne de Platon...). On ne semble ne s’échapper que par le haut, ce ciel qui figure le divin. Celui-ci s’exprime à la fois dans le tragique destin déjà écrit, déjà connu (tragique antique) et dans le jugement divin que l’on craint au XVIIèmesiècle. Quant aux cieux bien sombres : sont-ce ceux du XXIèmee siècle ?

1/ En quoi consiste le dispositif scénique ? [Questions de relance : Où mène la porte principale ? Quel matériau la constitue ? Quelle remarque cela appelle? Qui franchit ce « passage» ? Pourquoi peut-on parler
de double « porte », de passage principal ? Quels autres « passages » y-a-t-il ? Qui les utilise ? Quels espaces extérieurs sont mentionnés ? Que s’y passe-t-il ? ]
Ce n’est pas dans cet espace que se réalise la tragédie ; il s’agit de représenter un espace de conflits et un espace de confidences, un espace de huis clos. C’est un lieu de passage qui mène vers d’autres lieux, d’autres pièces du palais (chambre de Néron, appartement d’Octavie, de Pallas) : c’est donc un lieu ouvert mais un lieu de pouvoir qui dégage une impression d’étouffement : les personnages sont arrêtés sur scène.
L’espace est sombre : boite semi-circulaire noire avec des murs comme des bandes sombres, alternant avec des sorties-coulisses noires qui forment un demi-cercle ; un mur de briques, en fond de scène, l’ « accès contourné» remplace la porte de Néron.
Au centre, un plateau de bois (matériau noble et chaud) tournant est inséré dans un sol béton bleuté (reflet des cieux ?).
Cet espace mène aux appartements de Néron ? L’accès est figuré par un mur de briques (appareil architectural de base à Rome). Le mur de briques, infranchissable, symbolise l’impasse dans laquelle se trouvent les personnages (Néron compris). La porte est un mur, la situation tragique sans issue est représentée d’emblée.

Ce passage est agrémenté d’un rideau rouge, avec lequel joue Néron. Cet élément scénique renvoie au rideau de scène.
J.L Martinelli nous présente le spectacle de la politique. Néron est comédien quand il surprend Junie (le rideau devient alors presque accessoire de drame romantique, Néron prend la pose du jeune amoureux à la manière d’un Célio), scène 3 acte II mais aussi, quand il feint de se réconcilier avec sa mère dans la scène 2 de l’acte IV ; Néron est metteur en scène quand il donne ses indications à Junie dans la scène 3 de l’acte II et qu’il suit l’action en témoin caché dans les « coulisses » à la scène 6 de l’acte II.
Le mur en fond de scène signale également qu’il n’y a pas d’ailleurs possible que la scène.
La chambre de Néron, comme murée, focalise l’attention : Burrhus et Narcisse, avec Néron, sont les seuls à entrer et sortir par cette entrée détournée, cette entrée en «trompe l’œil», cette entrée sans issue. C’est un signe de pouvoir, de proximité du pouvoir, d’une certaine intimité avec l’empereur. Mais le mur signale que l’influence du conseiller sera bientôt sans effet.
Les autres entrent et sortent par les sorties coulisses (entrées dérobées, à peine visibles), symbole de leur destin funeste ou leur influence limitée.
L’espace du plateau central se présente comme un piège : il est piste, arène, cible, piège, toile, roue de la fortune...Il rappelle le jeu, souligne le « théâtre dans le théâtre ».
Au centre l’impluvium, qui est miroir durant l’action, semble recueillir, avant même le début de la tragédie, les larmes que vont faire verser cette tragédie. Elle permet à Junie de laisser une trace «concrète» sur le plateau.
Le plateau de bois devient « manège», «rouage» à l’acte 4 : d’abord lieu de joutes, d’affrontements et de retrouvailles, il symbolise alors plutôt le petit jeu de la politique et de la manipulation. Agrippine croit manipuler Néron ; Néron mène le jeu, il est le metteur en scène de cette pantomime.
Burrhus est un « pantin» face à un Narcisse machiavélique : la roue tourne.
Avec ce plateau tournant, les coulisses du palais deviennent lieu d’intranquillité.

3/ Comment le dispositif rend-il à la fois compte de l’enfermement et de l’expression du pouvoir ?
[Relance : quand sont-ils dans le cercle, hors du cercle ?]
La scène, atrium, donc lieu ouvert, devient un lieu fermé, une prison dont on ne peut sortir, où on est menacé, maltraité, épié par le tyran. L’espace scénique montre moins le territoire de Néron qu’un territoire de jeu : scène dans la scène ; théâtre dans le théâtre. Néron y amène de force Junie, s’y mesure avec Britannicus ; s’y dispute avec Agrippine, et celle-ci y affronte Burrhus...
C’est un « jeu » de pouvoir, de séduction et de dérobade – de retournements - sans fin qui se déroule sous les yeux du spectateur, médusé.
Sortir du plateau central c’est échapper à la tension, au rapport de forces : c’est autour du cercle que les accords, les conciliations se tentent. Mais sortir de scène par les entrées coulisses c’est risquer la mort. La mort, c’est hors scène.

Quelle époque le fauteuil fait-il référence ? Qui s’y assoient ? Pour quelles raisons ? Interprétez alors ses différentes fonctions.
Un seul fauteuil à haut dossier traîne sur scène, souvent déménagé : par son haut dossier il est de style Louis XIV mais la sobriété de ses formes évoque également Louis XIII. Il est la métaphore du pouvoir et de la transmission de celui-ci : Agrippine s’y assoit encore, Néron finit par lui donner sa place de trône...
Néron semble «l’essayer», le déplace, y hésite, y écoute les leçons de son maître Narcisse. N’empêche, c’est là qu’il a laissé négligemment la veille son manteau d’Empereur. Il le conquiert le temps de cette tragédie. D’abord placé de côté comme un siège pour écouter la leçon, il domine l’espace scénique, au centre mais vide. Le pouvoir qu’il représente n’est pas le bon.