jeudi 31 janvier 2019

Deux interprétations universitaires de Britannicus

Interprétations de la pièce

Deux interprétations méritent notre attention : celle de L. Goldmann et celle de R. Barthes.
  1. Lecture de Lucien Goldmann : 

Pour L. Goldmann (Le Dieu caché), la vision tragique oppose, chez Racine, un monde d’êtres sans conscience authentique et sans grandeur humaine et un personnage tragique, dont la grandeur consiste précisément dans le refus de ce monde et de la vie (p. 352). Au centre, il y a le monde, représenté par les fauves (Agrippine et Néron), les fourbes (Narcisse), les irréa­listes (Burrhus), les victimes pures, passives, sans aucune force intellectuelle ou morale (Britannicus) ; à la périphérie, il y a le personnage tragique, Junie, dressée contre le monde et repoussant jusqu’à la pensée du moindre compromis ; il y a un dernier personnage, absent et pourtant plus réel que tous les autres, à savoir Dieu (p. 363). Britannicus n’est donc pas le personnage principal de la pièce, ce n’est qu’un des multiples personnages qui constituent le monde et sa mort n’est qu’un épi­sode dont la seule importance est de déclencher le dénouement (p. 367). Le véritable sujet de la tra­gédie est le conflit entre funie et le monde, qui sera résolu par l’entrée de la jeune fille chez les Vestales, c’est-à-dire par sa fuite hors du monde et son entrée dans le règne de Dieu. « Tant que Dieu reste muet et caché, le personnage tragique est rigoureusement seul puisque aucun dialogue n’est jamais possible entre lui et les personnages qui constituent le monde ; mais cette solitude sera dépassée à l’instant même où résonnera dans le monde la parole de Dieu. Comme Esther entourée des filles juives, comme Joas entouré des lévites, Junie, qui n’a jamais pu réaliser un dialogue, ni avec Néron ni avec Britannicus, trouvera pour la pro­téger, lorsqu’elle sera entrée dans le temple de Dieu, un peuple entier qui tuera Narcisse et chassera Néron. Il n’y a pas de place pour les fauves dans l’Univers de Dieu » (p. 368-369).
  1. Interprétation de Britannicus par Roland Barthes : 

D’une manière analogue, R. Barthes (Sur Racine) place Junie au centre de l’intrigue. Il y a une symétrie parfaite entre Néron et Britannicus, dans le conflit existentiel qui les oppose et dont Junie est à la fois l’enjeu et l’arbitre. « Pouvoir pleurer avec Junie, tel est le rêve néronien, accompli par le double heureux de Néron, Britannicus. Entre eux, la symétrie est parfaite : une épreuve de force les lie au même père, au même trône, à la même femme ; ils sont frères, ce qui veut dire, selon la nature racinienne, ennemis et englués l’un à l’autre ; un rapport magique (et, selon l’Histoire, érotique) les unit : Néron fascine Britannicus, comme Agrippine fascine Néron. Issus du même point, ils ne font que se reproduire dans des situations contraires : l’un a dépossédé l’autre, en sorte que l’un a tout et l’autre n’a rien » (p. 92). Mais celui qui a tout (Néron) n’est pas, et celui qui n’a rien (Britannicus), par la grâce de l’amour, est véritablement. C’est Junie qui a fait exister Bri­tannicus et repousse Néron vers le néant. « Entre Néron et Britannicus, junie est l’arbitre absolu et absolument gracieux. Selon une figure propre au Destin, elle retourne le malheur de Britannicus en grâce et le pouvoir de Néron en impuissance, Y avoir en nullité et le dénuement en être » (p. 94).
Ainsi, par la grâce de Junie, la fécondité promise à Néron par l’amour devient stérilité éter­nelle. A peine éclos, par et dans le désir, Néron est frappé de la plus horrible des frustrations : la Femme, qui représente pour lui la vie, meurt sans mourir, en disparaissant dans le temple. C’est pourquoi le désespoir final de l’empereur « n’est pas celui d’un homme qui a perdu sa maîtresse ; c’est le désespoir d’un homme condamné à vieillir sans jamais naître » (ibid).
Source: Dictionnaire de culture générale
Bibliographie
  • L. Goldmann, Le dieu caché, Gallimard, «Tel», 1959.
  • R. Barthes, Sur Racine, Le Seuil, 1963.