lundi 25 février 2019

Le Poisson Combattant jeudi 28 février 19h Théâtre Municipal

Site de la compagnie du passage avec de nombreuses photos

C’est une séparation. On ne s’aime plus, pas question de jouer les copains, quittons-nous. Alors il part, lui laisse la maison, à elle. Elle et la petite, leur laisse tout. Parce que la petite restera avecelle; faut croire que ça l’arrange, lui. La nuit précédant son départ, le poisson combattant, celui de la petite, qu’on a appelé Dr Manhattan, qu’on a vachement aimé depuis un an qu’il dort là, le poisson combattant saute hors de son bocal et meurt, sec, au pied de la console. Dès lors, pour lui, un seul but : trouver l’endroit pour l’enterrer, enterrer le poisson quelque part, va savoir où, un endroit, mettons idéal, disons même l’endroit prévu, on imagine qu’un endroit est prévu pou rchaque créature, c’est ce qu’il se dit. Comme s’il en allait de sa propre existence, remisée, défaite,à recoudre, il prend la route. Errant, il s’immisce dans des identités, passagères, provisoires.Que peut le corps désagrégé, sinon survivre, d’enveloppe en enveloppe, de corps en corps, de masque en masque ?Et l’on se découvre termite ou bien ours, adolescent insomniaque, enfant au bord d’un étang, en attente d’un mirage ou d’un miracle

.Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=35y3uzvapLw

 Notes d’intention Fabrice Melquiot l'auteur et metteur en scène

J’ai dédié Le Poisson Combattant à un poisson combattant. J’ai eu dans ma vie un poisson combattant. Il s’appelait Charlie. Il a fait un peu de théâtre, une figuration dans un autre monologue que j’ai écrit et mis en scène, intitulé Quand j’étais Charles. A la mort de Charlie, dans un saut de l’ange plein de panache, j’ai été très ébranlé. L’enfance s’est retournée dans sa tombe ouverte ;elle m’a regardé avec une très grande pitié. Je me suis revu, petit garçon, assister à une scène identique : le saut du poisson hors du bocal (à l’époque un poisson rouge, d’une taille impressionnante). J’avais oublié la scène : elle a sauté, elle aussi, mais comme une mine dans la mémoire. Je me suis demandé : quel est ce saut, revécu ? Et pourquoi tant de chagrin ? Pourquoi l’enfance murmure-t-elle ? Pourquoi si souvent ? En quoi ce poisson sec au pied d’une table semblait-il un Yorick revenu des tréfonds ? Bouffon de l’enfance, dégoûtant, déroutant. Quelque chose venait de naître. Le désir de comprendre, chercher à comprendre encore, en quoi le jeu (la notion même, et dans sa polysémie) est tragique, l’enfance inquiète et inquiétante.C’est l’histoire d’un homme qui, pour enterrer un poisson mort, remonte le cours d’une rivière intérieure, dont le flux charrie souvenirs et peurs ; c’est un homme anadrome, qui, comme tous les saumons, revient à l’enfance pour y régénérer son présent, ouvrir sa joie, conjurer les ombres
.J’ai écrit le texte pour Robert Bouvier , acteur sans âge, dont l’enfance déborde dans le corps e tla voix. Sur scène, il n’est pas seul. Quand on écrit un monologue, on compose un monde entier,qui tient dans une seule bulle de pensée, dans le mouvement d’un corps unique, cherchant tous les corps qu’il contient. C’est Elissa Bier , avec laquelle j’ai déjà collaboré (Le Hibou, le vent et nous, Dr. kamiski)) qui a conçu la scénographie : espace blanc, translucide, fragile.La bulle en question - phylactère déployé pour homme cloîtré. Peu à peu, l’espace est envahi par quelques meubles du couple, à des échelles détraquées, tombeau domestique, symbole de la vie conjugale, malédiction rampante. Avant que tout éclate et que l’amour terroriste ôte sa cagoule, tombe son masque
.Sur les parois souples de la bulle, Janice Siegrist a travaillé à la projection des mondes en creux,implicites, à distance de l’illustration vidéo. Le personnage de la pièce est cinéaste ; les images  sont là pour dresser la psyché autrement qu’en mots. Pour dialoguer aussi. Les images projetées: interlocuteur de choix. 
Julien Baillod a créé un environnement sonore primordial : on est à l’intérieur du personnage, dans un univers mental et organique : avion qui passe, nuit bruissant, chiens qui aboient, flux sanguin,voix de l’amoureuse, voix de l’enfant, fantômes d’objets et de personnes. Un transistor posé là,dans l’espace clos, source diégétique dégueulant toutes sortes de rumeurs

 A ce moment précis l’homme se dit:Que ne donnerais-je pas pour le bonheur d’être en Islande à tes côtéss ous le grand jour immobile et de partager l’instant présen tcomme on partage la musique ou le goût d’un fruit.A ce moment précisl’homme était en Islande à côté d’elle.Jose Luis Borges, , 1981

 Si je suis nostalgique, c’est du présent, comme Borges le signifie dans ce court poème.Ce qui m’importe, en créant ce texte, c’est bel et bien la décharge électrico-poétique qu’il s’agi td’administrer aux vivants, pour qu’ils voient demain d’un œil moins cerné.