mardi 28 février 2023

Exemple d'analyse approfondie: Des Femmes qui nagent ( Elise)

 

Analyse de Des femmes qui nagent

« Des femmes qui nagent », écrite par Pauline Peyrade et mise en scène par Emilie Capliez a été présentée au grand public pour la première fois ce 31 janvier 2023. J’ai pu assister à leur 6ème représentation ce lundi 6 février.

L’autrice associée à la comédie de Colmar, Pauline Peyrade, a écrit un texte non linéaire en deux parties qui parle de la représentation des femmes au cinéma, de ces icônes féminines qui façonnent nos représentations, de la place de la femme réalisatrice, créatrice, actrice et aussi spectatrice. La première partie est faite de fragments qui renvoient à des films, des situations, des actrices… La deuxième, beaucoup plus courte, nous amène dans un répertoire plus réaliste avec le quotidien d’une ouvreuse de cinéma.

Emilie Capliez voit ce texte, écrit de manière à être presque un scénario de film pour certains fragments, comme un défi. Elle prend le parti prix de parler de cinéma sans jamais utiliser d’images filmées. Elle veut recréer certains effets du cinéma avec les moyens du théâtre. Pour relever ce projet elle s’entoure de quatre comédiennes d’âges différents ; Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios (j’ai vu sa remplaçante mais n’arrive pas à trouver son nom, et me voit donc contrainte de nommer l’actrice par la remplaçante d’Alma), et Léa Sery.

 

Avant même que le spectacle commence, nous pouvons nous intéresser à la scénographie qui nous est présentée. Emilie Capliez et le scénographe Alban Ho Van ont imaginé un lieu très esthétique. Au début, on distingue seulement deux espaces de jeux sur deux niveaux, avec un rideau dans le fond de celui surélevé. Mais bientôt un troisième espace de jeu va apparaitre. On peut déjà voir ici une référence au cinéma et  à ses différents plans. Les trois espaces permettent de créer l’idée de plan ; le gros plan, le plan d’ensemble, le plan moyen…

Au premier plan (la scène à la même hauteur que le public de devant), il y a une moquette avec des motifs de cinémas (bobines, caméras et confettis), deux sièges rouges un peu délavés côté jardin, et un côté rouge avec une femme assise qui regarde de trois quarts vers le fond.

Deux escaliers de trois marches sont situés des deux côtés et permettent d’accéder à un plateau un peu plus surélevé. Dans le fond de celui-ci plusieurs rideaux très malléables qui au fur et à mesure seront déplacés pour nous laisser apercevoir le fond et ses nombreuses surprises. Nous verrons que toute la structure est construite de manière réaliste, comme si nous étions dans un bâtiment existant.

Derniers éléments, au dessus des rideaux, il y a un rectangle ainsi qu’une bande lumineuse, qui laissent place à la projection d’une phrase en écriture blanche : « « Les yeux grands ouverts et l’air de voir, mais c’est un rêve qu’elle voit », Joyce Carol Oates, Blonde ». On comprendra assez vite que cet espace servira pour la projection de phrases, de titres, d’informations, ce qui n’est pas sans rappeler les sous-titres au cinéma. La phrase projetée dès le début met déjà en relation avec le cinéma puisqu’elle est issue d’un film, mais aussi parce qu’elle parle de « voir » et de « rêve ». Des mots rappelant l’image et l’idéal, qui peuvent résonner dans l’univers cinématographique. Il est à noter que le pronom utilisé est un pronom féminin. La bande de lumière traverse la largeur de la scène et donne des effets différents selon la couleur choisie et permet de nous projeter dans tel ou tel ambiance de film.

 La pièce commence, les informations : « Extérieur nuit. Une femme blonde nage dans une piscine. Elle crie de joie. »  sont projetés. La voix neutre d’une femme enregistrée (celle de Léa) nous décrit un espace très précisément. Léa vient des portes de la salle et s’avance lentement sur scène côté jardin pendant que sa voix enregistrée est diffusée. La femme déjà sur scène ne bouge pas. Il fait presque noir, il y a peu de lumière. L’idée de la voix enregistrée rappelle les voix off du cinéma et sa capacité parfois à juste utiliser le son, sans illustrer forcément avec une image. Le noir / voix est souvent utilisé dans les films pour créer du suspens, nous concentrer sur le son, la voix du personnage. Ici il y a quand même une image, celle du plateau, et de Léa qui se déplace. C’est une action minimale qui permet de nous concentrer sur le texte d’abord et qui permet de mieux introduire la suite. Dans le texte, on comprend que la femme qui circule dans l’espace découvre une maison bourgeoise très hollywoodienne.

Pendant que la voix enregistrée parle et que Léa prend la suite, nous avons déjà les premières « images » du spectacle qui nous apparaissent. Le rideau du milieu, mis de côté, nous donne à voir le déplacement de la potentielle femme qui est évoquée dans le texte. Celle-ci se déplace en maillot blanc avec un drap, de manière courbée, avec un dos en arc de cercle, puis elle réapparait avec un peignoir, et d’autres habits et postures dont je n’ai plus la mémoire. La première posture en arc de cercle est marquante, la lumière l’illumine comme si c’était un ange, elle est gracieuse, belle, féminine. Cette posture peut évoquer plusieurs choses. A la fois, elle donne l’impression d’une femme iconique, il y a quelque chose d’impressionnant de fascinant dans cette posture. Et d’un autre côté elle peut renvoyer à une envie de ne pas se conformer à l’idée d’une femme qui doit maîtriser son corps, être droite, mais d’une femme qui se libère de l’aliénation de la société et de ses dictatures par un corps courbé, un corps qui fait ce qu’il veut. L’image du corps vient ici appuyer le texte, qui devient de moins en moins neutre par rapport à la description de ce qui se passe. Plusieurs choses apparaissent, la femme serait une actrice quarantenaire, très connue, qui jouait des films avec un homme connu lui aussi. Il s’agirait des retrouvailles d’un couple mythique de l’écran. Romy Schneider et Delon, peut-être, mais sur le moment je n’ai pas trouvé la référence.

Dès que le passage est terminé, l’actrice déjà sur scène (Catherine) prend la parole. Léa reste et l’écoute. Les adresses ne sont pas toujours définies. Parfois les extraits sont adressés directement au public, comme le passage du tout début. Ce flou réside dans l’utilisation du « tu » dans le texte, les actrices l’emploient parfois pour nous parler, mais aussi pour se parler entre elles, il arrive que l’une d’elle en décrive une autre, en lui adressant le « tu ».

Après la prise de parole de Catherine, s’affiche le titre « Etat des Lieux » sur le rectangle, et venant des portes de la salle, sur le côté, Odja rentre sur le plateau de manières très énergique et avec beaucoup de présence se lance dans « c’est l’histoire de… ». S’en suit alors une énumération des histoires de femmes au cinéma, essayant de retracer toutes les sortes de scénarios dans lesquels on retrouve des femmes. La comédienne Odja occupe l’espace, a un regard captivant, et nous emmène dans toutes ces « histoires de » avec beaucoup de justesse. Elle réussit à nous tenir et nous captiver malgré une énumération de plus en plus longue, sans jamais vaciller dans son assurance.

Assez rapidement, peut-être même qu’il y a de la musique, en tout cas il y a un noir (comme un changement de scène au cinéma) Léa reprend la parole avec cette fois ci une illustration concrète de ce qu’elle dit. Les rideaux du fond nous dévoilent un escalier étroit côté cour. Très réaliste, il est enclavé dans le fond du plateau et on ne voit pas sa partie supérieure. Il y a des miroirs sur le mur à côté des marches. Léa s’adresse ici à Ojda, et c’est comme si sa voix dirigeait ces actions. Ojda joue les nombreuses chutes décrites par Léa dans l’escalier avec une tel maitrise de son corps et un tel réalisme qu’on craint qu’elle se fasse mal. Elle se cogne, tombe, se relève, retombe, pour ne jamais réussir à monter l’escalier entièrement. L’engagement physique est impressionnant, soutenu par une lumière tamisée, une lumière du soir, il permet de nous créer une « image » puisque ce texte je ne peux plus le lire sans penser à Ojda dans l’escalier. Catherine prend part à la scène et l’aide à se relever. Elle l’assoit sur une chaise, et devient l’exécutrice des paroles de Léa. Elle la maquille et l’habille. Le texte de Léa se finit sur « Elle entre en scène. ». Ojda change totalement d’attitude, les lumières aussi, le tout laissant place au résumé d’un film dramatique/horreur dont je n’ai pas la référence. Ici la transition s’apparente presque à un fondu enchainé de cinéma. Emilie Capliez dans sa mise en scène prend ici un effet du cinéma qu’elle transpose avec des moyens théâtraux (lumière, actrice, voix). Pour le passage qui suit sont projetés les reflets flous de phares de voiture, des paysages qui défilent, ainsi que le bruit d’une voiture sur la route.

Souvent les transitions se font aussi de manière que la comédienne qui va jouer le fragment suivant vienne sur scène pendant que celle d’avant est encore en train de jouer. Se met en place une sorte de superposition qui permet une rupture en douceur entre deux fragments de texte. Dans cette idée, c’est par exemple la remplaçante d’Alma qui intervient pour retranscrire les faits du film  « Muholland Drive » de David Lynch alors que Ojda joue encore le fragment précédent. La remplaçante d’Alma parle vite, bouge dans tous les sens, est de plus en plus passionnée, investie dans ce qu’elle raconte, prend l’espace, fait des gestes, utilise les rideaux. Parfois il y a presque un effet comique puisqu’elle raconte un film déjà très dur à comprendre, et se moque peut-être justement de sa complexité accessible à peu de gens. Pour ce qui est de retranscrire le film,  cette fois-ci c’est une musique angoissante, et des lumières froides qui sont utilisées pour nous projeter dans l’esthétique angoissante, particulière de David Lynch. Vers la fin de l’explication, deux tableaux se dessinent pour mieux illustrer. Le rideau au centre de l’espace scénique du fond est tiré et laisse voir une chanteuse de bar. La chanteuse est assise sur un tabouret et a un costume atypique, une perruque, on entend son chant de manière lointaine, elle nous fixe et bouge peu. A sa droite Léa déguisée en Maryline Monroe répète des mêmes mouvements de danse comme un pantin qu’on ne peut arrêter, le tout avec un grand sourire. Au dessus d’elle une écriture lumineuse à la façon des bars années 80 clignote.Silencio. Face à nous ces véritables images prennent vie, tout en étant à moitié figées un peu comme des images de cinéma. La disposition scénique du fond permet la présence de sortes d’alcôves dans lesquels des minis scénettes peuvent avoir lieu. Emilie Capliez réussit dans ce passage à faire des références aux films « Muholland drive », son esthétique et son ambiance, tout en ne se prenant pas trop au sérieux avec le côté décalé du texte et la manière exagérée avec laquelle l’actrice le joue.

Au fur et à mesure que la pièce avance, nous avons pu apercevoir ce qui se distinguait derrière les rideaux. Au milieu, l’espace change, il n’y a rien au début, puis un bar plus tard. Parfois l’espace du milieu est fermée ne permettant pas de distinguer ce qui s’y passe derrière. Sur les deux côtés, des portes oscillo-battantes qui laissent apercevoir des couloirs, et même des câbles électriques et une lumière de couloir. Tout à jardin il y a un siège dans le coin. Le tout du décor forme un espace très réaliste et permet un grand espace de jeu et de nombreuses possibilités.

 

Il y a deux sortes d’hommages qui sont rendus à deux femmes réalisatrices françaises.

Il y a celui rendu au film « Jeanne Dilmann » de Chantal Ackerman. C’est d’ailleurs une mise en scène qui permet l’occupation de tous les espaces simultanément. Sur le devant de l’espace de jeu, le plus proche du public, un lit caché sous le sol du deuxième plateau est sorti. Un miroir est accroché en fond de scène près du siège à jardin. Les lumières sont chaudes. Se met alors en place une rotation entre les 3 actrices (4 à un moment). L’une refait le lit, s’assoit dessus, déboutonne, reboutonne sa chemise, prend un café, pendant qu’une autre, dans le fond de la scène côté jardin, se recoiffe devant le miroir, puis ouvre la porte, dit bonjour et pars dans l’escalier. La dernière vient de l’escalier, et va s’assoir sur un siège au-devant de la scène à cour, avant de prendre la place de celle qui s’occupe du lit et ainsi de suite. Ces mouvements sont accompagnés par la voix de Catherine au micro, qui dit les actions, le phénomène de répétions, la routine, la vie de cette femme qui se prostitue pour subvenir au besoin de son fils. Cette mise en scène est très esthétique à nouveau, et d’une grande poésie. La routine de cette femme nous est plus que perceptible, ces mouvements et cette voix mettent quelque chose de fort en place. Le sentiment de solitude de cette femme, l’amour pour son fils, son existence maussade parviennent jusqu’à nous. Comme au cinéma nous sommes plongées dans une vie, un monde qui n’est pas le nôtre. La voix au micro est le genre de voix off que l’on peut retrouver un cinéma. L’ambiance un peu étrange prédit le meurtre final.

La deuxième sorte d’hommage est rendue au cinéma de la première réalisatrice française, Alice Guy. C’est son film « Les Résultats du Féminisme » qui est évoqué. Au milieu de la scène, dans la partie du fond, nous assistons à une reproduction de son cinéma. Un bruit de bobine, un filtre noir et blanc, les actrices font des mouvements saccadés qui rappellent vraiment le style des films muets. Une femme et un homme sont les protagonistes (distinguables par leur costume). Les rôles s’inversent, la femme se retrouve avec le fusil de chasse, et l’homme avec une ombrelle, un bouquet de fleurs.Il était inévitable de parler de représentation de la femme dans le cinéma sans parler d’Alice Guy. Celle-ci est une figure du cinéma français, une des pionnières du milieu, elle ose, innove, interroge sur nos sociétés et justement sur cette cohabitation homme/femme. C’est un bel hommage qui lui est rendu.

 

Souvent des lettrages, des phrases sont projetées sans que j’en comprenne toujours la signification. Il y a parfois cet effet de surplus d’informations comme au cinéma. J’ai retenu le nom de Duras dans les citations projetées. Marguerite Duras, célèbre autrice française, elle aussi connue pour sa singularité et dont j’ai découvert à l’occasion du spectacle qu’elle était aussi réalisatrice. Il y a même eu la diffusion d’une sorte d’interview d’une actrice française, je ne me rappelle plus ce qui est dit, mais croit qu’il s’agissait, peut-être de Marion Cotillard .

 

Je me rappelle un autre passage centré plus sur la sexualité. Il retranscrit les circonstances d’une vidéo amateur porno avec deux jeunes filles. Léa et la remplaçante d’Alma expriment leur sexualité, leur sensualité par la danse. Elles se filment entre elles. Des bribes d’images de leur danse sont projetées, la lumière est tamisée, la musique bat sont plein. Leur manière de bouger est assumée, elles sont à l’aise dans leur corps, elles jouent de leur féminité et « sex a peal ». Elles finissent par s’écrouler sur un matelas au sol. J’avoue que je ne me souviens pas de quand il est apparu. Léa prend alors la parole et raconte l’expérience qu’elle vit en faisant cette vidéo porno. Le texte est assez cru, on s’imagine plutôt bien la scène. Deux jeunes filles qui participent pour la première fois à un film pornographique sous les yeux d’un réalisateur…

Dès les derniers mots de Léa, Catherine, drapée dans un drap comme les romains, apparait par le fond de scène pour venir s’immiscer entre les deux jeunes filles. Elle parle elle aussi de sexe. Ici le texte est encore plus cru qu’avant, presque pornographique. Elle le joue de manière décalée, cela devient presque comique quand elle mime une masturbation avec un geste totalement incongru. Les gens rigolent de certains détails du texte, elle raconte avec une manière détachée, et avec légèreté. La signification du drapé est assez floue. Sur le moment je me suis raconté que c’était un drap du lit qu’elle venait de quitter, comme si elle avait quitté le tournage à la hâte pour venir nous raconter tout ça. Il y a peut-être aussi une référence aux statues du Louvre qu’elle évoque à la fin de son texte.

 

Changement de lumière, l’indication « Cannes 2019 » est projetée, Catherine est partie mais Léa s’adresse à elle avec le « tu ». L’actrice de la scène de masturbation et de sexe découvre alors son corps, son intimité dans une salle bondée, elle ne se rappelle pas avoir donné son consentement. Une représentation de la femme malmenée, une femme honteuse, des réalisateurs contents, et un public qui participe.

Est ensuite projetée l’indication « Césars 2020 ». Léa et la remplaçante d’Alma se déplacent de manière qu’il y en une devant et l’autre derrière, elles crient « la honte », rien de plus ni de moins, avec un mouvement de bras sec, comme si elles annonçaient quelque chose. Je trouve ce passage très fort, les lumières sont fortes, la voix, le corps aussi, à l’image du message. Il n’y a rien de plus à dire que ce seul mot, qui mis en scène de cette façon, glace le sang. Cette scène reprend quasi telle qu’elle la sortie très médiatisée d’Adèle Haenel qui protestait contre la célébration de Roman Polenski, réalisateur suspecté de violence sexuelle.

Il y a ensuite un noir (comme au cinéma), puis Odja entre sur scène avec un appareil photo, elle met le matelas vers le fond, Catherine entre, elle fume. Ojda lui adresse le « tu » du texte, elle apparait comme la photographe et Catherine la modèle, un modèle qui se veut être celui d’une femme de la cinquante, soixantaine. A nouveau la modèle bouge et agit en fonction des dires de la narratrice. La manière de dire le texte peut parfois faire penser à une pensée. Catherine se met sur le matelas, elle enlève ses habits, et se retrouve nue en étant dos au public. Ses jambes sont écartées, un de ses bras repose sur son genou, elle fume. Elle semble plutôt à l’aise dans son corps, sa posture rappelle celle des divas, des icônes telles que Maryline Monroe. Les photos sont prises, coup de massue, le visage est retouché (chirurgie esthétique, ou retouche de l’appareil photo ?), la peur de vieillir a pris le dessus. Silence, Catherine dit « Ménopause », tableau suivant sur le devant.

C’est un passage qui interroge sur le rapport au corps, à l’âge aussi. On remarquera d’ailleurs que pour ce qui est des scènes ou le corps doit être exposé, lorsqu’il s’agit de nudité, c’est la plus âgée des comédiennes qui les joue. Peut-être là une volonté de ne pas surexposer des corps de filles dont l’image ne se résumerait alors plus qu’à ça. Le choix du corps de Catherine est aussi une manière d’assumer, d’exposer, de montrer un corps plus âgé trop souvent délaissé, modifié dans le cinéma. Contrairement aux stéréotypes cinématographiques où c’est le corps des jeunes femmes qui sont le plus montrés, adulés, les femmes de ce projet font le choix de montrer celui avec lequel le cinéma et la société ont le plus de mal, celui où il y a plus de difficulté à le faire exister pour ce qu’il est. Ce passage est fort, il nous renvoie à l’image de la femme (photographie à voir comme une mise en abyme), à la représentation que nous nous en faisons. Nous sommes toutes participantes dès lors que nous acceptons de ne voir que des corps nues de femmes de moins de 60 ans à l’écran.

Par la suite, pendant que Catherine met un soutient gorge à vu en fond de scène, les comédiennes enchainent rapidement plusieurs histoires courtes. J’ai notamment l’image de Léa qui s’accroche à une poutre en parlant de l’effondrement d’un pont. Les transitions sont fluides, l’une est déjà sur scène avant que l’autre ne se mettent à parler. Elles utilisent leur corps, font des postures, avant de les casser, ou de les laisser (dans le cas de Léa sur le poteau). Tout au long du spectacle les actrices jouent beaucoup de leur corps,de leurs postures. Elles passent dans la peau de beaucoup de personnage et s’aident du physique pour s’imprégner d’attitudes qui correspondent à des personnages presque exclusivement féminins.

Une seule fois Catherine joue un homme, elle joue le réalisateur Godard. Pionnier de la nouvelle vague, celui-ci est critiqué pour sa vision de la représentation de la femme qui serait fondée sur un principe de dominant et de dominé, le dominant étant l’homme, le dominé la femme. Cette vision interroge puisque Godard a justement mis en avant dans ses films des héroïnes, en offrant une vision moins traditionnelle de la femme de l’époque. On peut penser notamment à Jean Seberg dans « A bout de souffle » ou à Brigitte Bardot dans « le Mépris ». Le spectacle critique la représentation de la femme ou met en avant des réalisatrices, actrices, qui ont marqué le cinéma. Mais alors y-a-t-il une « bonne » ou une « mauvaise représentation de la femme ? Jean Luc Godard a-t-il donné une « bonne » représentation de la femme ? Est-il possible de trancher ? C’était d’ailleurs une question récurrente que je me posais en voyant la pièce. Comment dire que c’est une « bonne » représentation de la femme ? Y’en-a-t-il réellement ? Comment en fabriquer de nouvelles ? Comment changer le regard que nous portons ? Est-ce que le problème ce sont les réalisateurs hommes ? Est-ce qu’une femme est mieux représentée s’il s’agit d’une réalisatrice ? Est-ce nous femmes spectatrices qui devons faire bouger les choses ? Est-ce que je dois arrêter de regarder certains films ? Est-ce que je vais réussir à déconstruire tous ce que j’ai vu, entendu ? Suis-je assez forte pour ne pas tomber dans un regard de la femme négatif, problématique, et source de complexe pour moi et d’autres femmes ?

Que de question dont je n’ai pas réussi à formuler toutes les réponses. Ce qui est certain c’est que cette pièce m’a permis de m’interroger. Il n’y a plus un film que je regarde sans penser à la voix de Odja disant c’est « l’histoire de… ».

Il est intéressant de parler aussi du passage où, de manière courte, sont enchainées différentes références de films. Il y a d’abord une référence au film sur Marie Antoinette avec la présence d’Odja déguisée en femme de la cour, sûrement en Marie-Antoinette elle-même. Il y a d’ailleurs quelque chose d’étonnant avec ce personnage parce qu’on ne sait pas toujours s’il s’agit de Marie Antoinette, ou d’une comédienne déguisée en Marie Antoinette puisqu’elle est présente sur scène déjà avant d’être au centre du propos. Elle vient avec un paquet de popcorn comme si elle était une spectatrice de cinéma. Après qu’elle ait été mise en avant avec le mot « mythe » projeté sur un endroit de la scène, dans le rectangle s’affiche une phrase sur des couilles de taureaux, et la comédienne rigole comme si elle assistait au film. Elle ne serait donc pas là, en tant que Marie Antoinette mais en tant que semi-spectatrice. On peut voir ici un premier lien avec la deuxième partie. Ce procédé de présenter rapidement des films avec un personnage costumé qui passe, une voix off qui parle, et le titre qui s’affiche dans des endroits différents de la scène s’enchaine à merveille. Un personnage rentre alors que l’autre n’est pas parti tel des fondus de cinéma. Les costumes évoquent l’univers, un personnage du film. La voix off parle sans être entendu du personnage dans la même idée que les voix off de film qui viennent souvent pour présenter, ou conclure. Des sortes de titres de films, ou du moins des idées, des références s’en rapprochant, sont affichées comme si on voyait une bande annonce, un extrait. Ainsi il me semble avoir reconnu (après recherche) le film « Wanda » de Barbara Loden, ou encore « Sur la planche » de Leila Kilani. A noter qu’il s’agit de deux films de femmes réalisatrices. L’objectif de ce passage était-il de mettre en avant des réalisatrices ?

Il y aurait encore beaucoup de fragments à analyser, notamment celui de l’évolution de la saga Alien et le fait que Sigourney Weaver de film en film gagne en importance dans la production du film jusqu’à en devenir la productrice. Mais je ne peux pas retracer tout le spectacle, je finirais donc par évoquer un dernier moment de cette première partie que j’ai particulièrement apprécié. C’est un des rares moments où les comédiennes échangent entre elles, et dialoguent véritablement. Elles sont sur le devant de scène et tout en s’habillant parlent de leur vécu d’actrice, comédienne. Il y a parfois des propos un lien avec leur âge, des désaccords, mais il ressort surtout une réflexion sur leur place au cinéma, les rôles qu’elles jouent, ceux qu’elles ne jouent pas… J’aime beaucoup cette discussion qui par rapport au reste de la pièce interroge de manière plus directe sur la représentation de la femme au cinéma. La manière dont elle se conclue est très amusante. Les habits de soirées avec lesquels elles se sont habillées sont en fait leurs tenues pour une cérémonie, sûrement de cinéma puisqu’elles sont actrices. Elles prennent la pose face au public, sourient, on imagine qu’elles se font photographier. Après le dialogue qu’elles viennent de faire, elles se retrouvent à « jouer le jeu » des femmes apprêtées qui font les stars face aux caméras. Jouent-elles la comédie où font-elles vraiment les « stars » ? Finalement ce qu’elles critiquent leur permet d’être célèbres, aimées, adulées. Est-ce que vouloir changer la représentation de la femme leur couterait cette image de star aimée de tous ? Prendraient-elles le risque de la perdre ?

 

A présent je peux me pencher un peu plus sur la deuxième partie du spectacle. La séparation entre les deux parties et visible par la projection d’un générique (rappelle bien entendu au cinéma), avec les noms d’actrices, réalisatrices, autrices, productrices et femmes marquantes du cinéma. Le trop plein de noms et le débordement du cadre de la scène rappellent que ces femmes sont nombreuses, que la liste est longue, et qu’elles n’apparaissent pas toutes ici.

La deuxième partie de la pièce  est écrite comme une nouvelle, donc une histoire linéaire. Dans la mise en scène,  l’’espace a été changé. Les éléments scéniques initiaux ont été gardés, mais avec des ajouts. On distingue un cinéma. Les fauteuils ont été alignés sur le devant, une affiche du film « Toute une nuit » de Catherine Akerman est apparue à jardin près du siège, des numéros sont apparus au-dessus des portes en oscillo- battant, un autre siège est apparu à cour, l’escalier est toujours là mais n’a plus de miroir, juste un rideau rouge en son bout. Le changement le plus visible est le milieu de fond de scène qui contient maintenant un guichet de cinéma avec le popcorn, la caisse, et l’inscription au néon  «  cinéma ». Une ouvreuse de salle (comédienne Catherine) apparait dans un costume correspondant au personnage. Une voix off (la voix de Catherine) est diffusée, elle le sera presque jusqu’à la toute fin, il s’agit de ses pensées, mais des pensées adressées à quelqu’un, surement destiné directement au public étant donné qu’elle se présente et explique tout. Ce procédé rappelle beaucoup le cinéma, où les pensées d’un personnage sont exprimées sans qu’à l’écran l’acteur ouvre la bouche, alors qu’au théâtre souvent le comédien joue ses pensées en direct. Cette utilisation répétée de la voix off rappelle la différence primordiale entre théâtre et cinéma ; la notion de directe (la voix off n’en étant pas).

Très vite elle raconte sa vie en tant qu’ouvreuse de cinéma tout en nettoyant le cinéma, et donc le plateau. Des liens sont faits avec les parties précédentes, elle ramasse notamment des mouchoirs. Mouchoirs très présents dans la première partie. Les comédiennes les utilisent pour pleurer, s’essuyer, enlever du maquillage… Dans la même idée de lien, elle consacre du temps à ramasser un popcorn oublié sous un siège, popcorn qui peut très bien appartenir à Marie-Antoinette qui dans la première partie est venue avec un pot de popcorn. C’est d’ailleurs ici que l’on comprend le choix de mise en scène précédent. Il est à noter également que l’affiche du film « Toute une nuit » rappelle un fragment de la première partie, un que je n’ai pas évoqué, il s’agit de Léa énonçant des numéros pour raconter l’histoire de ce film. Ces liens entre les deux parties ont une signification. Cette ouvreuse, et les spectatrices qui vont peu à peu apparaitre dans l’espace, sont toutes aussi concernées que les actrices, réalisatrices et toutes les femmes du cinéma, par la représentation féminine dans ce milieu, et par extension dans notre société, puisque le cinéma n’est autre que le reflet de nos vies. Des spectatrices allant voir des films, dialoguant entre elles, attendant seule, allant au guichet vont se succéder. C’est le seul moment où des figurantes autres que les quatre comédiennes sont sur scène. Ce choix est clair, il s’agit de toutes nous représenter. Ces spectatrices qui doivent se sentir concernées par le regard qu’elles portent sur la femme dans les films et dans la vie, ce n’est autre que nous toutes ; les femmes. Il y a une sorte de mise en abyme de nous voir comme représentées sur le plateau par ces femmes. Les trois comédiennes jouant les spectatrices sont les seules à s’exprimer. Pour elles aussi c’est particulier, elles passent de l’autre côté de l’écran. Le fait que le plateau ait dès le début des éléments qui plus tard formeront le hall de cinéma nous rappelle que femmes du cinéma et spectatrices ont un point commun qui surpasse tout, elles sont femmes, et donc victimes des mêmes « problématiques ». Cette idée est d’autant plus illustrée lorsque l’ouvreuse croit reconnaitre une actrice dans les spectatrices, ce qui rappelle que les actrices sont aussi des spectatrices, comme les spectatrices (l’ouvreuse elle-même) sont aussi des actrices à leur manière (dans cette scène c’est elle, la protagoniste). Ce passage fait vraiment le lien avec le réel, les femmes que l’on voit dans les films ne sont pas des femmes inventées de toute pièce, elles sont issues de la vie réelle. Les films où leur représentation est au plus proche de la réalité sont souvent les plus beaux, les plus respectueux de ce que nous sommes. Ce qui amène à croire que pour certains films où la représentions des femmes peut être jugées dérangeante, la racine du problème viendrait directement de notre société et de la façon parfois problématique d’envisager la femme.

Cette dernière partie fait aussi l’éloge du cinéma, l’amour qu’on a à aller voir des films, le refuge que c’est pour certaines (une cliente régulière qui court se réfugier dans la salle), la magie qui s’opère dès lors que les lumières s’éteignent. J’avoue avoir eu envie de me mêler aux spectatrices, de discuter avec elles et de disparaitre derrière les portes pour regarder un film.

La nouvelle se finit avec la fin de la voix off et Catherine qui conclut sa journée et ferme le cinéma.

 

« Des femmes qui nagent » c’est d’abord un texte, celui de Pauline Peyrade, puis un projet, un défi de mise en scène pour Emilie Capliez et son équipe technique, puis une performance de quatre actrices inspirantes et époustouflantes, et enfin un spectacle qui bouleverse ses spectateurs et dont la trace restera longtemps dans les esprits. Il y a la fois ce parti pris d’utiliser les moyens du théâtre pour parler, et recréer l’effet cinéma et tout en nous interrogeant sur nos femmes de cinéma, leur représentation et nos regards en tant que spectatrice face à elles. Le texte alterne critique de certaines manières problématiques de représenter la femme au cinéma, et éloge de femmes qui ont marqué le cinéma. Emilie Capliez s’en empare à merveille avec une mise en scène qui regorge d’idées, de réflexions, et des actrices vibrantes qui nous donnent à voir à nouveau comme notre théâtre, notre cinéma regorge de femmes des plus talentueuses. Les femmes de cette pièce je les assimile à ces actrices, ces icônes qu’elles ont mises en avant, ce sont les nouveaux genres d’icône féminine auquel je veux adhérer.

Excellent travail d’analyse à la fois riche et personnel.19/20

 

 

dimanche 26 février 2023

De l'amour dans le Soulier de satin

 

De l’amour

Les différentes façons d'aimer: Eros, Philia, agapè 



Ensuite, Claudel renvoie au livre biblique de la Genèse. Depuis que Dieu a créé la femme à partir du « cœur du cœur » de l’homme, traduit un peu vite par la « côte », l’homme est comme amputé d’une part de lui-même. Il n’a alors de cesse de chercher à combler ce manque, cette béance. La femme lui apparaît comme celle qui, en lui rendant le « cœur de son cœur », pourrait assouvir le manque et reconstituer un être « complet ». Mais une vocation particulière peut faire comprendre à certains que la béance est plutôt une soif d’absolu beaucoup plus profonde. Prouhèze se refuse à Rodrigue pour qu’il gagne l’Amérique mais aussi pour qu’il se livre à Dieu. Elle sait qu’elle ne serait qu’un leurre pour lui. Et le personnage de Camille le sait aussi : il possède le corps de Prouhèze mais il veut plus. Il veut Dieu.

Claudel propose une mystique du couple : par l’amour charnel, l’homme et la femme s’ouvrent à l’autre ; ils font l’apprentissage de l’altérité et de la charité. Prouhèze fait d’abord une erreur en pensant que l’amour entre créatures ne serait qu’une concession à l’animalité. Il faut que l’Ange la corrige et lui redise que cet amour est bel et bon (III, 8, p. 270-271) :

« Doña Prouhèze : Eh quoi ! Ainsi c’était permis ? cet amour des créatures l’une pour l’autre, il est donc vrai que Dieu n’en est pas jaloux ? l’homme entre les bras de la femme…
L’Ange Gardien : Comment serait-Il jaloux de ce qu’Il a fait ? […]
[…]
Doña Prouhèze : Ainsi il était bon qu’il m’aime ?
L’Ange Gardien : Il était bon que tu lui apprennes le désir. »

L’Ange pédagogue rend au corps et au désir humain sa belle place mais tire ensuite Prouhèze vers ce qui est son appel propre. La scène finit sur une extase mystique où Prouhèze est tout entière saisie, corps et âme, par l’amour de Dieu. Elle connaît Agapé, en avant-goût du Ciel. C’est parce qu’elle l’a connu qu’elle le veut ensuite pour Rodrigue et reprend des forces pour les dernières étapes de son sacrifice.

Vocations différentes

Prouhèze et Rodrigue sont appelés à un destin particulier. Claudel, dans les intrigues secondaires, montre d’autres facettes, d’autres degrés, de l’amour humain.

Le Chinois d’abord rappelle Rodrigue sur terre (I, 7) : pas de lyrisme, mais un langage cru et clair : « Une épaule qui fait partie d’une âme et tout cela ensemble qui est une fleur, comprends-tu mon pauvre Isidore ? Ô ma tête, ma tête ! » Le dialogue mêle les genres tout en illustrant la complémentarité des êtres sur terre.
La scène 8 de la Deuxième journée agit également sur ce modèle du contrepoint burlesque qui désamorce le lyrisme. Alors que Rodrigue raconte rapidement au Capitaine sa noble histoire d’amour, le Capitaine termine : « La même chose quasi m’est arrivée il y a dix ans à Valence avec une certaine Dolorès que me disputait un marchand de viande salée. » La dérision tutoie le sublime et évite le lyrisme, l’ennemi juré de Claudel. En même temps, la scène est encore l’occasion de montrer que chacun a sa place dans la création.

Le noble et paternel amour de Pélage pour Prouhèze, la joyeuse et jeune impatience de Doña Musique, la fiancée d’un imaginaire roi de Naples (I, 10), ou Doña Sept-Épées amoureuse de Jean d’Autriche (IV), le couple séparé et toujours fidèle de Diego Rodriguez et Doña Austrégésile (IV-7) – dont les noms sont des variations de ceux des héros –, le rapide passage de Don Luis amoureux de Doña Isabel et tué par Rodrigue (I, 4 et I, 9) sont autant de facettes de l’amour qui, de loin ou de près, en caricature burlesque ou en version heureuse, disent quelque chose de l’amour et complètent la relation de Rodrigue et Prouhèze. C’est là une nouvelle leçon : l’amour d’un couple engage l’humanité. On ne gagne pas son salut tout seul et on ne peut pas s’aimer dans son coin, conséquence supplémentaire de la communion des saints (voir « La mer et la communion des saints »). ( Sources Théâtre en acte)

vendredi 24 février 2023

la place de la bouffonnerie dans Le Soulier de Satin ( conférence sur la dimension comique de l'oeuvre par Sever Martinot-Lagarde)

 Video de la conférence à écouter en prenant des notes.

Ecouter l'émission permet une révision de l'oeuvre et aussi de justifier les partis pris comiques que nous avons adoptés avec Laure dans certaines scènes, même la plupart.

Le propos est important aussi pour comprendre l'annoncier, l’irrépressible.


jeudi 23 février 2023

Questions d'entretien possibles sur le Soulier

 Comment comprenez-vous le sous titre  du Soulier "Le Pire n'est pas toujours sûr"?

Comment comprenez-vous la dernière réplique de la pièce "Délivrances aux âmes captives,"?

En quoi peut-on dire que le Soulier de Satin est une pièce baroque?

Claudel utilise souvent la métaphore du tissage, des fils entremêlés pour parler de la pièce: comment comprenez-vous cette image?

En quoi peut-on dire que la croix est une image récurrente de la pièce?

En quoi Rodrigue et Camille sont-ils à la fois rivaux et proches?

Quels sont les obstacles qui empêchent l'union des deux amoureux?

En quoi Prouhèze et Musique incarnent-elles des visions opposées de la femme?

Quels sont selon vous les rapports entre Don Pélage et Prouhèze?

Qu'est-ce qui rend le personnage de l'Ange émouvant parfois et drôle aussi?

Quel rôle joue la Lune dans la deuxième journée?

Comment représenteriez-vous L'ombre double?

En quoi peut-on considérer qu'il y a une dimension autobiographique dans le Soulier de satin?

Quelle est la fonction du comique, des personnages bouffons dans la pièce? etc

A vous de me proposer d'autres questions possibles.Ces questions peuvent aussi nourrir la réflexion lancée en classe

Si vous rédigez vos réponses à ces questions, envoyez-les moi et je les validerai ou non.

vendredi 17 février 2023

documentaire sur Molière ( Arte)

 Molière et le jeune roi

Pour tous ceux qui veulent en savoir plus et comprendre pourquoi Molière est encore jouée aujourd'hui. Le documentaire explique notamment l'importance de la relation de Molière avec le jeune Louis XIV. 

 

 À la faveur des 400 ans de son baptême, une plongée jubilatoire au coeur de l’oeuvre de Molière, artiste favori du Roi-Soleil et témoin lucide de son époque comme des petitesses et grandeurs humaines.

Star depuis presque quatre cents ans, Molière a révolutionné le théâtre en portant sur le plateau, avec lucidité et une éblouissante modernité, des questions de son temps : l'éducation des femmes, la violence sociale, les dérives de la religion ou encore la toute-puissance de la médecine… Peintre de ses contemporains, ce fabuleux inventeur de formes a bouleversé le jeu du comédien par une approche moins déclamatoire et plus naturelle. Chef de troupe, auteur prolifique, acteur au jeu grimacier ? "Charlie Chaplin de son époque", Molière fut aimé et admiré, mais aussi moqué, attaqué et victime de cabales. Capable de répondre en quelques jours à une commande, il sut aussi créer de réjouissants divertissements royaux et sa relation à Louis XIV, dont il resta l'un des artistes favoris, permet de mieux appréhender son théâtre et son statut privilégié. Son triomphe a correspondu à l’apogée du Roi-Soleil, entre amours et plaisirs d'un jeune souverain fou de danse et de théâtre, conscient du rôle politique des arts. Comme les opéras de Lully, les peintures de Le Brun, les bâtiments de Le Vau ou les jardins de Le Nôtre, les pièces de Molière ont constitué autant d'instruments du pouvoir du roi et d’outils à sa gloire. Mais si, par son talent, le poète satirique contribua à l'éclat du règne du monarque narcissique, Louis XIV offrit en retour à Molière les conditions idéales à l’épanouissement de son art, et les moyens de faire évoluer son théâtre vers un "spectacle total". Car au-delà de leur intérêt réciproque, une réelle proximité de pensée liait le souverain et le comédien, tous deux nourris par la culture des salons.

Libre et stratège
Entremêlant extraits réjouissants de ses pièces – dont l’ébouriffant Bourgeois gentilhomme de Valérie Lesort et Christian Hecq à la Comédie-Française – et éclairages passionnés de metteurs en scène (Clément Hervieu-Léger, Macha Makeïeff, Ariane Mnouchkine, Éric Ruf…) ou d’historiens (Georges Forestier, Martial Poirson, Laura Naudeix), Priscilla Pizzato (Les liaisons scandaleuses, Le roman de la colère) raconte un génie du théâtre à la fois libre et stratège, dévoué à Louis XIV et radical dans son écriture. Montrant l’intacte jubilation des comédiens à incarner ses personnages obsessionnels, de L’avare au Malade imaginaire, le film rappelle aussi l’acuité de son subversif Tartuffe, "chef-d’œuvre de l’appropriation de Dieu comme instrument de pouvoir". Source inépuisable d'inspiration et d'admiration depuis près de quatre siècles, ce maître de l’autodérision recourait au rire pour ouvrir l’esprit et s’employait à tancer l’humanité pour la faire grandir. Revisitant son œuvre avec bonheur, ce documentaire invite à la (re)voir ou la (re)lire.

mercredi 15 février 2023

Option seconde: Documentaire sur le drame de Delta cHarlie Delta: Kindertotenlieder

À partir des archives du journal télévisé, retour sur les émeutes de 2005 en France, survenues suite à la mort de deux jeunes poursuivis par la police.

Kindertotenlieder (chant des enfants morts) (28mn° disponible 52 jours.

 

Ces images, elles ont été vues, diffusées dans les journaux télévisés les plus regardés de France. Pourtant, en enlevant tout commentaire et en réalisant ce montage, Virgil Vernier fait acte de mémoire. Un travail d'anamnèse qui retrace pas à pas les événements qui se sont déroulés sur un peu moins d'un mois à Clichy-sous-Bois. De la mort de deux jeunes poursuivis par la police et réfugiés dans un transformateur électrique, à l'embrasement d'un quartier, puis à sa reprise en main par les forces de l'ordre domine le sentiment de brutalité et de mépris de la part de l'état et de son ministre de l'intérieur d'alors. Nicolas Sarkozy voulait "nettoyer les quartiers au Karcher". État d'urgence, couvre-feu, LBD, patrouilles et hélicoptères… C'est une guerre civile qu'il a déclenchée. Un point de rupture aux conséquences encore visibles aujourd'hui et dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées.

 

Éva Tourrent
Responsable artistique de Tënk

vendredi 10 février 2023

Traces de Basile ( Elève de l'an dernier) sur York de Serge et sur Le Dragon

 Basile n'avait pas travaillé sur Richard III mais c'est pour vous montrer comment faire une trace avec de la réflexion.

York (9/10)

Le spectacle est un montage des deux pièces qui se suivent de Shakespeare : Henri VI et Richard III (deuxième moitié de la tétralogie du conflit entre York et Lancastre). Interprétée par la compagnie du Matamore de notre intervenant Serge qui joue notamment Warwick le faiseur de roi. Dans le casting nous connaissons aussi Bruno Journée, intervenant avec nous l’année dernière sur le projet La dispute. On retrouve très bien son amour du jeu clownesque, notamment dans le rôle du roi de France, personnage très drôle et d’une légèreté totalement déconnectée des autres personnages presque tous cruels et violents. Le but de ce montage est de montrer la genèse du personnage de Richard III. Serge expliquait que la deuxième pièce est trop souvent montée pour montrer la cruauté du personnage sans que jamais on ne s’interroge sur la genèse de ce tyran qui est parfois décrit par les autres personnages comme un sanglier (d’où l’affiche) détruisant tout sur son passage. Mais c’est en observant les mécanismes de son clan que l’on peut comprendre la naissance de sa violence. 

Ce que je retiens de la mise en scène de Serge, c’est l’intelligence scénographique dont il fait preuve pour mettre en valeur les deux registres principaux des pièces, tour à tour courtisanes et guerrières. Chaque personnage a deux version de son costume, l’une plutôt élégante style tenue de soirée et l’autre du genre paramilitaire. Les yorks et les lancastres étant différenciés par une rose blanche pour les uns et rouges pour les autres, en noir pour les uns et kaki pour les autres. De cette façon la dualité entre les registres et entre les deux familles est mise en scène de manière compréhensible facilement pour le spectateur. Les musiques/sons utilisées aussi participent à cette lecture facile, seule deux morceaux sont joués : l’un style plus industriel/musique concrète avec des coups de feux pour les ambiances guerrières et l’autre de style plus électronique/dubstep très répétitif pour les ambiances de fête.

Le mobilier sur scène aussi est pensé de façon à constituer une machine à jouer pour les acteurs et une machine à comprendre pour le public. Un grand trône à roulette en bois est placé (souvent au milieu de la scène) de manière assez explicite, celui qui y siège a le pouvoir. De manière générale, c’est une mise en scène consciente de la complexité de l’intrigue politique qu’elle traite et qui agit en conséquence pour produire un travail digeste, compréhensible et abordable malgré les 4 heures de représentation. Le parlé est le plus éloigné possible du cinéma et il est donc très aisé pour un spectateur, même novice dans l’écoute du la langue shakespearienne traduite, de suivre.

J’ai adoré et cela ne peut que mon conforter dans l’idée que j’ai de la meilleure manière pour aborder des œuvres séculaires : il s’agit de les jouer pour un public, et non pour une histoire du Théâtre avec un grand T. Le texte parle de lui même et si les intrigues de Shakespeare sonnent comme des films d’actions hollywoodiens, jouons-les comme telles. 

 

Le dragon (05/02)

Le 5 février dans la (merveilleusement nommée) Salle Koltès du TNS, nous avons assisté à une représentation du Dragon d’Evgueni Schwarz mis en scène par Thomas Jolly. C’est un très gros projet, Thomas Jolly est actuellement directeur du Centre Dramatique National Le Quai d’Angers, il fait partie des figures importantes de sa génération (il n’a que 40 ans). Du point de vue du budget, du nombre d’acteurs sur scène (14 comédien.nes et 1 enfant) et de la taille de la tournée, c’est sûrement le plus gros spectacle que je verrai cette année. Le scénographe est Bruno de Lavenère, la lumière est assurée par Antoine Travert et la musique et le son par Clément Mirguet.

Evgueni Schwartz est un autour russe né en 1896 et mort en 1958. Il est très peu connu en France et seules trois de ses œuvres sont traduites : Le roi nu, L’ombre (que les premières ont joué cette année) et Le dragon. Son registre principal d’écriture est le conte, il a commencé par en écrire des pour enfants, puis au fur et à mesure, ces œuvres sont devenues des pièces pour adultes, mais le registre reste toujours fantastique avec des fortes références au monde plus enfantin du Médiéval-fantasy. 

Le propos de la pièce est la dénonciation du pouvoir totalitaire, publiée en plein période stalinienne elle a évidemment été censurée après la première représentation. Dans un cadre spatio-temporel non défini, un bourg vit sous le joug d’un dragon depuis des siècles, les villageois lui payent un lourd tribut et doivent en plus lui offrir une jeune fille chaque année. A force de temps, les villageois ont fini par se persuader qu’ils avaient besoin du dragon (par exemple qu’il le protège des autres dragons, ou encore qu’il les a sauvés d’une épidémie en faisant bouillir les eaux du lac). Mais un jour arrive un « héros professionnel » : Lancelot, qui a pour volonté de tuer le dragon pour sauver Elsa, la fille de l’archiviste Charlemagne qui est cette année élue par le dragon, car il est tombé amoureux d’elle. Ce qui est intéressant et surprenant dans a pièce, c’est que la majeure partie de la population (à l’exception de quelques pauvres artisans) n’est pas favorable à la quête de Lancelot, il rencontre donc l’opposition de la population qu’il va libérer. Mais au delà de l’originalité des deux premiers actes où Schwartz dépeint avec humour la « servitude volontaire » dont parlais La Boétie, c’est le troisième acte de la pièce qui fait l’originalité de son propos, puisqu’après avoir terrassé le dragon, Lancelot est blessé et s’efface quelques temps, et pendant ce temps, le Bourgmestre et son fils, dans les premiers actes lâchement soumis au pouvoir du dragon et veillant à le maintenir, profitent de l’absence de pouvoir pour s’en emparer et établir une dictature tout aussi horrible que la précédente, le bourgmestre transforme même l’histoire en faisant comme si il était le vainqueur de la bataille contre le dragon et que Lancelot n’existait pas. 

Le choix de texte que Thomas Jolly fait en mettant en scène Le dragon est très symbolique, surtout en période électorale : le texte questionne le pouvoir, la révolution mais aussi « l’après » et la personnalité que Tocqueville surnomme « l’ambitieux habile » au travers du personnage du bourgmestre, celui qui profite du désintérêt général quant à la question politique pour s’emparer du pouvoir pour son propre intérêt et garantit le strict minimum pour rester éloigné de toute critiques de la part du peuple (le symbole du banquet : Panem et circenses).

Le code de jeu général prend le parti du conte théâtral, qui sans être infantilisant pour le public se veut à la fois lisible, assez peu violent et matérialise les choses au lieu de les symboliser. On peut supposer que cela résulte d’une volonté de Thomas Jolly de faire une théâtre plus « populaire » ou en tous cas moins élitiste et ouvert aux non-initiés . Cet objectif est impossible à atteindre à mon sens si l’on ne remet pas en question le lieu, on peut faire du facile d’accès hollywoodien autant que l’on veut, s’il est représenté au TNS il continuera à attirer essentiellement le public qui fréquente ce lieu, sans ouvrir aux franges de la populations qui boudent les théâtres.

 Cette volonté est d’autant plus accentuée par le choix d’ajouter beaucoup de comique, visuel (les mimiques et postures du Bourgmestre et de son fils, très drôles dans leurs lâcheté et leurs folie, mais aussi les trois têtes du dragon caricaturales du méchant à l’extrême) mais aussi du comique de langage avec le discours du Bourgmestre qui prend le parti de la distanciation en s’adressant directement au public comme si il s’agissait de la foule du bourg réunie, mais en se trompant beaucoup à lui même et en oubliant son texte. 

Dans la direction d’acteur, j’ai particulièrement aimé la manière dont la mise en scène passe au-delà de la difficulté du conte uniquement par un travail d’acteur très intéressant au lieu de se perdre en subterfuges. Il y a deux personnages animaux, motif typique du conte, un petit, malin et allié : Le chat, et un beaucoup plus grand et méchant : le dragon à trois tête (incarné par trois acteurs, dont Mustapha Benaïbout que j’adore). Au lieu de chercher des costumes très élaborés ou d’autre techniques pour mettre ces personnages au plateau, les acteurs sont habillés dans un registre très ressemblant aux autres personnages (très élégant, noir et blanc) avec simplement quelques détails ajoutés (oreilles pour le chat, épaulettes argentées, fume cigarette et lunettes/cache-oeil qui symbolisent les attributs du dragon : écailles, feu, regard monstrueux). Et l’entièreté de la transformation se passe ensuite dans le jeu. J’ai trouvé le travail de l’acteur du chat très intéressant, à la fois comique et parlant, sans faire illusion, on se figure assez aisément l’image du conte où le héros est allié à un petit animal. C’est aussi intéressant de voir au plateau un exercice classique d’échauffement poussé à son paroxysme, en effet j’ai déjà fait plusieurs ateliers ou séances de théâtres autour de la thématique de l’animal totem, et ce passage au plateau me prouve bien qu’il n’y a pas de matière perdue et que le travail de la recherche la plus poussée d’un corps animal peut servir de la manière la plus concrète.

La scénographie de la pièce est très chargée avec un décor qui se transforme, dans un premier temps intérieur de la maison de l’archiviste, puis extérieur/place de village et enfin salle du trône où règne le bourgmestre, les effets spéciaux sont nombreux, avec l’orage et le vent à l’extérieur de la maison au lointain dans le premier acte, la fumée, les disparitions et apparitions de Lancelot et les têtes du dragon qui tombent dans le deuxième acte et le coup de poignard (ainsi que la patte animée du cochon rôti) dans le troisième acte. Le choix général de maintenir une uniformité quasi parfait du noir et blanc dans la scénographie fonctionne très bien, surtout qu’il met fortement en relief les rares éléments colorés que l’on aperçoit : les lunettes vertes d’une des trois têtes du dragon, le orange du feu des bougies dans la maison de l’archiviste ou de la lumière du feu dans le ciel pendant la bataille, le rouge du sang lorsque les têtes tombent. La lumière et le son sont assez peu analysables, très présents (en volume et en fréquence), ils servent surtout à souligner les transitions entre les différents actes et décors ou encore les actions ou entrées spectaculaires. L’ouverture du spectacle est une projection d’une animation 3d (en noir et blanc toujours) accompagnée à la manière d’un son et lumière.

L’ensemble de ces éléments appuie sur le caractère « tout public » du projet, à ma sortie de la salle j’ai comparé cela à une production hollywoodienne : avec de tels moyens, cela ne peut que plaire, mais la question doit rester « est-ce que c’était la meilleure chose à faire avec de tels moyens ? ». En l’occurrence, j’ai beaucoup aimé le spectacle, mais j’ai trouvé le comique un peu trop présent, et en des temps aussi sombre que les nôtres quant à la montée d’un fascisme d’un nouveau genre, je trouve que cela est maladroit de montrer un bourgmestre « juste » fou (de pouvoir), je pense que l’époque nécessite un traitement plus tranché de l’autoritarisme et de ceux qui se permettent de remanier l’histoire à leur sauce pour légitimer des injustices.



2ème partie du sujet de bac blanc donné l'an dernier: sur la scéno du Soulier ( Proposition rédigée de Basile)

 

2 .Le Soulier de satin fait voyager le spectateur sur les quatre continents sur quatre journées qui correspondent à un long écoulement du temps. Antoine Vitez dans son Journal dit que ce sont les acteurs qui transportent l’espace avec eux. Comment comprenez-vous ce propos ? Si vous étiez scénographe, quelles solutions trouveriez-vous pour créer l’espace du Soulier de satin dans les deux premières journées. ( 12 points)

 

 

En rédigeant le Soulier de satin, Paul Claudel donne naissance à une oeuvre monde, peut-être héritée de Shakespeare bien qu’il ait  substitué aux velléités belliqueuses des guerriers anglais les considérations divines des catholiques espagnols. Uniquement dans les deux premières journées, l’action se déplace entre le beau milieu de l’océan atlantique, des maisons rues et jardins espagnols, palis royaux, château catalan, une auberge, le large du Maroc et la forteresse de Mogador, cadix, la campagne sicilienne, une forêt vierge en Amériques et même le plateau de théâtre lorsque l’Irrépressible rompt l’illusion théâtrale. Cette multiplicité de lieux, Yanis Kokkos le dit lui-même en tant que scénographe pour la mise en scène de Vitez représente un défi majeur dans le passage de l’œuvre de Claudel au plateau. Il est impossible de concevoir un décor complet pour chaque lieu mentionné par Claudel dans les didascalies, le défi de la scénographie du Soulier est donc la création d’un espace suffisamment polymorphe pour que par l’abstraction, l’imagination et le jeu des acteurs viennent animer cet espace, le public puisse y voir quatre continents et vingt années par la même occasion. Par « abstraction » et « imagination », j’entends des procédés qui sont tout à fait instinctifs aux spectateurs et fondamentaux dans les conventions théâtrales. Lorsque Vitez choisit un plateau bleu figurant la mer, très importante chez Claudel, le spectateur sait faire abstraction quand il faut ne pas considérer que l’ensemble de l’action est maritime, mais il sait aussi quand elle l’est comprendre que le bois au sol est un navire et le bleu plat et inerte une eau parfois mouvante ; l’imagination fait le travail. Le seul problème subsistant est celui alors du décor amené par le jeu : ce que Vitez entend lorsqu’il parle des « acteurs qui transportent l’espace avec eux ». C’est peut-être en raison de cette tâche que Robin Renucci incarnant Camille qualifie le travail su Soulier d’ athlétique » : les acteurs en se mouvant ont aussi à tirer avec eux le décor imaginaire et à y emmener le public. 

Lorsque Claudel voit Prouhèze « qui se démène au milieu des épines et des lianes entre mêlées », nul besoin pour Yannis Kokkos de figurer un dangereux ravin le jeu physique de Ludmila Mikael, rampante, éreintée, suffit à donner à voir au spectateur l’effort et la douleur. De la même façon, la scène première ne nécessite pas qu’on amène une épave au plateau, si l’annoncier sait mettre assez de poids dans ses mots pour que l’ekphrasis du dit « navire démâté » apparaisse aux yeux du public. De cette façon, il s’agit de doser entre une foi en les mots de Claudel qui peuvent beaucoup quand on les écoute et une capacité à ne pas s’y enfermer, ne pas tomber dans le jeu verbeux et porter le Soulier dans un exercice corporel « athlétique » pour être à la fois le personnage et l’espace dans lequel il évolue.

 A cette tâche-là, la nudité du plateau née de la collaboration Vitez-KOkkos correspond tout à fait. Sous un prétendu vide initial se cache en réalité une polymorphie d’espaces fascinante où quelques bateaux au sol sont une flotte gigantesque, un serviteur chinois et un peintre japonais amènent un bout d’Asie et où un presque maure et une servante noire sont tout un continent.

Si j’étais responsable d’une scénographie du Soulier de satin, je commencerai par me fier à la vision d’Olivier Py qui, en mettant en scène la pièce, y a vu une prémonition de la part de Claudel diplomate et voyageur d. Ce dernier entre La Chine, le Brésil et le Japon aurait pressenti la mondialisation qui fait aujourd’hui la norme. Ce constat devrait d’abord transparaître dans le choix du dispositif, le frontal et le bi-frontal laissent voir une frontière entre public et scène alors que selon les mots de Claudel ouvrant la première journée : « la scène de ce drame est le monde. » Pour traduire cette idée, je pense qu’un encerclement est possible : le quadri frontal fait comprendre que rien n’existe autour de la scène, qu’elle est le monde entier ; à l’inverse un dispositif comme celui que nous avons adopté lors de notre présentation de travaux correspond aussi avec le public au centre, regardant dans toutes les directions qui verra que tout existe autour, qu’il ya le monde représenté.

Une troisième idée serait de monter le projet en déambulatoire à l’air libre afin de faire parcourir furtivement aux spectateurs les kilomètres qui séparent les différents lieux de l’action, de plus, il est beau de jouer l’amour cosmique de ceux qui se rejoindront en étoiles sous le ciel directement. Peu importe le dispositif choisi, je pense qu’un certain dénuement doit rester de rigueur au plateau, comme dit plus haut à propos de la mise en scène de Vitez, cela laissera toute la place nécessaire aux acteurs qui amèneront l’espace avec eux. Pour se soumettre à l’esthétique du « provisoire en marche, bâclé » je pense que la totalité des costumes et accessoires devrait être de récupération, d’objets pré existants et peut être même uniquement ceux présents dans des lieux de répétition et de représentation. Les anachronismes nourriront le jeu comique et puisque « l’auteur s’est permis de comprimer les pays et les époques » et que la porosité spatiale a déjà été traduite dans le dispositif, celle temporelle peut  l’être dans les accessoires.

Dans le cas où le dispositif choisi n’est pas le déambulatoire je souhaiterais que l’ensemble des éléments et accessoires amenés par les acteurs restent au plateau tels quels quitte à être renversés ou déplacés dans les scènes suivantes par les acteurs qui en feront abstraction ou bien en profiteront dans leur jeu en improvisant. Ce faisant douze heures durant, la quatrième journée devrait se conclure avec une somme importante de bric à brac qui permettra une image finale puissante de Rodrigue, qui fut magnifique, maintenant posé comme un déchet au milieu d’autres, jeté dans les accessoires laissés là. Cela donnera une résonance toute particulière, je pense, à la réplique finale » délivrance aux âmes captives », jetée depuis cette image de déchéance. De plus la lecture moderne de la pièce reliée au capitalisme mondialisé accentue la conclusion faite au milieu des déchets qui fera écho à la situation écologique actuelle tragique.