mercredi 31 mars 2021

Le Munstrum théâtre et la réinvention du masque


 

« Le masque est pour nous un outil théâtral qui agit comme révélateur. » Lionel Lingelser

De quelle manière réinventez-vous le masque ?

L. L. : Ancestral, le masque initie un rituel qui permet d’atteindre quelque chose de plus grand que soi. Loin de tout archétype, le masque est pour nous un outil théâtral qui agit comme révélateur. Il crée un trouble, une étrangeté. Il nous déplace, nous transforme de manière ténue mais essentielle. Plusieurs de nos spectacles sont ancrés dans des atmosphères de fin du monde, où les humains essaient de se reconstruire et de s’aimer. Les masques que Louis fabrique, parfois semblables à une seconde peau, créent une sorte d’homme augmenté. Le masque oblige à une sincérité extrême, à une profondeur et une justesse éloignées de toute grandiloquence. Chaque spectacle génère un masque singulier, jusqu’au nez rouge du clown.

L. A. : Le masque nous a permis de travailler la transformation du personnage en prolongeant le plaisir ludique des comédiens que nous sommes. Il implique un travail choral et une respiration en commun. Il permet de réaliser un grand écart entre le comique et le tragique, entre l’effroi et l’enfance. Ce qui nous fascine, ce n’est pas tant le nouveau visage ainsi créé, mais ce qu’on ne voit pas, qui met en action l’imaginaire du spectateur. C’est pourquoi nos masques sont presque neutres, ils suppriment l’expressivité pour créer une émotion en creux, une projection. J’aime la rigueur et la technique que le masque impose. Pour Le Chien, la nuit et le couteau, j’ai travaillé une matière utilisée pour fabriquer des prothèses orthopédiques, très fine et légère, avec la couleur de la peau.

Voir leur spectacle 40 degrés sous zéro de Copi: site des Indépendances

Les Possédés d'Illfurth du Munstrum Théâtre

 Nous aurions dû voir le spectacle le mercredi 7 avril à 15h45 et depuis les annonces gouvernementales , nous savons que ce n'est plus possible. Je suis très triste car je ne sais si nous pourrons reprogrammer cette date en mai.

 

 Sur le site des Indépendances

 Nombreuses photos ainsi que le dossier de presse.

Louis Arene et Lionel Lingelser / Munstrum Théâtre

« On me raconte l’histoire des Possédés d’Illfurth depuis que je suis tout petit. Elle s’est passée dans mon village natal, en Alsace. Mon grand-père vivait dans la vieille maison de la famille Burner. Cette histoire m’a toujours fascinée. De quel « mal » étrange étaient atteints ces deux petits garçons ? Quel est ce « diable » qui a pénétré leur âme ? Si ces questions ont pu me hanter petit, aujourd’hui, d’autres interrogations surgissent. Comment nos croyances façonnent-elles notre rapport au réel, à la morale ? Pourquoi avons-nous besoin de croire ? Aujourd’hui, par quoi nous laissons nous posséder ? »

 Lionel Lingelser

 Il est des légendes qui hantent les mémoires villageoises. C’est le cas de celle des Possédés d’Illfurth, l’histoire de deux enfants supposés avoir été sous l’emprise de Satan. 150 ans plus tard, le comédien et metteur en scène Lionel Lingelser, natif de ce village, s’en empare à travers le regard du personnage d’Hélios, avatar fantasmé de l’enfant qu’il était. L’exorcisme d’Helios sera le théâtre, l’outil salvateur de la libération de la parole face à l’abus, qui lui permettra de retrouver possession de lui-même. Seul sur scène, Lionel Lingelser tire un fil imaginaire et poétique jusqu’aux deux possédés, interrogeant le rapport aux croyances et au mal.

 

Spectacle coup de coeur du Festival Momix 2021

Article dans le journal La Terrasse 

Sur le site l'Oeil d'Olivier 


Interview de Lionel 

jeudi 25 mars 2021

Espoir! Il y aura bien un Festival d'Avignon 2021 du 5 au 25 juillet.

Olivier Py a présenté mercredi 23 mars le programme du festival 2021. Rêvons!

>> Programmation sur le site du Festival

Il y a même une Cerisaie (mise en scène de Tiago Rodrigues dont nous aurions dû voir Choeur des amants à la CDC) !

Si vous voulez écouter et voir la présentation du programme, c'est ici.



Terminales: en savoir plus sur le masque de théâtre...

Dans le prolongement de la réflexion sur ce que le masque chirurgical fait à votre jeu et sur sa possible transformation en véritable masque de théâtre, faites pour lundi une rapide recherche sur le masque au théâtre pour lundi à partir des liens que je vous fournis :

Sur Molière de A à Z rubrique masque

Molière et les comédiens italiens 

Les masques de commedia dell'arte 

Petite Histoire du masque au théâtre 

Les masques au Théâtre du Soleil 

Le jeu de masque au Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine: Interview du facteur de masque Ehrardt Stiefel

Le masque dans l'Histoire de l'art 



Exposition Richard Mosse Incoming (à propos des "consciences " dans le NothingsLand)

En relisant le texte, lors de la séance je me suis souvenue de cette exposition à Nantes dans laquelle Richard Mosse avait pris des photos à la caméra à infrarouge de migrants ce qui les rendaient fantomatiques : Incoming

video qui explique l'exposition  (à suivre)



Séance du vendredi 19 mars (suite)

Après le travail sur la dramaturgie des Inamovibles avec Chloé, nous avons repris le travail des scènes de notre projet avec Emilie.

Au lieu du filage prévu, vous avez travaillé encore vos scènes et Emilie et moi sommes passées dans les groupes pour vous aider.

Pour répondre à la question de Luna sur ce qu'il faut noter dans le carnet de bord:

Pour la première partie de la séance: il faut noter ce que vous avez découvert sur le texte Les Inamovibles que vous n'aviez pas compris tout seul, ce qui vous a frappé, plus, fait réfléchir. Ce qui a peut-être nourri votre scène si vous jouez un extrait de cette pièce.

Pour la 2ème partie, notez les conseils qui vous ont été donnés, les suggestions de déplacements, de parcours., l'avancée de votre travail.

la séance du 26 sera entièrement consacrée au travail de jeu et nous ferons un bout à bout cette fois des scènes que nous avons déjà travaillées.

Séance du vendredi 19 mars (suite) - Les Inamovibles

La langue

1.Variété des registres de langue

- Vitalité des colères et des jeunesses, et traits de langue qui leur sont propres

- Saynète enchâssée avec Marguerite: tonalité grand guignol, humour du texte malgré la morosité du thème

- Langue inventive, imagée de Lamine («une belle Dubaï mûre, bien mûre», p.7)

- Langue sarcastiquement administrative de Post(jeu sur le verbe «passer» p.33)

- Média:pastiche des radios (p.34-35), accompagnés de changements typographiques, mentions de France 25 Africa 25 comme pastiches des chaînes d’information en continu France 24 et Africa 24.

Trois régimes cohabitent: passages rhapsodiques –de Lamine, d’Amadou –: une langue qui raconte; régime dialogique (voire régime théâtral avec la saynète enchâssée où Lamine joue «un invité»); régime épique (grande place du récit).

> Les inserts Chaine 1 et Chaine 2 viennent s’y ajouter, en rupture (distinction typographique): plus qu’un canal de communication, ils indiquent une transposition distancée de l’action sur un régime de représentation et rejoignent donc le plan méta théâtral également

> La langue du texte est très changeante en fonction des situations.Elle passe par des moments très poétiques (souvent signalés par le sens du signe «/.../») correspondant à des monologues intérieurs, soliloques, expression de la pensée mais aussi réflexions douloureuses sur l’état du monde et sur les tensions entre les personnages.La mise en page contribue également à ces moments de suspension poétique en passant parfois à des vers libres (par contraste avec le reste du texte), ou en insérant des moments de pause à l’aide de pages blanches, qui créent des trous dans la construction.Adresses:La plupart du temps il s’agit de dialogues où les répliques s’enchaînent, le plus souvent en bouclage serré, parfois en stichomythies (surtout pour les chœurs). Les adresses sont donc assez claires. Deux monologues intérieurs, témoignages des personnages «en cours de disparition», ménagent davantage de trouble:-l’adresse à un «tu» pour Malick, qui serait une adresse à sa femme s’il était au téléphone(monologue intérieur adressé à sa femme?) au tableau 1

- monologue intérieur deLamine adressé à sa mère (Mam), tableau 4


2. Poétique

- Sonorités et rythme

De nombreux effets d’assonances, de rimes internes à la phrase: «C’est ici que l’espace meurt tout autour de moi. Le jour s’es tévadé. Plus de phrase, plus de gyrophares, plus de sirènes, plus de courses, plus de poursuites. C’es tla gare. C’est l’attente; attente de départ. C’est le train des nuitards qui n’arrive pas.»(p.2).

Allitérations et anaphores: «Nous sommes tissés de toiles qui ne flottent pas, / Flottent pas dans les airs, flottent pas par le vent, flottent pas par les vagues, flottent pas» (p.12). LAMINE à la scène 4 (pp.13-14) avec récurrences de «toiles», «tissages» «nous sommes tissés», «flottent»,etc.MARIAME: «toutes sortes de bris et brides,un peu dressés, un peu débridés»(p.24)

La langue est rythmée, presque slamée, rimes internes, échos: «Vraiment pas besoin de pourquoi tout ci et tout ça ne peuvent pas s’entendre pour désactiviter tout ça afin que Tutsi, Hutu2et tout ça changent unefois pour toutes de face à la face du monde» (2èmecolère, p.39).«Juuuuuuuuusqu’en. » (p.19) [mot pouvant former phrase tout seul], Lamine: «la course, fuite, la course-poursuite»(p.14).

Le rythme est réglé par le texte:le tableau 1 dure le temps d’une cigarette. De nombreuses scènes en stichomythies s’opposent à des tableaux composés uniquement de longs monologues ou de longues tirades. Distinction du rythme des moments signalés par «/.../» en vers libres, ainsi que de la scène finale en vers libres.

- Métaphores

Elles abondent dans le texte(didascalies comprises)et lui confèrent une dimension lyriqueet une épaisseur symbolique essentielle.On note par exemple la récurrence de l’image des toiles(p.11: «des toiles dans ma tête», «des tissages étoilés» -«tissés de toiles» -«toiles solides» p.13),et de celles qui filent l’eau: MARIAME «l’espace [...] il coule goutte à goutte dans la rivière de l’oubli» p.24,LAMINE «D’autres, humaines salées, marinées à mort dans la Méditerranée» (p.14)

- Jeux sur les répétitions, le sens des mots

Répétitions qui forment des parallélismes dans le texte qui avance: Lamine «Tout devient noir, il me semble que je deviens une portion de ce noir. / Fardeau. Je suis fardeau flottant». (p.18) et«Tout devient noir, tu deviens une portion de ce noir. / Fardeau Tu es fardeau flottant.» (p.43)Paronomase sur la «tête» (p.36), antanaclase: ex: «Avant de gagner l’argent qu’on aura, il faut qu’on ait gagné la Méditerranée» (p.37).Jeux de mots sur le verbe «passer» et «le passé» (p.33), «Conjonction de condamnation» (p.35), «Point barque» (p.41), champs lexicaux filés: «Plus de phrase, plus de gyrophares, plus de sirènes, plus de courses, plus de poursuites.» (Malick, p.2).Jeusur les homophones pour faire aborder des faits historiques ou politiques par la bande (jeu sur «clauses de confidentialité» / «clauses de clandestinité» p.51

Lamine possède de nombreux passages manifestes, qui font de lui l’avatar de l’auteur: «Que tout devienne histoire. / Tout est devenu histoire sans tête ni cervelle comme un divorcé social et ses actes qui tremblent. / Puis, tissons tout! / Que ça devienne voile. / Une, deux, plusieurs à la fois / Toutest devenu voile d’histoires mêlées.» (p.14) -«Je vendrais des histoires pour amasser des consciences» (p.17)

Séance du vendredi 19 mars (suite) - Les Inamovibles

 Quête des personnages: une quête de l’identité 

Le processus de l’immigration (dans ses deux mouvements: le désir d’ailleurs, l’attente ou le désir de retour) est traité comme un phénomène reposant sur une question plus large, qui anime les personnages: la quête de l’identité.  

C’est chez Lamine que cette quête est formulée la plus clairement. Cette trajectoire débute dès le tableau 3 (tirade-manifeste adressée à sa mère).Dès l’ouverture, Mariame interroge la légitimité du départ de son fils:

 «MARIAME. (exaspérée)[...] Déconstruire! On ne déconstruit pas ce qu’on n’a pas construit, Lamine. Les autres ont construit. Que les autres déconstruisent» (p.8). Lamine cherche à s’émanciper, à se confronter à ses limites: «Mes réponses, je veux les rencontrer moi-même, je pourrais les fabriquer moi-même, les bricoler oui, les bricoler mais qu’elles soient mes propres bricoles, qu’elles sortent de mes propres craintes, mes propres quêtes, mes fautes aussi, au moins qu’elles soient miennes.» (p.11).Il n’exclut pas sa mère de son futur (il reviendrait la chercher, p.8).Car à travers son désir d’ailleurs, s’exprime un désir de l’autre, une forme d’altérité généralisée, comme bien universel:

 "Les autres, c’est moi, Mam. C’est moi, déplacé dans d’autres parts du monde; moi existant,moi né, moi ayant vécu, vivant, travaillant, courant, tombant, mourant et ressuscitant dans d’autres parts du monde. Les autres, c’est toi et moi, et toi et moi sommes les autres d’autres qui prévoient, ou pas, d’aller dans les autres parts du monde que toi et moi occupons pour un temps court ou long, mais un temps. Juste le temps que ça se renverse et que nous occupions une autre part du monde quand d’autres occuperaient celle qui fut la nôtre, un temps.» (p.8)

 Ce vœu, tragiquement, le liera pour finirà ses camarades d’infortunes, une série «d’autres»qui périssent comme lui: «Jafissou, Marhoine, Alfred, Fayssal, Mounirath, Mbonke, Fullibert, Nazif, Mamoudhou, Basile, Adja et son bébé Nabil, Koum ... Je ne suis pas seul.» (p. 50)

 Dès lors, le sentiment d’appartenance au lieu d’où l’on vient participe à l’identité;cest peut-être la seule chose tangible sur laquelle elle se construit.Dans l’entre-deux entre vie et mort, Lamine est ramené à ce sentiment :«Tout ce que j’ai maintenant, tout ce qui me reste, c’est le sentiment. / Oui, je crois, le sentiment, je l’ai; il est à moi; il me reste / De flotter sur un ciel palpable. / De flotter sur les terres rouges ocre, ou bleues-transparentes, qui me donnent le sentiment qu’elles me connaissent depuis si longtemps. / Qu’elles ont entend uparler de moi, de mon histoire, une fois, ou deux fois, ou plusieurs milliers de plusieurs fois.» (p.15) 

.Cette vie que se rêvait Lamine efface sa vie d’avant, ne lui laissant que ce sentiment d’appartenance: «POST. Prenez un bout de papier et déposez-y votre vie, ou... votre non-vie.LAMINE. Impossible.POST. Oubliée?LAMINE. Effacée. [...] Tout ce que je veux, monsieur, c’est retourner chez moi, je suis fatigué/»(p.34)»Dans le tableau8, la question de son identité semble se cristalliser autour de l’intériorité, et du vide qui l’habite, un sentiment d’incomplétude. Les rêves de Lamine sont le dernier rempart de son être:«J’ai déjà laissé tomber ma famille, mon nom, mon identité. J’ai laissé tout ça, derrière. Et maintenant vous voulez que je jette tous mes rêves? Par-dessus bord?» (p.41)«Voilà ce que je suis. Je l’étais même avant de m’en rendre compte. J’avais les yeux grands ouverts et ça ne me suffisait plus, je voulais voir, me voir dans les yeux des «autres». [...] J’avais décidé que la limite de la marche n’était ni la barrière, ni les frontières, ni la mer, encore moins la Méditerranée, ni l’identité, ni les papiers qui la portent, encore moins les pièces en papier, ni le désamour des autres, ni leur haine, ni leur peur, mais uniquement le vide. Ce vide de nous-mêmes face au monde Mariame et Amadou énoncent quant à eux en termes politiques et métaphysiques cette perte d’identité qu’ils comprennent comme un phénomène social plus large,une maladie de l’époque: 

MARIAME «Nous sommes dans ce siècle où les hommes ont perdu l’humain en eux. Ils sont à l’envers. Ils donnent toits, lits, repas et habits chauds à des chats; mais à des humains, c’est la rue,son grabat, la nudité grinçante des nuits, le pied du mur. Ils sont à l’envers, Lamine. Et Dieu est absent, qu’il me pardonne» (p.10) 

Dans le régime métaphorique du purgatoire, les êtres qui demandent le droit de retour ne sont plus des vies, mais des consciences. POST: «le retour des consciences vers la terre natale» (p.33);

 AMADOU «Ce qui est assis, c’est un ensemble incohérent de présence diffuses et de diverses contenances. Des formes presque humaines, souvent sans les choses qui les humanisent le plus: mobiles un temps, immobiles un... [...] Ce sont des consciences! Elles sont craquelées par le vide d’elles-mêmes et l’affront de la mort, comme l’argile quand la sécheresse a aspiré d’elle toute ligne d’eau. Au départ, elles sont projetées dans le monde, portées par la vague fascination de l’inconnu, et elles se sont jetées contre des murailles, et s’étant fracassées elles viennent se déposer là, choquées, déchues, nues, dans l’attente d’une deuxième mort, peut-être.» (p.24)

Premières: séance du vendredi 19 mars

Discussion sur les Inamovibles avec Chloé Marchandeau, la dramaturge du TNS. (2H)

Je remets en ligne certains aspects qui ont été traités pendant la discussion afin que vous puissiez préparer vos arguments pour la séance où nous débattrons du texte que nous préférons.


Le cadre spatio-temporel: Lieux 

L’action repose sur une alternance de lieux réels (sinon réalistes) et des lieux plus abstraits,voire qui relèvent de l’imaginaire, parfois précisés par des didascalies. 

 1 tableau en Europe (le 1er) / Tous les autres tableaux sont en Afrique 

-2 tableaux situés de façon réaliste en Afrique (le 3eet le 5e) 

-2 tableaux sur la côte et en mer Méditerranée, entre l’Europe et l’Afrique: on reste près de la côte africaine (4eet 8e) 

-2 tableaux dans le Nothing’sLand (7eet 9e)

 -1 ou 2 tableau.x face au phare, sur un pont au-dessus du Nothing’s Land (6eet le 10epourrait s’y dérouler)

 -1 ou 2 tableau.x non situé.s (2eet 10ème)

 Le tableau 10 reprend les personnages du tableau 6 et leur dialogue évoque l’attente et le phare, comme s’il s’agissait pour eux d’un lieu de prédilection. Mais ce tableau est aussi un épilogue, volontairement désitué,les deux personnages-acteurs restant «debout, côte à côte» (p.57).

 La présentation typographique est également différente, avec des retours à la ligne (vers libres), conférant un statut différent à la séquence. 

1.Lieu: gare de train (Suisse p1-3, personnage de Malik

2. P5 ?

3. Un endroit éclairé par une lanterne p7 (En Afrique), personnages Mariame, Lamine( p7-12

4 Surface des eaux, personnage Lamine p13 -18

5 "Ambiance quartier africain ( potenttiellement Conakry) p19 4 jeunesses ( P19-22

6. Phare, pont au-dessus du Nothings Land P23 personnages: Amoudiu, mariame + présences diffuses "ce sont des consciences p24 (22-32

7. L e Nothings land avec la cabine de Post, personnages Pos-lamine (33-38

8. "des gens assis comme dans des barques en mouvement sur l'eau. la barque prend l'eau, des écalirs dans le ciel" P39 Méditerrannée- récit depuis le Nothings lan personnages: 3 colères et lamine ( P39-44)

9. Le Nothings lan ( personnages Post, lamine, marguerite) P45-56

10; "ce phare" personnages Mariame et Amadou p 57


Que deviennent ceux qui veulent rentrer ? Limmigré, face à l’échec de sa migration, devient apatride; il se retrouve dans le Nothing’s Land. LNothing’s Land(évocation du Lieu de Nulle Part ou du Neverland, «Pays imaginaire»de Peter Pan), tel que décrit par Mariame, développe une dramaturgie du fantastique:«L’espace...est...sans limite. Il coule goutte à goutte dans la rivière de l’oubli. On le voit fuir notre regard. Il s’érode sur les bords, s’évapore... Un non-monde où le monde tente vainement de pousser. Des boules de fumée habitent l’air. Du brouillard [...].Sous le brouillard, un endroit nomade, des roches noires, grosses, des bidons noirs, parfois jaunes, des bouts de chaussures sans pieds, des pieds sans empreintes de pas, des pas sans bruit, des boîtes de conserve usagées, des vêtements solitaires volantparfois, un poste équipé d’un détecteur de conscience et surmonté d’un gyrophare; on y trouve garées des choses égarées et récupérées par les garde-postes [...]» (p.24)Le texte distille cependant des indices d’ultra-réalisme: le Nothing’s Land est une version symboliste, allégorisée, des camps de réfugiés où se dilate une attente infinie («des bidons», «des chaussures», «des pas sans bruit»,«des boîtes de conserve», du «gyrophare» (p.24), l’appel «au mégaphone» (p.26), «la procédure»,«les formalités» (p.31)), et où il est demandé aux individus de se raconter pour justifier de leur présence (lançant la course au récit le plus sordide)

Pour la question du temps, je vous distribuerai vendredi prochain une frise chronologique .


Lumière et obscurité 

La pièce joue sur ces deux polarités et les valeurs qui y sont associées.

La lumière est généralement symbole de connaissance, de vérité, de lucidité, tandis que l’obscurité, angoisse du néant, rappelle l’obscurité de l’enfer. Dans les références archaïques aux figures de prophètes et prophétesses, le fait d’être aveugle peut cependant signifier ou bien l’accès à une vérité invisible aux yeux des non-initiés, ou bien l’insupportable de la vérité (Œdipe). Le texte insiste sur cet aspect  avec les occurrences aux«pupilles», aux «yeux», aux «paupières» et à la cécité du duo d’anciens (ex: Lamine:«peu importe qu’ils me sucent les yeux, de toute façon les yeux je n’en ai plus besoin dans ce noir» p.17 / J’avais les yeux grands ouverts et ça ne me suffisait plus, je voulais voir, me voir dans les yeux des «autres». Y avait-il une chance de voir des yeux mobiles, sans paupières, y avait-il la moindre chance de traverser des regards dénués de teinte, qui ne seraient ni blanc, ni jaunes, ni noirs? De voir, tout voir, tout sauf des barbelées, des grillages, des patrouilles» p.53). Pour Amadou, à qui «ce phare a volé [l]es yeux» (p.26), cette double lecture s’applique: à la fois un personnage de sagesse, e tun homme figé dans l’attente, qui ne peut se résigner à admettre l’illusion, le «mirage» qui fait croire à un possible retour des êtres perdus, bien qu’il la dénonce à la toute fin. «Quand on s’extirpe de sa lumière, / Qu’on ferme les yeux, / On voit qu’il manquait des milliards de couleurs pour que tout soit clair. / Que tout n’était que mirage, illusion.» (p.57)Plus que l’invisible, c’est la question d’un visible qui se dérobe qui est ici thématisée:frustration du regard avec Malick (tableau1) qu’on perçoit mais qui peut ne pas parler directement, ou encore dans le tableau 3, perception frustrée de Lamine et Mariame, dont on n’entend que les voix. Le phare symbolise à lui seul cette duplicité:il chasse le noir, mais sa lumière a pour effet non pas de permettre de voir, mais d’aveugler, de dérober le regard. (Parallèle possible avec Chérie.s de l’ombre, cf. les spectacles de Claude Régy, une «lumière d’outre-tombe», Régy disant que la lumière a le pouvoir de changer la nature des choses). Traitement scénographique: un espace scénique riche de nombreux éléments et points de vue, donc complexe à transposer (Nothing’s Land, quartier africain, phare, cabine de Post vue de l’extérieur, intérieur de la cabine de Post, barque, vagues, surface des eaux... etc.). Le rapport de verticalité est également très important: Mariame qui veut «descendre»pour chercher Lamine, chute de Malick sous le train, Lamine passant par-dessus bord, etc


Frontières: migration, voyage, passage

On note la récurrence des lieux d’entre-deux, de transit, en lien avec la thématique du départ/retour et de la migration: la gare, la barque au milieu de l’eau, le phare qui par extension évoque l’univers côtier, le poste-frontière du Nothing’s Land.

C’est l’une des thématiques clef, déclinée de manière littérale, métaphorique, poétique:

 -MARIAME «Va à tous les bouts de tous les autres mondes que tu veux et ne reviens pas. [...] Va et reste! » (p.7)

 -LAMINE «Je reviendrai. C’est chez moi ici, Mam. Rien ne m’empêchera de revenir». (p.6) / Visa gagné à la loterie (mensonge, p.7-8) 

-MARIAME«Si tu crois vraiment qu’ici c’est "chez toi" tu dois reconnaître l’existence d’autres parts du monde comme étant des "pas chez toi"» / 

LAMINE«Où s’arrête donc le "chez moi" et où commentl es "pas chez moi"? Faut déconstruire tout ça.» (p.8) 


La migration 

«Les nuits, je ne dors pas. Je rêve. Je rêve d’un retour pas comme j’ai rêvé du départ. Ça ne finit pas comme je voulais, alors je reste en éveil. J’attends. Comme tous ceux qui attendent. Que quelque chose arrive. Mais je n’en peux plus d’attendre. Je me demande... Je me demande ce qui arrive quand on voyage sous un train.»

 Abordée surtout par le prisme du retour et de l’attente de ceux qui restent (un angle de vue extrêmement rare),la migration est ici saisie comme un désastre.Malick s’interroge beaucoup sur ce qui l’attend, la façon dont il pourra assumer la honte de son échec, sur les comptes que lui demanderont ceux qui l’ont aidé à partir. Corroboré par les Jeunesses, qui estiment que revenir chez soi ouvrir une épicerie alors qu’on a pu aller en France est honteux, cette pression dont témoigne Malick dénonce le fantasme (cf. les «rêves» de Lamine sur la barque des migrants) d’un éden européen contre une Afrique miséreuse. On retrouve l’idéalisme des pays visés par les migrants: (richesse du Nord, technologie à portée de main, fortune qui se propage dans le cercle familial, etc.). Pour les Jeunesses, même la mort est préférable ailleurs. Dans cette opposition entre le fantasme du départ et la pression de l’échec,réside la tension dramatique: la résistance de ceux qui restent (Mariame, Amadou;les Jeunesses) ne parvient pas à désamorcer la catastrophe, qui semble se répéter immuablement. La possibilité du retour de Lamine enterre natale, ne serait-ce qu«en conscience», vient,un tempsrésorber cette sensation de fuite inexorablemais cet espoir retombe très vite:comme Malick il subit une double mort (sous le train à létranger/en vidéo au pays)

Les «ventres creux» (p.27), et l’image de la faim concrète comme métaphorique, sont une autre déclinaison de cette problématique. AMADOU: «Oui, il y a un creux dans le ventre de nos enfants, qui les bouffe comme du poisson séché. Oui, c’est une gueule mal ouverte dans le silence des siècles, ça ne date pas d’hier, ça ne finira pas demain. Mais qu’on tente de les retenir ou pas, ils finissent toujours par trouver une raison de s’y jeter, alors moi, ce que je fais, je les laisse trouver assez de colère pour le boucher d’eux-mêmes.» (p.26)


Frontières Sud-Nord

La ligne de séparation économique et symbolique que constitue la frontière Sud-Nord s’exprime tout particulièrement dans la bouche des Jeunesses (qui sont restées au pays ou pas encore parties?), avec l’idée d’un «Nord» riche et opulent: «Les plus riches, c’est le nord, les plus pauvres, c’est le...», «Il paraît qu’en Suisse, on ramasse des télévisions écran plat, comme ça, dans la rue» (p.22).Le fait que rejoindre le Nord demeure une illusion de bonheur est cependant presque aussitôt formulée: «Ils se jettent pour les mêmes raisons que des jeunes Chinois ou Suédois qui, torturés par la monotonie écrasante de leur vie, se jettent un matin depuis leur fenêtre» (p.28).Les Jeunesses sont lucides sur l’exploitation dont le continent est victime, qui les réduit au rôle de«ramasse bauxite» pour le Nord: «le coltan, le bois, la bauxite, l’uranium» (p.21), les ressources naturelles extraites du sol del’Afrique, sont les richesses indispensables au développement des nouvelles technologies;


Les outils pour dépasser les frontières 

L’univers des nouvelles technologies (smartphone, réseaux sociaux) et celui du foot sont évoqués tels des promesses de connexion Nord-Sud: -vidéo de la mort de Malick voyageant jusqu’en Afrique, Tweets évoqués par Amadou et Mariame AMADOU. Bien sûr que non. Elle ne tweete pas. Elle gronde l’Afrique. [...]»). -vivier métaphorique du foot: p.14-15, petit passage du monologue sur le foot; p. 34 POST. «Oui, vous qui êtes parti en dribblant le protocole de départ»; p.49«Champions League»; monologue: ballon qui dégonfle à lui qui se dégonfle et perd espoir.