samedi 28 septembre 2013

Le silence avant la parole (texte lu par Sandrine)



Le silence avant la parole 

Rejeu et jeu (Extrait de son livre: "Le corps poétique" de Jacques Lecoq)

"Nous abordons l'improvisation par le rejeu psychologique silencieux. Le rejeu est la manière la plus simple de restituer des phénomènes de la vie. Sans aucune transposition sans exagération, dans la plus grande fidélité au réel, à la psychologie des individus, les élèves font revivre une situation sans souci du public : une salle de classe, un marché, un hôpital, le métro ...
Le jeu intervient plus tard lorsque, conscient de la dimension théâtrale, l'acteur donne un rythme, une mesure, une durée, un espace, une forme à son improvisation, pour un public. Le jeu peut être très proche du rejeu ou s'en éloigner fortement dans les transpositions théâtrales les plus audacieuses; il ne dit cependant jamais oublier le point d'ancrage dans le réel.
Une grande part de ma pédagogie consiste à faire découvrir cette loi aux élèves. Nous commençons par le silence car la parole oublie, le plus souvent, les racines dont elle est issue. Dans toute relation humaine, deux grandes zones silencieuses apparaissent : avant et après la parole. Avant on n’a pas encore parlé; on se trouve dans un état de pudeur qui permet a la parole de naître du silence, donc d’être plus forte en évitant le discours, l’explicatif. L’autre silence est celui d’après : quand on n'a plus rien à se dire. Celui-là nous intéresse moins !
Les premières improvisations me servent à observer la qualité de jeu des élèves : comment jouent-ils des choses très simples ? Comment se taisent-ils ? Certains pensent être dans une contrainte qui leur interdirait de parler, or je n’interdis rien, je leur demande simplement de se taire pour mieux comprendre le dessous des mots. On ne sort de ce silence que par deux voies : la parole ou l’action.
A un certain moment quand le silence est trop chargé, le thème se libère et la parole prend le relais. On peut donc parler mais seulement si cela est nécessaire.
L’autre voie c’est l’action : je fais quelque chose. Au début les élèves veulent absolument agir, provoquer gratuitement des situations. Faisant cela ils oublient complètement les acteurs et ne jouent pas avec. Or le jeu ne peut s’établir qu’en réaction à l’autre. Il faut leur faire comprendre ce phénomène essentiel : réagir c’est mettre en relief la proposition du monde du dehors. Pour jouer rien ne sert de chercher en soi sa sensibilité, ses souvenirs, son monde de l’enfance.
L’attente est le grand thème pilote qui domine les premières improvisations silencieuses. Le principal moteur de jeu se trouve dans les regards : regarder et être regardé. Dans la vie on attend tout le temps avec des gens que nous ne connaissons pas... au bureau de poste. Cette attente n’est jamais abstraite elle est nourrie de différents contacts : on agit et on réagit."