MAURICE
ABITEBOUL : LE THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE
Maurice
ABITEBOUL montre comment, dans Hamlet, « représentation théâtrale, certes, la
pièce apporte aussi au spectateur la re-présentation d’une action que le
protagoniste projette hors de sa conscience pour lui donner vie – une seconde
vie – sur la scène ».
On assiste
ainsi dans la pièce à diverses mises en abyme, situées à des niveaux différents
de représentation. La plus célèbre, celle qui occupe une place centrale dans la
pièce, la fameuse scène de « la pièce dans la pièce » précisément, nous permet
d’observer les réactions du prince Hamlet devant la manière dont se comportent
le roi et la reine lors d’une pantomime et d’une pièce censées « prendre la
conscience du roi ». « Observer, scruter, ce sont bien là des postures de
spectateurs : il est clair, en effet, que pour Hamlet et Horatio, le spectacle
est alors dans la salle et non pas sur la scène seulement ».
Cette scène offre
ainsi des reflets, ou des échos, de la mise en abyme et, de ce fait, « signale
la mise en œuvre dans Hamlet d’une multiplicité de points de vue, soulignant
ainsi un sens de la pluralité et de la relativité propre à l’esprit baroque du
temps ». Chacun des personnages de la pièce, en
vérité, est, à un moment ou à un autre, « le sujet de l’intérêt ou de la curiosité d’un
autre personnage qui, à son tour devenu
spectateur, l’observe et le scrute, faisant alors de lui la cible de son regard
». C’est ainsi, par exemple, que Hamlet et le roi Claudius sont, l’un et
l’autre, tour à tour, « l’objet et le sujet d’une perception théâtralisée »
(scène où Hamlet et Ophélie sont espionnés par Claudius et Polonius à l’affût ;
scène du roi en prières sous le regard d’Hamlet).
La « scène de l’alcôve », où Polonius, trop curieux, dissimulé derrière une tenture, est assassiné par Hamlet,
constitue un chef-d’œuvre du genre. Tant d’autres encore seraient à citer :
scène du cimetière, pour l’enterrement d’Ophélie (scène spectaculaire et
pathétique), scène finale du duel entre Laërte et Hamlet, mise en scène et
supervisée, en quelque sorte, par Claudius, véritable « organisateur de
spectacle » (scène à la fois spectaculaire et dramatique). Il n’est pas jusqu’à
la scène inaugurale de la révélation du Spectre faite à son fils qui ne
participe de cette mise en abyme généralisée, fonctionnant véritablement «
comme une scène primitive évoquée en tant que
théâtre dans le théâtre».
Dans ce cas,
comme dans tous les autres, « la re-présentation vivace de la scène évoquée, véritable scène dans la scène , fonctionne en
effet comme in stimulus dramatique
destiné à restituer un moment théâtral
dans toute sa force et toute son intensité ». Le spectacle dans le spectacle a alors pour
effet de « créer une distance (temporelle ou/et spatiale) qui favorise la
méditation ». On peut en conclure que « l’instant de la présence dramatique, l’instant présent de la
présentation, [...] a toujours tout à gagner du jeu de la re-présentation– et
donc d’une mise en abyme qui lui donne tout son relief .
Dans Hamlet on peut distinguer six « souricières »
ou situations piégées qui jouent un rôle dramaturgique capital.
1. 1
Entretien Hamlet-Ophélie (III,1), piège tendu à
Hamlet par Claudius et Polonius. Ophélie leur sert d’instrument. Hamlet se
laisse prendre mais c’est Ophélie, abandonnée par le Prince qui fera les frais
de l’opération.
2.
2. Le spectacle du meurtre de Gonzague (III,2)
Piège tendu à Claudius par Hamlet. Claudius se laisse prendre selon Hamlet,
mais Hamlet lui-même apparaît comme dangereux à Claudius, double révélation
donc.
3.
3. Entretien Hamlet Gertrude (III,4) organisé
par Polonius. Cela se termine par la mort de celui-ci, pris à son propre piège.
4.
4. Lettre de Claudius (IV,3) visant à faire mourir
Hamlet envoyé en Angleterre. Guet-apens découvert par Hamlet qui renverse la
situation et tend à Rosencrantz et Gulidenstern un contre-piège.
5.
5. Contre lettre (V,2) substitution des lettres
par Hamlet. Les deux faux amis sont morts.
6. 6.
Poison ( V,2) Une épée empoisonnée et une coupe
empoisonnée mettent fin à la vie d’Hamlet mais celui-ci entraîne dans la mort l’instigateur
du piège Claudius.