Une très intéressante interview d'Adel Hakim
http://inferno-magazine.com/2012/04/04/la-figure-politique-dantigone-entretien-avec-adel-hakim/
Début:
Inferno : Pourquoi l’Antigone de Sophocle est-elle encore actuelle aujourd’hui?
Adel Hakim : En fait, ce qui est très étonnant dans
la pièce de Sophocle, c’est qu’elle aborde de très nombreux aspects de
la société et de la politique. C’est une pièce assez courte mais qui,
malgré cette concision, aborde de très nombreux sujets.
Le sujet de la généalogie, par exemple, puisque l’histoire d’Antigone
ne se réduit pas simplement à ce qui se passe dans la pièce elle même
[…] : Œdipe qui veut échapper à son destin mais va faire ce pourquoi
qu’il a été programmé, c’est-à-dire tuer son père et coucher avec sa
mère. Jocaste et ses quatre enfants: Ismène, Antigone, Etéocle, Polynice
et Etéocle et Polynice qui vont s’entretuer. Bref, ce qui est
intéressant déjà avec Antigone, c’est qu’elle est le fruit de toute
cette lignée-là: extrêmement complexe et extrêmement tragique où les
identités ont du mal à se définir, où il y a des conflits de famille
assez terribles. […] Donc il y a peut-être cette généalogie où les
hommes ne peuvent pas s’empêcher d’être extrêmement violents et les
femmes d’être extrêmement amoureuses […]
Et je pense que le grand problème de notre époque est qu’elle montre
les événements comme s’ils étaient ponctuels : c’est le grand problème
de la télévision c’est-à-dire la perte de relation à l’histoire, à
l’histoire des événements. La, il y a eu cet assassin de gamins, Mohamed
Merah. Personne ne cherche à comprendre quelle est l’histoire de ce
jeune homme, pourquoi il en vient à ça.
C’est une tragédie, c’était un meurtrier il n’y pas des doutes mais
Œdipe aussi est un meurtrier et pourtant c’était une des plus grandes
figures mythologiques de l’histoire de l’humanité parce que il est relié
à une histoire. Et sans glorifier le meurtrier, je pense que c’est très
important de raconter les origines d’un processus tragique […] La force
de la tragédie et de la mythologie grecques est qu’elle est toujours
généalogique et que le public qui allait voir ces pièces savait qui
était Antigone, connaissait tout son passé. Cela faisait partie de la
culture, et je dirais même que cette question de la généalogie est liée à
la culture. Si les gens ne sont pas instruits sur l’histoire de leur
culture, alors on entre dans le choc des civilisation.
La culture, c’est tout l’inverse du choc des civilisations: Le
Mahabharata, Les Mille et une nuits, ou l’Odyssée, proviennent de trois
cultures complètement differentes mais elle s’enrichissent les unes les
autres. C’est génial : lorsque Peter Brook a monté le Mahabharata, on a
découvert en Occident qui était le Mahabharata. Que les Palestiniens
rencontrent Antigone, cela montre bien qu’il n’y pas de choc de
civilisations et que Sophocle raconte quelque chose aussi bien
d’occidentale que d’orientale ou, surtout, d’universel. La culture est
universelle mais pour ça il faut faire le lien avec le généalogie donc
voila pourquoi Antigone est intéressante.
Ensuite, la pièce parle des rapports entre les hommes et les femmes:
très nettement, Creon ne supporte pas qu’une femme puisse le
contredire. L’acteur Hussam Abu Eishehil le rend très bien : Creon a
pris une décision et le fait qu’une jeune femme, même très jeune, très
mignonne, très belle vienne s’opposer à la loi qu’il a dictée, lui est
insupportable. Je crois que ceci, évidement, est très exacerbé dans le
société orientale.(...)