jeudi 5 décembre 2013

Une analyse de spectacle très réussie: Celle de Guitou par Elodie

Analyse de spectacle : Guitou (Fabrice Melquiot – Guy Pierre Couleau)

Élodie Grasset 702 

 

Autour de la représentation
Nous avons assisté au démarrage de la nouvelle saison de la Comédie De l'Est, le mardi 1er octobre 2013, avec le lancement de Guitou, une pièce écrite par Fabrice Melquiot et mise en scène par Guy-Pierre Couleau. C'est également une création, puisque la pièce n'avait encore jamais été portée au plateau.
Elle a donc été jouée dans la grande salle de la Comédie De l'Est, spécialement aménagée en une salle plus petite et plus restreinte, ce qui a déjà été source d'étonnement, mais aussi de questionnement pour le spectateur. En arrivant dans la salle, on découvre une ambiance feutrée, une scène masquée par des rideaux, et on se rend compte du faible nombre de sièges : en effet, Guitou est une pièce que Guy-Pierre Couleau a choisi d'offrir à un nombre restreint de spectateurs pour chaque représentation. 

Quatre personnages y sont mis en scène. Des parents, Fabrice et Petite Amie, leur fille Armance, et l'ami d'enfance de Fabrice, Guitou. C'est par ce dernier personnage que va s'effectuer le bouleversement du temps entre passé et présent, qui sera le fil directeur du spectacle.
C'est une oeuvre destinée à un public de tout âge, recommandée dès 8 ans, puisqu'elle traite elle-même du thème de l'enfance. Quatre comédiens unis dans leur rôle de famille constituent cette pièce mêlant la douceur de l'enfant avec toutes les significations que celle-ci peut donner. Or, Fabrice Melquiot n'écrit pas pour les enfants, mais ils les prends comme point de départ de son écriture : c'est ainsi qu'il a donné naissance à Guitou, un texte d'un retour vers le futur, mais aussi d'un bond dans le passé, pour aboutir à un présent libéré de question et de doute.
Dans les vies des personnages, nous retrouvons tous une part de nos propres vies, et leur histoire est aussi la nôtre.

La scénographie :
En ce qui concerne l'espace théâtral, il est formé d'une scène toute en longueur, une sorte de praticable simplement posé au sol, et les spectateurs sont installés de chaque côté de la scène, en bi-frontal. Les spectateurs peuvent donc rentrer par deux entrées différentes, de chaque côté. Pour cette mise en scène, la grande salle est complètement remaniée pour créer un espace plus petit, plus confiné, une sorte de cocon de tendresse et d'intimité, tout comme celui qui existe entre les deux parents et leur fille : leur maison représente leur bulle, là où ils sont le plus en sécurité. Les spectateurs semblent aussi plus proches les uns des autres, réunis dans l'histoire qui vas être racontée par les comédiens, puisque seulement trois rangées de sièges sont installés de part et d'autre de la scène. 

Tout d'abord, lorsque nous entrons dans la salle, une coupure nette est dessinée entre le public et l'espace de jeu : de grands rideaux bleus pastel fermés, mais qui laissent voir en transparence les premiers aménagements de la scène, ainsi que l'autre partie du public en face de nous. Cette mise en place est intéressante, car nous pouvons voir et comparer les réactions des autres spectateurs à la vue de la mise en scène, avant que la pièce ne commence. On peut se demander si les rideaux vont rester fermés pendant tout le spectacle, ou bien s'ils vont s'ouvrir, ou encore comment les comédiens pourraient s'en servir dans leur jeu.
Si tout cela porte déjà au questionnement, ce n'est pas sans juger le détail de l'espace scénique: nous pouvons apercevoir dès l'entrée dans la salle, une forme cylindrique de couleur claire, blanche ou jaune, posé au centre du plateau et retenu par les câbles de la machinerie, qui sont visibles. Là aussi, des questions viennent à l'esprit : est- ce que cela vas se soulever, et à quelle hauteur, ou est-ce qu'il vas rester posé au sol ? Pour ceux connaissant déjà le thème du spectacle, qui est celui de l'enfance et des souvenirs, la forme circulaire peut déjà être assimilée au cercle de la vie, à la circularité des souvenirs, puisqu'ils ne connaîtront pas de fin tant que quelqu'un ou quelque chose les fera vivre, mais aussi encore à une circularité possible des mouvements des comédiens. Effectivement, ce phénomène des cercles se retrouve tout au long de la mise en scène. Ce cylindre finira par se soulever, et nous pourrons ainsi voir qu'une petite lampe a été fixée à l'intérieur, de façon à produire les jeux de lumière.
Le plateau rectangulaire composé d'un praticable peut évoquer les lieux où les enfants jouent : le plus souvent au sol dans leur chambre. Mais la simplicité de cet espace scénique crée aussi un rapport fort avec le sol, qui marquera par la suite la présence forte des personnages : c'est un rappel au présent. Cet espace est évolutif, il connaît quelques transformations durant la pièce, par exemple avec les rideaux et la forme cylindrique. En effet, la pièce débute avec les rideaux fermés, ce qui crée une ambiance mystérieuse car la scène est voilée, et l'oeil du spectateur doit être très attentif à ce qu'il s'y passe. Puis ils vont s'ouvrir avec l'aide de la machinerie, d'un coup sec et rapide, pour offrir la scène quasi nue de l'espace. Ces rideaux s'ouvrent d'ailleurs au moment où commencent véritablement les instants de jeu qui relèvent du présent. Il en est de même pour cet étrange cylindre, qui se soulèvera et redescendra au fur et à mesure de la pièce. Il est soit élevé à la même hauteur que les comédiens, pour qu'il soit juste au dessus de leur tête, ou alors il est complètement remonté jusqu'au plafond et machineries de la salle.
Malgré la forme rectangulaire du plateau, la structure de l'espace semble plus circulaire, notamment grâce au jeu des lumières. En effet, tous les espaces sont représentés avec les lumières. C'est ici que l'on retrouve le phénomène de la circularité : toutes les lumières forment des ronds sur la scène, et créent ainsi des espaces de jeu pour les comédiens qui vont se placer à l'intérieur, ou à l'extérieur des cercles. La lumière est ainsi maîtresse de toute la mise en scène. Elle crée des jeux d'ombres au tout début de la pièce, et matérialise les différents espaces représentés : la chambre d'Armance, celle des parents, la salon, la cuisine, l'extérieur de la maison, et elle sert même à former une brèche dans le temps et l'espace, puisque les moments de retours dans le passé sont également matérialisés, notamment avec la naissance d'Armance au tout début, ou encore avec la scène où le père et son ami d'enfance Guitou jouent ensemble au basket. En fait, les lumières sont soit des cercles formés sur le plateau, soit elles éclairent toute la scène, pour marquer un retour à un présent stable, ou bien au contraire à un retour dans les souvenirs du père. La seule fois où la lumière projetée n'est pas circulaire, c'est lorsqu'elle est utilisée pour la scène où Fabrice marche vers la chambre de sa fille : le plateau se réduit en une seule ligne lumineuse, le couloir, où le comédien doit se restreindre pour jouer. Notons en plus de tous ces effets lumineux, l'ombre formée par le cylindre surélevé, qui servira également d'espace de jeu. Ces lumières circulaires peuvent donc signifier le temps infini modelé dans la pièce : les évocations du passé, du présent et du futur. Elles entourent souvent deux personnages qui se parlent, chacun placés aux extrémités de la scène. Des moments d'obscurité sont aussi présents, notamment pour les scènes se déroulant la nuit. Leur association aux rideaux fermés et aux cercles de lumières mouvants inspire un climat étouffant d'anxiété et de mystère. C'est le cas pour la scène où Fabrice découvre et reconnaît Guitou dans la chambre de sa fille. 

Pour cette mise en scène, Guy-Pierre Couleau travaille donc sur un plateau nu, ou quasiment nu, puisqu'il n'est habillé que de la présence des comédiens, de quelques objets, des lumières, et surtout de notre imagination, celle que nous avions en étant enfant, et qui semble resurgir pendant le spectacle. C'est cette notion d'imagination de l'enfant qui justifie un plateau vide plutôt qu'un plateau surchargé : si la scénographie est minimaliste, l'effort d'imagination du spectateur est constamment actif, tel un enfant qui s'imagine voguer en pleine mer sur son navire alors qu'il est en réalité simplement couché par terre dans sa chambre. L'accent est aussi mis sur l'action des corps, notamment au début de la pièce : les rideaux fermés sur la scène et l'obscurité nous cachent les expressions des comédiens, et nous ne voyons que leur corps en mouvement, associés à leurs paroles. 

Un des rares objets de la mise en scène est donc, comme nous l'avons dit, ce cylindre. Il est au départ posé au sol, puis il se soulève pour relever les personnages qui tournaient en rond à l'intérieur. Ils y étaient donc présents avant que les spectateurs n'entrent dans la salle. Ce cylindre peut faire penser à un abat-jour, ce qui rappelle les jeux de lumières, mais il semble aussi être une forme de sécurité, comme quelque chose qui veille sur la famille et les protège. Cette impression est très forte lors de la dernière scène, lorsque les parents et leur fille sont endormis, et qu'il vient se placer juste au dessus d'eux, les liant les uns aux autres plus fortement que jamais. 

Parmi les autres objets, nous retrouvons encore une fois ce phénomène de circularité : des petits coussins ronds aux couleurs chaudes et vives, à utilisation multiples. En effet, ils servent à la fois d'oreillers, de lit, de jouets (des châteaux, des navires, des projectiles...) et à la fois de sièges pour s'assoir, notamment dans la scène du petit déjeuner, où parents font face aux enfants, chacun assis sur trois petits coussins empilés, un bol, encore une fois rond, dans les mains.
Fabrice étant un écrivain, il possède donc un stylo et un petit carnet qui auront un usage purement fonctionnel, sauf pour le carnet, qui servira aussi de magazine pour Petite Amie. D'autres objets encore font référence aux jeux des enfants : l'assiette et les couverts d'Armance, qui sont en plastique, ce qui rappelle les dînettes. D'ailleurs, la petite fille en possède une dans sa chambre. De plus, les assiettes et bols sont toujours vides, ce qui fait écho à l'imagination des enfants dans leurs jeux. Nous avons aussi une balle en mousse qui semble atterrir du plafond de la salle, avec laquelle Fabrice et Guitou jouent à l'extérieur, ainsi qu'une pomme de terre qui est frottée contre la joue de Guitou, sensée lui enseigner la tendresse. Et nous aurons, à la fin de la pièce, les objets rapportés de Modane, la ville d'enfance de Fabrice, par Guitou : une paire de bottes à poils, un verre d'eau (il s'agit de la boule de neige demandée par Fabrice, qui a fondue pendant le transport...), un 45 tours d'Iggy Pop, et des affiches de cinéma. Ces objets sont très importants pour le sens de l'intrigue, puisqu'ils représentent les derniers souvenirs que Fabrice possède de sa vie d'enfant. A la fin de la pièce, Petite Amie disposera ces objets en cercle, encore une fois, dans un coin du plateau, juste avant la scène finale
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Mais les objets qui semblent les plus importants et les plus significatifs sont l'ensemble des cartes postales et photos récoltées par Armance dans les tiroirs de son père. En effet, c'est à partir de ces images là que la fillette se fait des nouveaux copains et copines : elle dispose les cartes et photos en cercle autour d'elle, et s'amuse à parler aux personnes qui se trouvent dessus. Mais son meilleur copain, elle le trouve sur la photo représentant son père et Guitou, âgés de dix ans tous les deux. C'est à partir de cette photo qu'elle parvient à faire sortir Guitou du passé. D'ailleurs, pour représenter les allées et venues de Guitou dans la photo et dans le présent, la mise en scène choisie est très intéressante : la photo est recto verso, un côté où Guitou et Fabrice sont bien présents, et un autre côté où il ne reste que Fabrice, le bras autour d'une forme vide et blanche, l'ombre de Guitou. Lorsqu'il doit repartir dans la photo, celui-ci pose au sol le côté de la photo où il n'apparaît pas. Un tout petit cercle de lumière est alors formée autour de la photo, de manière à ce que le spectateur ne voie plus que cela. Puis le comédien jouant Guitou retourne la photo du côté où il apparaît, et il s'éclipse dans l'obscurité de la scène avant que la lumière ne revienne sur le plateau entier. C'est ainsi qu'il disparaît, et il revient de la même manière, mais avec la procédure inverse. 

Enfin, nous pouvons nous intéresser à la dimension sonore. Celle-ci est produite par les techniciens, postés de chaque côté de la scène, parfois visibles des spectateurs, mais elle est matérialisée sur la scène sous la forme d'un petite radio. La musique est toujours joyeuse et rythmée, et elle entraîne les personnages dans la danse. Ceci peut être assimilé à une preuve du retour en enfance de Fabrice, puisque celui-ci s'amuse à bouger et à sauter partout. Ces moments musicaux donnent un côté festif et amusant à la pièce, et le spectateur se sent intégré à la famille, puisqu'il sourit lorsque les personnages sont heureux, et semble ainsi prendre pleinement part à l'histoire racontée. Notons d'ailleurs que la chanson « The Passenger » d'Iggy Pop est diffusée lors de la pièce, en clin d'oeil au texte écrit par Melquiot, puisque cette chanson y est mentionnée. Elle peut aussi représenter les souvenirs de Fabrice qui lui reviennent doucement en mémoire après l'arrivée de Guitou. En plus de la musique, des répliques ont été enregistrées et rediffusées lors de la pièce, notamment les phrases du début, pendant qu'est représenté l'accouchement de Petite Amie. 

Nous pouvons considérer cet espace théâtral à la fois comme un espace réaliste, celui de la maison de la famille, mais aussi comme un espace mental, celui du père. En effet, lorsque les rideaux sont fermés sur la scène, cela signifie que la vérité représentée est voilée, comme si on ne voulait pas y croire, comme si on ne voulait pas l'admettre. La présence des rideaux dans la scène où Fabrice reconnaît Guitou montre bien cette interprétation : il ne veut pas, et ne peux pas croire qu'il y a un enfant présent dans la chambre de sa fille, encore moins qu'il s'agisse de son ami d'enfance, figé à l'âge de dix ans. De plus, le fait que le père soit le narrateur de l'histoire renforce cette hypothèse d'un espace mental. 
 
Les choix esthétiques sont alors grandement symboliques, une sollicitation de l'imaginaire est nécessaire pour concevoir les différents lieux d'actions, mais aussi pour situer le jeu dans l'espace-temps, puisque la pièce fait des bonds entre passé et présent. Dans cette mise en scène, le spectateur prend part à la pièce jouée, d'abord parce qu'il peut facilement s'identifier aux personnages, et ensuite, de par sa position en bi-frontal, il peut représenter les deux murs de la maison, face à face, entourant l'intrigue familiale représentée.

La performance de l'acteur :
La pièce est donc composée de quatre personnages : Fabrice le père, Petite Amie la mère, leur fille Armance, et Guitou, l'ami d'enfance de Fabrice : il sera décrit comme un « homme ptéhistorique », parce qu'il précede l'histoire, celle racontée dans la pièce. Ces personnages sont tous joués par des adultes, peut être parce que des enfants auraient eu plus de mal à comprendre et jouer les rôles, ou bien alors pour permettre aux comédiens adultes eux-mêmes de se replonger dans l'enfance.
Intéressons nous aux costumes choisis. Celui de Fabrice est sombre, et semble être celui du père moderne, mais aussi peut être celui de l'archétype de l'écrivain, celui qui est refermé dans sa recherche, mais qui en même temps, doit assurer son rôle de père et de mari. Petite Amie peut aussi représenter la femme et la mère moderne, vêtue d'une robe sombre, mais de collants de couleurs vives, qui rappellent d'ailleurs celles des coussins et d'autres objets de scénographie et de costumes. Elle porte aussi de temps en temps sa chemise de peintre, car Petite Amie est aussi une artiste, dans la même quête d'inspiration que son mari. Le costume d'Armance est bien celui d'une petite fille, une jupe colorée et un t-shirt blanc comme l'innocence, représentatif de la simplicité de l'enfance, mais aussi d'une enfant qui grandit et se construit. Elle porte aussi une veste de pluie noire à motif colorés, et des petites bottes dans les mêmes tons, ainsi qu'un sac à dos rouge flamboyant. Le costume de Guitou est tout aussi significatif que celui d'Armance : son pull en laine, tricoté par la mère de Fabrice, et un simple jean et des baskets, soit la tenue de tous les petits garçons qui partent jouer, et qui sautent partout. Ces deux apparences en particulier, celles des enfants, créent beaucoup d'émotion chez le spectateur, qui peut se souvenir de ses propres enfants lorsqu'ils étaient plus petits, ou alors de lui-même lorsqu'il était plus jeune. 

C'est avec un superbe jeu d'ombres et de mouvements que commence la pièce. Le père et la mère tournent à l'intérieur du cylindre posé au sol, à pas très lents et marqués. On voit aussi déjà le ventre rond de la mère se dessiner, et c'est ce qui capte immédiatement l'attention du spectateur. Puis le cylindre se soulève et laisse apparaître les deux comédiens dans leur jolie danse, les bras tendus. Ils peuvent faire penser à des fantômes, des ombres du passé, des souvenirs qui tentent de se faufiler, qui tournent en rond dans la spiralité du temps. Ils arrêtent une ou deux fois cette danse pour tourner en rond sur eux mêmes, une main derrière la tête et l'autre attrapant la cheville. Ces gestes semblent pourtant encore dénués de significations, peut être s'agit-il simplement d'un exercice pour les acteurs, ayant pour but de les mettre en condition au jeu très physique qui les attend. Les deux comédiens se déplacent ensuite dans un cercle de lumière pour jouer la préparation de l'accouchement de Petite Amie.

Les mains de Fabrice se baladent doucement sur le ventre rond de sa femme, pendant que des phrases pré-enregistrées sont diffusées. Ce premier jeu peut être assimilé à une ouverture sur celui qui va suivre. Puis, Petite Amie sent l'accouchement arriver. Fabrice, affolé, court alors tout autour d'elle de plus en plus vite, comme s'il voulait la protéger, mais qu'en même temps il ne savait pas trop faire face à cet événement. Mais cette forme du cercle peut aussi signifier un premier bond dans le temps. Arrive ensuite Armance, qui apparaît derrière sa mère, entre ses jambes, acte qui représente sa naissance
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Il survient ensuite un changement dans l'espace-temps, puisque nous passons directement de la naissance d'Armance à la période où elle a sept ans. Dans cette scène, Armance et son père sont chacun placés dans un cercle lumineux, et il explique à sa fille qu'il est en train d'écrire une histoire : même s'il s'agit de son métier, nous pouvons aussi relier ceci avec les histoires lues aux enfants avant qu'ils ne s'endorment. La pièce débute donc avec une plongée directe dans le monde de l'enfance. 

Les personnages fouilleront cependant encore plus loin dans le passé lors de sortes de flash-backs. Ces changements dans le temps durant la pièce sont matérialisés dans l'oeuvre par les didascalies « souvenous-nous : », ou bien « la preuve: », et dans la représentation ils sont symbolisés soit par un changement de lumière, ou bien encore par un arrêt sur image. D'ailleurs, ces images arrêtées sont semblables à des photographies, comme si on avait momentanément arrêté le temps pour l'immortaliser. Ces images arrêtées surviennent lors qu'un personnage fait un aparté pour commenter ce qu'il voit ou pense de la situation représentée. Le plus souvent, c'est Fabrice qui procède à ces apartés.

L'occupation de l'espace par les comédiens est fortement dirigé par la lumière : lorsque des cercles sont présents au sol, les personnages se placent à l'intérieur, ou encore ils échangent depuis l'extérieur du cercle avec un autre personnage qui est à l'intérieur. Mais quand tout le plateau est éclairé, les personnages n'ont plus de contraintes d'occupation de l'espace. Dans ces scènes là, ils occupent souvent une grande partie de l'espace. Ainsi, parfois tout l'espace est utilisé, et parfois il devient très restreint, par exemple lorsque que le couloir menant à la chambre d'Armance est représenté : un long couloir de lumière traversant toute la scène. Le comédien jouant le père doit alors se contraindre à jouer dans cet espace étroit, ce qui peut néanmoins grandement l'aider dans le jeu de cette scène. Quant aux entrées ou sorties, elles semblent s'effectuer à partir de chaque angle du plateau. Nous retrouvons également une certaine circularité dans les déplacements des personnages. Ils tournent, marchent de façon arrondie, et ils jouent véritablement avec les cercles dessinés sur le plateau. Ils deviennent même leur accessoire de jeu. 

La construction des personnages est très intéressante à étudier. Déjà dans un premier temps de par leur nom : Fabrice et Armance ont été deux prénoms empruntés de la vie personnelle de l'auteur : il se nomme également Fabrice lui-même, et sa petite fille s'appelle Armance. Quant à Petite Amie, nous pouvons dire de ce nom qu'il a sûrement été choisi pour ne pas désigner une femme en particulier, mais plutôt pour dire que toutes les femmes et mères lisant la pièce et assistant aux représentations, sont elles mêmes des « Petites Amies ». Mais cela rappelle aussi les termes simples employés par l'enfant : cette façon de nommer les personnes se retrouve chez Armance, lorsqu'elle parle de ses Bons Copains et Bonnes Copines.
Le personnage de Fabrice semble au premier abord être un père affectueux, même s'il le montre différemment de femme, mais aussi quelque peu renfermé sur lui-même, car il est en quête d'une histoire à écrire, cependant les phrases ne viennent pas, elles s'effacent avant même d'apparaître dans son esprit. Il en est de même pour Petite Amie : elle ne trouve pas l'inspiration pour peindre. Ces deux parents sont tout d'abord plutôt statiques dans leurs corps, et sont enfermés dans leur présent d'adulte dont les obligations, telles que gagner de l'argent, les torturent doucement. C'est tout le contraire d'Armance, qui elle est une petite fille très vivace et agile de son corps. On peut néanmoins rapprocher les situations des parents avec celle de l'enfant, puisqu'elle est aussi en quête : celle de trouver des amis. Mais c'est elle qui va trouver la solution : en fouillant dans les tiroirs de son père, tiroirs qui peuvent être comparés aux secrets mentaux enfouis, elle trouve des photographies, et se lie d'amitié avec les personnes représentées. Elle en fait ses Bons Copains et ses Bonnes Copines. Mais elle va encore plus loin, en fouillant dans le tiroir de plus caché et refoulé de son père : elle fait de Guitou, l'ami d'enfance de Fabrice, son Meilleur Copain, et le fait sortir de la photo. Cet acte semble être celui qui vas sauver la famille de l'impasse où ils se trouvent tous, c'est-à-dire une quête qu'ils ne parviennent pas à résoudre. 

L'arrivée de Guitou est un bouleversement pour tous. Fabrice en devient malade, et Petite Amie ne veux pas croire son mari. Mais si l'adoption est dure à faire passer, les personnages voient très rapidement leur vie changer. Leurs soucis d'adulte sont oubliés, et ils se replongent tous ensemble dans leur enfance et les souvenirs. Les évènements passés jusque là refoulés sont alors acceptés, et ils vont jusqu'à devenir une part du présent. Ces changements se manifestent surtout par des modifications physiques. En effet, nous pouvons constater dès le début de la pièce que les rôles des enfants sont très physiques, or les parents vont eux aussi lentement se laisser gagner par cette vivacité du corps, symbole de la jeunesse et du trop-plein d'énergie des enfants. C'est ce dynamisme des corps qui symbolise l'enfance dans la pièce. Les personnages dansent, jouent, sautent dans les flaques. Plus on avance, plus ce dynamisme gagne tous les corps. Le mouvement circule.

Qui dit enfance, dit aussi contacts physiques entre parents et enfants. Au commencement de la pièce, c'est surtout la mère qui câline sa fille, mais au fil de l'histoire, Fabrice se met lui aussi à l'embrasser et à la câliner. Ces contacts montrent aussi des sentiments d'amour très beaux, surtout lorsqu'on apprend que Petite Amie finit par caresser les cheveux de Guitou, comme si cela était un signe de son adoption. Les contacts amoureux entre les deux parents soulignent aussi la question du couple, un couple qui semble uni et préparé à faire face à tout et n'importe quoi, la preuve étant qu'ils ont survécu à l'arrivée impromptue de Guitou dans leur vie, cet homme qualifié de « préhistorique » par Armance, puisqu'il précède l'histoire racontée, il est un morceau du passé. 

Au niveau physique, d'autres éléments marquent le basculement pour les adultes, dans le retour à l'enfance. Par exemple, nous pouvons remarquer au début du spectacle que la petite Armance se tient souvent accroupie, ou assise par terre. Or c'est un trait de comportement qui vas se mettre à survenir également chez les parents, qui finiront par adopter cette même position. De plus, le jeu des deux enfants est énormément ressemblant et caractéristique. Les comédiens jouant Armance et Guitou ont du beaucoup travailler ensemble, puisqu'ils ont adopté les mêmes mimiques, les mêmes expressions et façons de s'exprimer. En vérité, ils ont tous les deux la même lueur dans le regard qui fait oublier au spectateur leurs corps d'adultes, et ainsi nous ne voyons plus que l'enfant qui sommeille en eux, et qu'il a fallu retrouver pour jouer ce rôle. Le choix de prendre des comédiens adultes apparaît alors très intéressant de ce point de vue.
Certains jeux de regards étaient très beaux, dont un en particulier : dans la scène où Armance semble parler toute seule avec ses amis imaginaires, au milieu du cercle de cartes postales, sa mère tourne autour d'elle, en la regardant avec des yeux à la fois inquiets de son comportement, et à la fois fascinés par l'imagination incroyable de sa fille. C'est un regard d'une mère qui veille sur son enfant, et qui semble également commencer à retrouver une part d'elle-même dans le comportement d'Armance. Cependant, elle dira à la fin de la pièce que regarder des photos, c'est regarder le passé, qu'on ne peut rien y changer. Armance y répond : « sauf si Guitou sort de la photo ». Cela souligne donc l'importance de se replonger dans nos souvenirs et d'en tirer parti pour résoudre les questions qui nous détruisent. Les regards et les jeux des comédiens sont également porteurs d'une innocence marquée, et d'une très belle simplicité, telle que le spectateur peut s'identifier au personnage comme il s'identifierait à un héros, or les personnages ne sont « que » des gens comme nous, et ils semblent représenter une part véritable de nous-mêmes tels que nous le sommes, ou bien tels que nous l'avons été. 

Nous pouvons aussi nous intéresser à la parole. Celle-ci est claire et simple, comme celle de l'enfant. On sent surtout chez le père un phrasé très beau, un langage propre au père aimant sa fille et voulant l'instruire. C'est aussi ce personnage là qui s'adresse le plus au public, par exemple pour montrer aux spectateurs les dessins faits par Armance. Comme c'est plus ou moins le narrateur de la pièce, il procède à de nombreux monologues et apartés, pour expliquer ou commenter des situations, ou encore pour simplement expliciter ses actions ou états d'âmes. Il n'y a par contre que quelques répliques qui sont mises en avant, ce sont celles pré-enregistrées par les comédiens. Ainsi le passé, le présent et le futur se mélangent et se superposent, pour mener à une construction nouvelle des personnages, par le biais des souvenirs. Ce paroxysme du retour en enfance survient lors de la scène des sauts sous la pluie : pantalons baissés et rires au lèvres, les deux amis d'enfance se retrouvent ensemble à s'amuser sous la pluie. Cette scène fait rire le spectateur, mais elle peut aussi l'émouvoir, car c'est un très beau moment, un des plus beaux de la représentation, car il regroupe tous les thèmes de la pièce : l'enfance, les élans créatifs, la paternité et la maternité avec les parents qui partagent un bon moment avec leur fille, mais c'est aussi la trace qu'ils laisseront derrière eux, car Petite Amie finit par prendre en photo la famille. Photo qui restera probablement cachée pendant des années, avant d'être ressortie, peut être par un enfant, et qui pourquoi pas, pourras à son tour faire parler ces figures du passé ? 

Parti-pris de mise en scène et avis personnel :
Pour cette première mise en scène de l'oeuvre de Melquiot, Guy-Pierre Couleau choisit donc un parti-pris symboliste, celui de la figure du cercle : le cercle de la vie, celui du temps qui passe et revient, celui des souvenirs qui resurgissent. Mais c'est aussi le cercle de l'humain qui se construit lui-même tout au long de sa vie, comme Fabrice construit son rôle de père à travers Guitou, à travers son passé qu'il avait choisi de mettre de côté, mais qui va finalement revenir à lui, grâce à Armance. Ainsi la petite famille finit par se retrouver, liée et unie. La façon d'écrire de l'écrivain est aussi mise en avant, puisque c'est grâce au passage de Guitou dans leur vie que Fabrice et Petite Amie finissent par retrouver leur inspiration. Fabrice vas donc écrire cette histoire, peut être, qui sait, pour ensuite la léguer à sa fille, pour laisser une trace de cet apprentissage, comme les photos laissent elles aussi des traces. C'est par ailleurs ce qu'a fait l'auteur Fabrice Melquiot en écrivant cette pièce : il porte le même nom que son personnage, et le nomme « moi » dans l'oeuvre qu'il publie. Les « je » sont ainsi confondus et liés, et c'est pour sa fille Armance, qui vient de naître, que Melquiot écrit cette histoire, pour apprendre lui-même à devenir un père. Cette double narration est très bien représentée dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau, à la fois simple et douce, et à la fois forte en significations, comme celle du père qui se construit en revenant sur lui-même, en revenant sur son propre cercle de vie.
C'est une pièce qui nous invite à nous interroger sur notre présent, à nous replonger dans nos souvenirs d'enfance, mais aussi à imaginer notre futur. Personnellement, cette pièce à créée en moi un besoin d'écrire et d'immortaliser les instants, pour pouvoir ensuite y revenir, s'en rappeler, pour laisser une trace des actions accomplies, des sentiments éprouvés. Et au final, pour se dire que les souvenirs seront toujours là, et qu'ils survivront tant que quelqu'un ou quelque chose sera là pour les faire exister.