Torse nu, le pantalon crado et les chaussures déglinguées avant d’entrer en scène pour interpréter le personnage de Midas dans les Métamorphoses. Il est calme, très doux et pourtant on sent monter en lui l’envie ravageuse du plateau. Philipp Avdeev a 22 ans, le cheveu noir et le regard bleu vif. Un joli garçon qui figurait le matin même dans un magazine people russe et qui endosse le personnage d’Hamlet dans la mise en scène de David Bobee.

Reconnaissant. A 9 ans, il jouait déjà, inscrit dans une école qui proposait des classes de théâtre. Avec un copain, il se présente à un casting pour un spectacle musical, Nord-Ost, au Théâtre Doubrovka, et il est pris. Il changera d’école pour poursuivre ses études tout en étant déjà sur les planches. C’est dans ce même théâtre qu’il assiste à l’âge de 10 ans à la prise d’otages de 2002 et à l’intervention au gaz paralysant des forces spéciales russes qui tuera une partie des rebelles tchétchènes et 130 spectateurs (sur 850 présents), action qui fut condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. «Cet événement, je ne m’en souviens pas, mais je ne me force pas de l’oublier. Ça m’a marqué, chargé, changé, c’est un processus lent en moi. Mais en général, je n’utilise rien de mon expérience personnelle pour le théâtre. Je suis juste reconnaissant de ce que je vis.» Et il vit à 100 à l’heure son engagement d’artiste.
Rare. Il n’a toujours pas réalisé complètement qu’il joue Hamlet. «Je n’ai pas eu le temps d’y penser, d’y réfléchir. On a monté le spectacle très vite. La panique aurait été un luxe que je ne pouvais pas me permettre. Je ne veux pas faire le malin, mais ce que l’on fait avec le Studio 7, c’est quelque chose de rare qui n’a pas existé.»
Il faisait partie de ceux qui posèrent avec la banderole «La Russie sans Poutine», il a manifesté puis s’en est allé, comme ses camarades, car il ne pouvait soutenir aucune action qui agisse par la violence et qui soit récupérée par des partis. De la même façon, l’agitation autour de l’homophobie l’irrite : «Cette homophobie ne vient pas du peuple, elle est dictée d’en haut. Mais qu’on nous fiche la paix, chacun fait ce qu’il peut et veut, c’est son affaire.» Il vient de jouer dans un film, La classe de correction, qui sortira au printemps. Il interprète un épileptique d’une de ces classes créées pour les «retardés». Et définit sa fonction d’artiste : «C’est quelqu’un, pour moi, qui ressent assez de force en lui-même pour en avoir aussi pour les autres, pour la dépenser pour les autres.»
Marie-Christine VERNAY