Entretien avec Fausto Paravidino
Comment la pièce Peanuts est-elle née ?
Quelle est la correspondance entre les personnages de Peanuts et les personnages de la bande dessinée ?
Y a-t-il une correspondance psychologique entre chaque personnage de Schultz et son correspondant dans la pièce ?
Je me souviens d’avoir lu quelque part
qu’à l’origine de Peanuts il y a la constatation que Carlo Giuliani et
Mario Placanica, le carabinier qui lui a tiré dessus,
avaient le même âge.
Quelle est la fonction des titres des différentes sections ?
Prenons des exemples. Au début, la présentation de Buddy paraît sous le titre de Politiques du Travail.
Un autre exemple : « Les idéaux là et tout de suite ».
« Révolution et nouvelles techniques de lutte politique ».
Quel est le sens de la politique pour ta génération ?
Comment Gênes 01, la commande de la pièce ensuite représentée au Royal Court, est-elle née ?
Tu étais à Gênes pendant le G8 ?
Quel est le sens du théâtre pour toi ?
C’est un moyen pour communiquer, c’est une occasion pour partager les joies et les douleurs, les pensées et les émotions dans un lieu public.
Extrait d’un entretien réalisé par Alessandro Tinterri
pour le site www.drammaturgia.it
traduction : Valentina Fago
Le Royal National Théâtre m’avait fait une commande
en décembre 2000. Il était question d’écrire une pièce adressée au jeune
public, dans le cadre d’un projet qui s’appelle
"International Connections".
Peanuts a été pensée pour un public international,
même si, avant même d’être écrite, la pièce avait été choisie par le
metteur en scène Sergio Maifredi du Théâtre de la Tosse de
Gênes. Je ne voulais ni faire une opération de
tourisme culturel, l’auteur italien qui vous montre comment l’Italie est
faite, ni de l’autre côté, me déguiser en écrivain
britannique. Et puis l’occasion de faire parler des
jeunes avec d’autres jeunes était trop savoureuse. Et c’est là que la
globalisation intervient. J’ai cherché un modèle de
dialogue commun aux deux, moi et eux, et j’ai pensé à
la bande dessinée, au langage universel des Peanuts, qui sont comme du
Beckett, mais en bande dessinée. Les Peanuts de
Schultz sont absolument beckettiens, sauf que, au
contraire de Beckett, ils sont populaires. J’ai donc emprunté les
personnages de Schultz, je les ai vieillis et je les ai
balancés à la caserne de Bolzaneto, où les jeunes,
arrêtés par la police qui avait fait irruption dans les lieux, furent
soumis à des menaces et à des violences de tout genre.
Quelle est la correspondance entre les personnages de Peanuts et les personnages de la bande dessinée ?
Dans la première version, les noms des personnages
étaient les mêmes que ceux de la bande dessinée dont ils étaient
inspirés. Ensuite, pour des raisons de droits d’auteur, on a
préféré les déformer, même si certains demeurent
très reconnaissables. Le nom de Charlie Brown est devenu, comme Buddy,
un nom commun comme par exemple “Mario Rossi” en Italie ou
“Franz Schmidt” en Allemagne. Minus est Linus,
Schroeder est devenu Schkreker, d’autres sont encore plus transparents,
comme Snoopy qui est devenu Snappy ou Sally qui est Silly ou
encore Woodstock-Woodschlock, alors que Lucy est
devenue Magda.
Y a-t-il une correspondance psychologique entre chaque personnage de Schultz et son correspondant dans la pièce ?
J’ai essayé de maintenir une adéquation avec le
personnage original et dans certains cas j’ai réussi, comme pour Charlie
Brown, Sally et Lucy. Avec d’autres j’ai moins réussi,
parce que certains personnages de Schultz ont une
psychologie qu’on peut retrouver chez les adultes, alors que d’autres
restent confinés à l’enfance. Par exemple, il y a de
nombreux Charlie Brown adultes dans le monde. Et
puis il y a les animaux, par exemple le fait que Snoopy soit un chien a
été traduit dans le caractère anarchiste de Snappy, alors
que Woodstock se prêtait à toutes sortes
d’opérations dramaturgiques à partir du moment où dans la version
originale il s’exprime par petits traits et que personnellement je n’ai
jamais compris ce qu’il avait à dire. Aussi souvent
que possible j’ai tenté de garder les rapports d’amitié et les liens de
famille, comme pour Charlie Brown et sa sœur Sally.
C’est une chose qui m’a frappé. Nous sommes bien
loin de Pasolini et de ses prolétaires en uniforme de policier. Alors
que le jeune assassiné écrivait des poèmes en latin,
Placanica, le meurtrier, interviewé à la télé, ne
sait même pas aligner six mots d’affilée et c’est impressionnant de
savoir que c’est l’Etat qui lui a mis une arme à la main. La
tendance actuelle me paraît celle de recréer un
monde de classes, et en plus, les pouvoirs de droite attaquent l’état
social. J’ai l’impression que c’est celle-là, la droite qui
s’avance : une droite pas tellement caractérisée par
ses choix autoritaires plus ou moins fascistes, mais par son soutien à
une société basée sur le pouvoir de l’argent, une
société où c’est la loi du plus riche qui domine, et
tant pis pour ceux qui n’ont pas réussi. La vieille Démocratie
Chrétienne avait tant bien que mal transformé les italiens en
une grande classe moyenne, et là est la vraie
question de cette pièce. C’est sur la base de ce processus
d’homologation, culturelle et autre, que, à Gênes, ceux qui défonçaient
les têtes avec les matraques et les jeunes qui
manifestaient, avaient les mêmes chansons en commun. Ce n’est pas un
hasard si les musiques de Fabrizio de Andrè, chanteur
anarchiste par excellence, étaient diffusées par les
enceintes du Palais des sports, transformé, à l’occasion du G8, en une
grande caserne.
Dans leur ensemble, elles constituent une sorte de
bréviaire des thèmes de la globalisation. Il fut un temps où on disait
que la sphère personnelle est aussi politique. Les
sections de la pièce représentent une tentative de
mesurer dans la vie de tous les jours les grands thèmes de la politique,
et elles en sont aussi une sorte de contre-chant
ironique, sans jamais tomber dans la parodie.
En général, le même concept exprimé de manière
infantile dans le premier acte, revient dans le deuxième sous sa forme
adulte. Mais, alors que dans le premier acte des situations
très banales et à « mesure de gamins » correspondent
à des titres tirés des grands thèmes de l’Histoire et de la politique,
dans le deuxième j’ai attribué des
titres inadéquats et sentimentaux à des scènes qui
racontent un monde adulte aux traits inquiétants. A cause de leur
minimalisme, les titres du deuxième acte ne correspondent pas
du tout à la gravité de la situation qu’on raconte,
et sont une sorte de message rhétorique et rassurant, dicté par un ordre
établi, uniquement occupé à minimiser.
Buddy fait un travail d’esclave et lorsque les
autres lui renvoient cette image, il répond par un exercice de
rhétorique qui vise à masquer la réalité des faits, tout d’abord à
lui-même et ensuite aux autres. C’est la
barbarisation en cours actuellement dans le monde du travail globalisé.
Il y a eu récemment en Italie, mais peut-être aussi ailleurs, une
campagne de recrutement de Mc Donald, un exemple
très clair pour expliquer le sens du travail intérimaire. Les affiches
montraient des visages souriants de jeunes employés et en
dessous de chacun on lisait « futur avocat, futur
ingénieur », etc. Ce qui voudrait dire que Mc Donald ne vous promet
aucun avenir, et d’ailleurs, qui voudrait d’un
avenir chez Mc Donald ? Ce qui n’est pas dit c’est
que Mc Donald propose une paie minable et un contrat de six mois, et je
doute fortement qu’après une journée de travail
chez McDo, on ait suffisamment d’énergie pour mener à
bien des études d’avocat ou d’ingénieur.
Un autre exemple : « Les idéaux là et tout de suite ».
Le thème est incarné par Magda, qui fait des études
d’ingénieur seulement pour suivre le désir de ses parents et qui calcule
la date probable de leur mort afin d’acquérir sa
liberté. C’est l’écart avec ce raisonnement tordu
selon lequel dans l’attente d’un avenir meilleur, la réalpolitik suggère
d’accepter un présent basé sur le compromis. Sauf
qu’après on s’aperçoit que ce que l’on pensait être
transitoire se révèle définitif et que la vie est passée dans l’attente
d’une occasion qui ne s’est pas présentée.
« Révolution et nouvelles techniques de lutte politique ».
C’est évidemment un dialogue parodique entre deux
personnages, l’un intégré et l’autre animé par un élan révolutionnaire,
dominé par l’envie de tout fracasser, mais sans un dessin
politique précis. C’est peut-être le moment le plus
triste de toute la pièce. C’est l’image des émeutes de Los Angeles, de
la révolution argentine, où la population est descendue
dans les rues pour manifester, en frappant les
cuillères sur les marmites vides, mais personne n’avait dans la tête une
véritable alternative politique.
Quel est le sens de la politique pour ta génération ?
Je précise que je n’ai pas envie de parler au nom de
ma génération, entre autre parce que je crains que mes copains et moi
n’en soyons qu’un échantillon statistiquement peu
représentatif. Je crois qu’il y a actuellement un
véritable problème de reconnaissance. Beaucoup de citoyens, et pas
seulement ceux de ma génération, ne se reconnaissent plus dans
la politique traditionnelle et aujourd’hui, les
mouvements contre la globalisation recherchent d’autres lieux et
d’autres manières de faire de la politique. Les associations de
volontariat sont souvent la réponse à cette envie
retrouvée de faire la politique. Mais ce qu’on ressent est le manque
d’un projet. Même l’âme verte et écologiste de l’Europe ne
bouge qu’à l’intérieur des catégories économiques
propres à l’économie de l’exploitation. Au fond, l’Europe ne se
différencie des Etats-Unis que par sa timidité, par moins
d’arrogance, par un reste de culpabilité, dû,
peut-être, à son passé colonialiste. Mais on n’en est pas encore à une
inversion de la tendance capitaliste, celle qui mesure les
paramètres de Maastricht en terme de croissance du
PIB (produit intérieur brut), alors que l’objectif de l’économie
mondiale devrait être la réduction du PIB. Je comprends que la
crise du marché de l’automobile engendre le chômage,
mais en arriver à souhaiter l’expansion perpétuelle du marché de
l’automobile nous amènera tout droit à la catastrophe, et pas
uniquement à la catastrophe de l’environnement. Je
n’ai pas de recettes, je constate seulement le manque d’une idée
politique alternative.
J’étais en contact avec le Royal Court depuis le
stage, et la commande m’a été faite dans le cadre d’une initiative
conjointe entre le Royal Court et l’association Human Rights
Watch, une sorte d’Amnesty International qui, à
cause des violences du G8, avait inscrit l’Italie dans la liste des six
pays du monde où il y avait violation des droits de
l’homme. Ils ont donc fait une commande d’écriture à
un écrivain pour chacun des six pays en question. Gênes 01 est née
comme ça, et de toute façon c’est une pièce qui vient après
Peanuts et qui retrace les jours du G8 sur le style
sec du théâtre-enquête, tel un reportage journalistique.
Tu étais à Gênes pendant le G8 ?
Non, j’étais à Paris, et le premier jour du G8
j’étais à Londres, au Royal Court, où, en discutant avec un metteur en
scène auquel je rendais visite, je disais qu’à Gênes il
allait y avoir un gros bordel. Il n’était pas
difficile de le prévoir, vu comment les choses avaient été mises en
place : la ville militairement occupée par les forces de
l’ordre, les huit chefs d’Etat enfermés comme dans
une forteresse assiégée, des barricades partout qui encerclaient le
centre d’une ville fantôme, et enfin le bruit des
hélicoptères en permanence au-dessus de nos têtes…
J’avais plein de copains à Gênes et j’étais en contact avec eux pour
savoir comment les choses se passaient.
Quel est le sens du théâtre pour toi ?
C’est un moyen pour communiquer, c’est une occasion pour partager les joies et les douleurs, les pensées et les émotions dans un lieu public.
Extrait d’un entretien réalisé par Alessandro Tinterri
pour le site www.drammaturgia.it
traduction : Valentina Fago