Le titre du spectacle de Wim
Vandekeybus Booty Looting signifie « piller un butin ». Raid
réussi. En as de la piraterie, le chorégraphe flamand a raflé tous azimuts. Le
bateau croule, débordant d'histoires, de références, de mots, de cris, de sons…
Coulera, coulera pas ? Il reste à flot même s'il tangue par moments à force d'être trop
Wim
Vandekeybus a la main lourde mais sait ce qu'il veut raconter. Dans le foutoir
qu'est Booty Looting, les mythologies se heurtent et s'imbriquent. Grecque
d'abord avec la présence récalcitrante de Médée (l'actrice allemande Birgit
Walter), qui se joue de tous les masques grimaçants que lui fait porter le chorégraphe.
Artistique ensuite, avec des citations du cinéaste Henri-Georges Clouzot
(1907-1977), de l'artiste allemand Joseph Beuys (1921-1986). Vandekeybus
revisite la fameuse performance J'aime l'Amérique et l'Amérique m'aime (1974)
au cours de laquelle Beuys s'était enfermé plusieurs jours dans une galerie
d'art new-yorkaise avec un coyote.
Pas d'animal
sur le plateau mais quatre danseurs (trois hommes et une femme)
invraisemblables de voracité et de virtuosité sauvages, se jetant à pleines
dents sur un meneur de jeu (Jerry Killick) plus que parfait dans l'outrance.
D'où une sorte d'orgie théâtrale au coeur de laquelle se fomentent tous les
complots possibles et qui se reproduit d'elle-même jusqu'au délire. La
déconstruction a parfois bon dos pour laisser le champ libre à
tout mais aussi à n'importe quoi.
Après sa
version somptueusement dingue du mythe d'dipe dans Œdipus/bêt noir,
Wim Vandekeybus revient sur le thème de la famille.
Celles qui se multiplient dans Booty Looting sont explosées, rongées de
fantasmes inavouables, sexuels en particulier. Mauvaise mère, mauvais père,
jeune belle-mère, la famille recomposée est en voie de décomposition avancée
chez Vandekeybus, qui ne perd jamais de vue son sens cruel de la vérité intime.
Au milieu de
ce déballage, un personnage intouchable se faufile, le photographe Danny
Willems. Il opère son reportage en direct, shootant les interprètes dont les
clichés sont immédiatement projetés sur un écran. Il les met aussi en scène
dans des décors en carton. Sur fond de mer ou de montagne, ces photos
idylliques et réductrices donnent la version officielle d'une famille qui aura
bientôt oublié les dessous pas toujours reluisants de la carte postale. Ce
roman-photo double la pièce et la découpe pour en proposer une vision
paradoxale, esthétique jusque dans son chaos, pacifiée dans son artifice. Sur
les stridences de guitare électrique jouée par Elko Blijweert, il relance aussi
le langage spectaculaire de Vandekeybus qui réussit à imbriquer danse, théâtre,
photo et musique live.
Avec
Booty Looting, créé en 2012, Wim Vandekeybus, qui a monté sa compagnie en
1987, semble faire un point sur son
parcours et recycler ses propres mythologies. La passion des animaux
que ce fils de vétérinaire évoque toujours, mais aussi la psychologie
qu'il étudia et la photo qu'il apprit en autodidacte. Le cinéma
enfin. Il va tourner un film, Galoping
Minds, cet été en Hongrie, qui racontera son enfance à la campagne.
Du point de vue chorégraphique, il pointe aussi, mi-tendre, mi-moqueur, son
goût pour le danger et les situations extrêmes que sa danse affronte.
Et c'est
encore et toujours la danse sidérante de Vandekeybus qui arrache à Booty
Looting des particules de pure beauté. De pure excitation aussi. Elle se
fait reptilienne, aérienne, tordue, inhumaine presque à force d'oublier les repères du
corps. Vivants projectiles, les interprètes rebondissent au sol à la seconde.
Cette danse héroïque aide à la digestion de ce spectacle énorme, moins
réussi qu'Œdipus/bêt noir mais tout aussi courageux. A condition
parfois d'avoir envie d'en rire.
Booty Looting, de Wim Vandekeybus. Théâtre de la Ville, place
du Châtelet, Paris
4e. Jusqu'au 25 avril, à 20 h 30. Dimanche, à 15 heures. Tél. :
01-42-74-22-77. De 18 à 30 euros.