samedi 26 avril 2014

Booty Looting :presse

Article du Monde


Le titre du spectacle de Wim Vandekeybus Booty Looting signifie « piller un butin ». Raid réussi. En as de la piraterie, le chorégraphe flamand a raflé tous azimuts. Le bateau croule, débordant d'histoires, de références, de mots, de cris, de sons… Coulera, coulera pas ? Il reste à flot même s'il tangue par moments à force d'être trop
Wim Vandekeybus a la main lourde mais sait ce qu'il veut raconter. Dans le foutoir qu'est Booty Looting, les mythologies se heurtent et s'imbriquent. Grecque d'abord avec la présence récalcitrante de Médée (l'actrice allemande Birgit Walter), qui se joue de tous les masques grimaçants que lui fait porter le chorégraphe. Artistique ensuite, avec des citations du cinéaste Henri-Georges Clouzot (1907-1977), de l'artiste allemand Joseph Beuys (1921-1986). Vandekeybus revisite la fameuse performance J'aime l'Amérique et l'Amérique m'aime (1974) au cours de laquelle Beuys s'était enfermé plusieurs jours dans une galerie d'art new-yorkaise avec un coyote.
Pas d'animal sur le plateau mais quatre danseurs (trois hommes et une femme) invraisemblables de voracité et de virtuosité sauvages, se jetant à pleines dents sur un meneur de jeu (Jerry Killick) plus que parfait dans l'outrance. D'où une sorte d'orgie théâtrale au coeur de laquelle se fomentent tous les complots possibles et qui se reproduit d'elle-même jusqu'au délire. La déconstruction a parfois bon dos pour laisser le champ libre à tout mais aussi à n'importe quoi.
Après sa version somptueusement dingue du mythe d'Œdipe dans ŒŒdipus/bêt noir, Wim Vandekeybus revient sur le thème de la famille. Celles qui se multiplient dans Booty Looting sont explosées, rongées de fantasmes inavouables, sexuels en particulier. Mauvaise mère, mauvais père, jeune belle-mère, la famille recomposée est en voie de décomposition avancée chez Vandekeybus, qui ne perd jamais de vue son sens cruel de la vérité intime.
Au milieu de ce déballage, un personnage intouchable se faufile, le photographe Danny Willems. Il opère son reportage en direct, shootant les interprètes dont les clichés sont immédiatement projetés sur un écran. Il les met aussi en scène dans des décors en carton. Sur fond de mer ou de montagne, ces photos idylliques et réductrices donnent la version officielle d'une famille qui aura bientôt oublié les dessous pas toujours reluisants de la carte postale. Ce roman-photo double la pièce et la découpe pour en proposer une vision paradoxale, esthétique jusque dans son chaos, pacifiée dans son artifice. Sur les stridences de guitare électrique jouée par Elko Blijweert, il relance aussi le langage spectaculaire de Vandekeybus qui réussit à imbriquer danse, théâtre, photo et musique live.
Avec Booty Looting, créé en 2012, Wim Vandekeybus, qui a monté sa compagnie en 1987, semble faire un point sur son parcours et recycler ses propres mythologies. La passion des animaux que ce fils de vétérinaire évoque toujours, mais aussi la psychologie qu'il étudia et la photo qu'il apprit en autodidacte. Le cinéma enfin. Il va tourner un film, Galoping Minds, cet été en Hongrie, qui racontera son enfance à la campagne. Du point de vue chorégraphique, il pointe aussi, mi-tendre, mi-moqueur, son goût pour le danger et les situations extrêmes que sa danse affronte.
Et c'est encore et toujours la danse sidérante de Vandekeybus qui arrache à Booty Looting des particules de pure beauté. De pure excitation aussi. Elle se fait reptilienne, aérienne, tordue, inhumaine presque à force d'oublier les repères du corps. Vivants projectiles, les interprètes rebondissent au sol à la seconde. Cette danse héroïque aide à la digestion de ce spectacle énorme, moins réussi qu'ŒŒdipus/bêt noir mais tout aussi courageux. A condition parfois d'avoir envie d'en rire.

Booty Looting, de Wim Vandekeybus. Théâtre de la Ville, place du Châtelet, Paris 4e. Jusqu'au 25 avril, à 20 h 30. Dimanche, à 15 heures. Tél. : 01-42-74-22-77. De 18 à 30 euros.