mercredi 9 avril 2014

Contes de Grimm par Olivier Py

Pour approfondir ici

Conte et théâtre:




Dans un conte, il se passe des choses extraordinaires, mais l'auteur n'essaie pas de faire croire que cette histoire s'est vraiment passée. Par exemple des animaux parlent, il y a des fées, on utilise des objets magiques, etc. Cela différencie
le conte du récit fantastique dans lequel des personnages ordinaires rencontrent également des créatures extraordinaires mais où l'auteur cherche à faire croire que l'histoire s'est vraiment passée

Le conte décrit un passage, c'est un récit de formation. Il raconte le plus souvent le passage de l'enfance à l'âge adulte et s'inscrit dans un roman familial
La Jeune fille quitte la maison de son père, rencontre un homme, se marie et devient mère à son tour

- pour passer d'un état à un autre le héros du conte doit subir plusieurs séries d'épreuves, parfois même des métamorphoses douloureuses
La jeune fille est vendue au Diable par son père qui de surcroît lui coupe les mains pour obéir au démon. Obligée de s'enfuir, elle connaît la faim et la solitude avant de rencontrer son mari. Mais toujours poursuivie par le diable, elle doit subir une deuxième série d'épreuves, s'enfuir à nouveau et se cacher loin du monde 
la fin d'un conte est toujours heureuse et enseigne quelque chose
La jeune fille est récompensée de sa patience et de sa vertu. Ses mains repoussent, son mari la retrouve, la reconnaît comme sa femme.

Une pièce de théâtre est constituée par une histoire qui n'est pas racontée comme dans un récit narratif tel que le conte mais reproduite à travers les paroles directes des personnages et elle est destinée à être mise en espace sur une scène. Cependant, comme dans un récit, l'histoire est une suite d'événements et d'actions accomplies par les personnages en vue d'un objectif donné. L'échange verbal entre les personnages a une double fonction : ils dialoguent entre eux mais leurs paroles s'adressent aussi au public. C'est ce qu'on appelle la double énonciation du texte théâtral

Le champ sémantique des textes des frères Grimm est d'autre part moins étendu que celui d'Olivier Py. Ce dernier est proche par endroits de la prose poétique, ce qu'atteste notamment la présence de passages en vers libres. À cet égard, il restitue incidemment une des traditions du conte français, beaucoup plus littéraire et orné de figures de style, ce qui par ailleurs en affaiblit le caractère initiatique au profit de formes moins populaires
Nous l'avons déjà évoqué , le conte est en quelque sorte un « récit de formation » qui s'inscrit le plus souvent dans un milieu familial. Il décrit donc le passage d'un état à un autre. Ce passage, en général celui de l'adolescence vers l'âge adulte, en constitue le motif central
et se trouve jalonné d'épreuves douloureuses qu'une fin heureuse -de règle dans tous les cas- vient a posteriori justifier.
 
Le conte enseigne donc quelque chose en traduisant toujours une expérience humaine sous forme voilée. Cette forme
voilée se caractérise de plusieurs façons
- dans l'anonymat des lieux et des personnages ;
- dans l'absence de datation précise;
- dans la présence d'une symbolique riche.
Cette symbolique est perceptible sur deux niveaux de lecture: à la fois au plan culturel, lorsqu'elle reprend des images et des thèmes universels, mais aussi au plan affectif au moment où le lecteur élabore sa propre interprétation du texte.
 On remarquera que les mots représentation et interprétation
sont également des termes du vocabulaire théâtral.
De fait, en allant assister à une représentation au théâtre, on va écouter une interprétation d'un texte : celle des comédiens et de leur metteur en scène.

Les pièces d'Olivier Py étant des adaptations assez fidèles des contes de Grimm, elles en reprennent les éléments symboliques et nous traiterons donc ensemble contes et pièces, dans un va et vient constant.
L'histoire de La Jeune fille...n'échappe pas à la règle commune et traduit le passage du personnage principal de l'état de fille à celui de femme et de mère, selon une chronologie propre aux contes dont les éléments principaux pourraient se résumer ainsi :
- un événement perturbateur oblige le héros à quitter sa famille ;
- une série d'épreuves entrave le héros dans sa tentative d'échapper au sort familial jusqu'à sa première rencontre avec l'amour ;
- une deuxième série d'épreuves éprouve alors la capacité du héros à aimer, seule façon pour lui d'échapper à la fatalité de son destin ;
- la « délivrance » du héros métamorphosé par les épreuves et par l'amour humain qui l'éloigne définitivement de l'enfance.
C'est ainsi que l'enfance de la Jeune fille est donc marquée par un « accident » : ici le vœu naïf et imprudent de son père au Diable. Cette faute sera la cause de l'élément symbolique le plus fort du récit : la mutilation qu'elle doit subir.
Cette cruauté, difficilement concevable aujourd'hui car le sang de nos jours évoque spontanément la souffrance et la mort, va de soi dans les récits d'initiation. La mutilation revêt donc une valeur symbolique, elle renvoie au monde rituel et représente une allusion au caractère violent de la vie. Le sang de la mutilation évoque donc ici le passage rituel auquel tout le monde doit se soumettre pour grandir.
En effet, le sang est universellement considéré comme le véhicule de la vie, plus même : dans la tradition biblique, « le sang est la vie ». Ici donc, le père de la Jeune fille tranche au sens propre les liens qui les relient et l'oblige ce faisant à devenir une femme. Par ce sacrifice, il la pousse vers son destin d'être humain au risque de ne jamais la revoir au point qu'il ne réapparaîtra plus jamais dans l'histoire.
On retrouve l'aspect universel de ce symbole dans les cérémonies auxquelles les sociétés primitives soumettaient les jeunes gens en âge de devenir adultes. Néanmoins, la conséquence immédiate d'une telle cérémonie initiatique est d'obliger le héros à quitter sa famille en créant chez lui le désir d'échapper à cette violence pour créer ailleurs sa propre famille. Ainsi se justifient à la fois la mutilation et la quête.
La Jeune fille du conte s'inscrit exactement dans ce schéma et son départ va la confronter aux séries d'épreuves indispensables à sa transformation.
Elle va ainsi rencontrer le besoin (comme le besoin de manger, le besoin d'aide à cause de son amputation), l'angoisse de la solitude et de l'attente lorsque son mari part à la guerre, la blessure de la trahison - celle de son père puis celle de son mari, comme autant d'étapes symboliques de formation.
 
A côté de la mutilation, l'eau est un autre symbole très présent au début du conte. On peut interpréter cette eau qui protège l'héroïne du Diable (celle de la toilette comme celle de ses larmes) sous l'angle de ses trois significations principales : l'eau comme moyen de purification, comme symbole de pureté mais aussi l'eau comme source de vie et de régénérescence

Enfin, dans le conte comme dans la pièce, apparaît un personnage à la forte présence symbolique : l'Ange. Une première fois pour guider la jeune fille vers le jardin du Prince,une deuxième fois pour la recueillir dans la forêt et les protéger, elle et son enfant, en attendant le retour du Prince. Dans l'univers symbolique, l'ange est un intermédiaire entre Dieu et les hommes. Dans l'histoire aussi, il se pose à la fois comme le protecteur et le guide de  la Jeune fille et apparaît au moment où elle se trouve la plus démunie. Il tient ici le
rôle dévolu à la fée dans d'autres contes :
bienveillant, secourable, il disparaît aussitôt que sa mission s'achève, que le besoin est comblé, qu'il s'agisse de faim ou d'amour.
Médiateur entre la vie et la mort, il porte à lui seul la charge poétique du texte en symbolisant à la fois le merveilleux et la pureté des intentions de la jeune fille. C'est bien à ce titre qu'il lui revient de remettre au Prince les mains d'argent comme preuve de l'identité de cette dernière puisque ses mains ont repoussé.
Merveilleux et pureté, c'est bien ce que symbolise cette régénérescence récompensant le courage et la fidélité de l'héroïne