lundi 21 avril 2014

Pommerat et le réel





“Reconstruire le réel”, extraits d’entretien avec Joël Pommerat
J’ai été conduit à parler du réel parce qu’on me ramenait souvent au caractère étrange de mes spectacles, en me parlant d’eux comme s’il s’agissait d’ovnis, développant un monde singulier.
Je ne cherche pas à faire étrange. Je cherche simplement à donner à voir.
Et peut-être même à  mieux voir les choses. Voir les choses d’encore plus près, avec une précisionet une intensité accrues.
C’est pourquoi il m’arrive de parler de ma démarche comme étant celle du peintre ou
du sculpteur classique, c’est-à-dire des artistes pour qui le simple fait de rendre ce
qui est là est, en soi, un travail. Il s’agit de donner ou redonner à voir le corps,
l’être, la présence. Sans pour autant être dans la copie du modèle.
Dans mon travail, le réel  signifie quelque chose de spécifique : il est avant tout
Un rapport à un lieu et à une temporalité.
Rapport à l’instant, au temps, et rapport à l’espace.
Le point de départ, c’est la recherche de l’inscription des corps et des êtres, dans
une temporalité et un espace vrais.
En ce sens, je veux  reconstruire le réel.
Une aventure qui passe par la convocation et le rappel constant de l’ici et maintenant. Lieu réel, instant réel, et travail perpétuel sur la mise en place d’un espace et d’un temps  communs  entre les acteurs et le public.
[...]
Le théâtre est un lieu de simulacre où l’on se fait toujours moins mal que dans la vie.
On joue pourtant à retrouver ce que c’est, vraiment, souffrir. Ce que sont réellement
les émotions, les sensations, les perceptions que nous expérimentons hors la scène,
pour de vrai.
Dans la vie, les souffrances, la douleur, la violence, on en meurt. On n’a pas le temps
de les concevoir. On en crève. Au théâtre, je crois que c’est précisément ce que la
vie ne nous permet pas de vivre, sauf à nous terrasser, qu’il est passionnant de
privilégier. Le théâtre est un jeu qui permet d’en reconstituer la réalité. Ici, sur scène,
nous reconstruisons dans un contexte qui n’est pas malsain. Nous reconstituons du
sentiment, de l’émotion, du drame, tout ce qui, dans nos existences, ne nous est pas
si aisément accessible. Parce que, dans nos existences, toutes ces choses sont
subiesalors que là, au théâtre, personne n’est soumis, ni l’acteur, ni le spectateur.
Je suis volontiers porté vers les situations extrêmes, parce qu’il n’y a qu’au théâtre
que nous pouvons explorer ça. Nous pouvons traverser, vivre, ressentir, éprouver
certaines extremités de l’existence. C’est une expérience mais c’est aussi un jeu.

Joëlle Gayot, Joël Pommerat Joël Pommerat, troubles, Actes Sud, 2009, premier extrait p. 60-
61, deuxième extrait p. 65