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“Reconstruire
le réel”, extraits d’entretien avec Joël Pommerat
J’ai été
conduit à parler du réel parce qu’on me ramenait souvent au
caractère étrange de mes spectacles, en me parlant d’eux comme s’il s’agissait
d’ovnis, développant un monde singulier.
Je ne
cherche pas à faire étrange. Je cherche simplement à donner à voir.
Et peut-être même à mieux voir les choses. Voir les choses d’encore
plus près, avec une précisionet une intensité accrues.
C’est
pourquoi il m’arrive de parler de ma démarche comme étant celle du peintre ou
du sculpteur
classique, c’est-à-dire des artistes pour qui le simple fait de rendre ce
qui est là
est, en soi, un travail. Il s’agit de donner ou redonner à voir le corps,
l’être, la
présence. Sans pour autant être dans la copie du modèle.
Dans mon
travail, le réel signifie quelque chose de spécifique : il
est avant tout
Un rapport à
un lieu et à une temporalité.
Rapport à
l’instant, au temps, et rapport à l’espace.
Le point de
départ, c’est la recherche de l’inscription des corps et des êtres, dans
une
temporalité et un espace vrais.
En ce sens,
je veux reconstruire le réel.
Une aventure
qui passe par la convocation et le rappel constant de l’ici et maintenant. Lieu
réel, instant réel, et travail perpétuel sur la mise en place d’un espace et
d’un temps communs entre les acteurs et le public.
[...]
Le théâtre
est un lieu de simulacre où l’on se fait toujours moins mal
que dans la vie.
On joue
pourtant à retrouver ce que c’est, vraiment, souffrir. Ce que sont réellement
les
émotions, les sensations, les perceptions que nous expérimentons hors la scène,
pour de
vrai.
Dans la vie,
les souffrances, la douleur, la violence, on en meurt. On n’a pas le temps
de les
concevoir. On en crève. Au théâtre, je crois que c’est précisément ce que la
vie ne nous
permet pas de vivre, sauf à nous terrasser, qu’il est passionnant de
privilégier.
Le théâtre est un jeu qui permet d’en reconstituer la réalité. Ici, sur scène,
nous reconstruisons dans un contexte qui n’est pas
malsain. Nous reconstituons du
sentiment,
de l’émotion, du drame, tout ce qui, dans nos existences, ne nous est pas
si aisément
accessible. Parce que, dans nos existences, toutes ces choses sont
subiesalors que là, au théâtre, personne
n’est soumis, ni l’acteur, ni le spectateur.
Je suis
volontiers porté vers les situations extrêmes, parce qu’il n’y a qu’au théâtre
que nous
pouvons explorer ça. Nous pouvons traverser, vivre, ressentir, éprouver
certaines
extremités de l’existence. C’est une expérience mais c’est aussi un jeu.
Joëlle
Gayot, Joël Pommerat Joël
Pommerat, troubles, Actes Sud, 2009, premier extrait p. 60-
61, deuxième
extrait p. 65