Pommerat et le cinéma:
L’influence du cinéma et le rôle de la fable
- L’originalité de votre démarche tient aussi à la forme de vos
mises en scène que l’on associé souvent au cinéma. Est-ce une des bases
de votre travail ?
Bien sûr j’ai un rapport avec le cinéma, mais il n’est pas plus
important que mon rapport à la peinture, à la photographie, à la
littérature, au roman, à la télévision, aux arts plastiques… Donc
pour moi le travail du cadre qu’on associe au cinéma est plus lié à
la peinture, au dessin, aux miniatures japonaises par exemple qui sont
faites de vides et de pleins, dans une grande épure dans
lesquelles le sujet est pris en état de « condensation ». Quand j’ai
commencé à travailler sur les cadres et sur la composition dans le
cadre, je suis vraiment rentré « dans » le théâtre.
Mais je ne fais pas du théâtre parce que j’adore le théâtre mais
bien parce que c’est mon moyen à moi d’être dans la représentation. Je
ne le lâcherais plus car j’ai appris à l’aimer et qu’il
m’aime un peu. Je ne cherche pas à perpétuer le théâtre. Le roman
contemporain a joué aussi un grand rôle dans mon écriture, car c’est
grâce à lui que j’ai développé les ellipses, les fragments
dans ma narration.
- N’y a-t-il pas aussi du roman policier ou du film policier à la Hitchcock dans vos pièces ?
On a en effet parfois parlé de polar, en parlant de mes pièces, mais
je crois que c’est plus ma tentative de vouloir rendre le réel qui est
en question. Le réel aussi bien sous sa face la plus
concrète, définissable que dans ce qui appartient à l’imaginaire, à
la représentation, aux fantasmes et qui s’accolent à cette face visible,
qui la torture, la détériore et la modifie. Bien sûr
comme je suis dans ce rapport d’entremêlement de ces deux aspects,
c’est forcément le mystère, l’énigme qui en ressort le plus souvent. Le
trouble.
Une autre de mes tentatives est de représenter le temps, de le
matérialiser, de le rendre sensible, d’où des phénomènes de tensions
comme dans un film policier, puisque vous parliez de Hitchcock.
Mon désir est de ramener le spectateur dans le temps présent. Mon
projet de théâtre n’est pas seulement de raconter la société ou le
politique mais c’est aussi une recherche sensible
.
- Peut-on parler de fables morales quand on envisage votre théâtre ?
Le narratif avait pris un coup de vieux il y a vingt ans. Mais je
crois qu’on peut continuer à penser la modernité du théâtre en gardant
le narratif, l’histoire. Pour moi, la narration est une
façon d’inscrire le temps. Une histoire me permet d’inscrire un
commencement, une succession d’événements qui marquent le temps jusqu’à
un avenir.
Tout cela est concret, charnel et sensible. La fable, c’est quand on veut être dans l’histoire sans être dans l’anecdote.
À la différence du roman, comment est-il possible de raconter au théâtre en si peu de temps ? Le temps
À la différence du roman, comment est-il possible de raconter au théâtre en si peu de temps ? Le temps
du théâtre, c’est le temps de la nouvelle en littérature, le temps
d’un conte. Je crois que si Tchekhov a réussi à écrire des pièces si
précises, si concises, si merveilleuses et si riches, c’est
parce qu’il a écrit des centaines de nouvelles et que son théâtre
provient de cet atelier de la nouvelle. Et puis il y a le théâtre de la
fable et du conte, comme chez Shakespeare. C’est sur
cette voie que je me suis engagé, car mon imaginaire est trop
débridé pour avoir la rigueur clinique d’un Tchekhov