L’apostrophe / région / tournée / texte et mes Joël Pommerat
CENDRILLON
Publié le 24 avril 2014 - N° 220
Joël Pommerat signe une version bouleversante du conte populaire, aux lisières du réel, où la jeune fille apprend à ne plus être écrasée par la perte de sa mère.
Joël Pommerat fait de la scène un espace sensoriel.
Crédit photo : DR
« Ça va me faire du bien. » Nettoyer, laver,
balayer, récurer, décrasser, dégraisser, le linge, le sol, le four, les
toilettes, les poubelles, les oiseaux morts. « Ça va me faire du bien. »
répète obstinément la jeune Sandra à sa belle-mère promise, sous l’œil
goguenard de ses deux pimbêches de filles. Et elle en redemande, encore,
encore, pour remplir sa béance, punir son existence, s’enfermer dans le
souvenir vivant de sa mère, morte en lâchant quelques mots inaudibles
dans son dernier soupir. Un malentendu laissé un suspens, où s’infiltre
la culpabilité jusqu’à river chaque instant présent au passé. Recluse à
la cave avec ses fantômes, Sandra – renommée « Cendrier » – s’échine aux
tâches ménagères, tandis que son père, mollasson enfumé, tempère et
obtempère face à la marâtre et ses méchants tendrons. Le quotidien file
de mal en pis, jusqu’au jour où le roi convie la famille, choisie par
tirage au sort, à la fête qu’il organise pour divertir son fils, coincé
dans la mélancolie depuis la disparition de sa mère. Une soirée qui
enfin la délivrera de son fardeau…
Surmonter le deuil
Tirant les motifs du conte, fixé par Charles Perrault et les frères Grimm, puis gravé dans l’imagerie populaire par Walt Disney, Joël Pommerat trame son histoire sur le deuil impossible et le sentiment de faute qu’éprouve la jeune fille confrontée à la perte de la mère et l’abandon du père. Mariant la satire sociale et la puissance d’évocation des symboles, il joue des stéréotypes et décale les personnages du dessin encollé dans la mémoire collective : Cendrillon (admirable Deborah Rouach) est ici une gamine aussi décidée qu’énergique, la belle-mère une aboyeuse agitée, frappée de jeunisme et fanatique de la rhétorique de l’action, ses filles, des bécasses prétentieuses, le père, un pleutre aspirant au remariage, la fée, une magicienne amateur déjantée, le roi, un gentil fêtard, et le prince charmant, un adolescent obsédé également par l’absence de sa mère. Débarrassant le récit de toute mièvrerie, Joël Pommerat l’inscrit dans un espace imaginaire aux lisières du réel, dont il floute les pourtours pour faire résonner la pièce aux confins du conscient. Porté par des acteurs et une mise en scène d’une bouleversante justesse, Cendrillon trace ainsi le chemin initiatique d’une enfant qui peu à peu apprend à surmonter la séparation maternelle, à retrouver le désir de vivre, à s’aimer pour pouvoir aimer, à se re-connaître dans l’autre. Tant d’émotions qui touchent au plus secret de nos deuils inaccomplis, ferrés à force d’oubli au fond du cœur.
Gwénola David
Surmonter le deuil
Tirant les motifs du conte, fixé par Charles Perrault et les frères Grimm, puis gravé dans l’imagerie populaire par Walt Disney, Joël Pommerat trame son histoire sur le deuil impossible et le sentiment de faute qu’éprouve la jeune fille confrontée à la perte de la mère et l’abandon du père. Mariant la satire sociale et la puissance d’évocation des symboles, il joue des stéréotypes et décale les personnages du dessin encollé dans la mémoire collective : Cendrillon (admirable Deborah Rouach) est ici une gamine aussi décidée qu’énergique, la belle-mère une aboyeuse agitée, frappée de jeunisme et fanatique de la rhétorique de l’action, ses filles, des bécasses prétentieuses, le père, un pleutre aspirant au remariage, la fée, une magicienne amateur déjantée, le roi, un gentil fêtard, et le prince charmant, un adolescent obsédé également par l’absence de sa mère. Débarrassant le récit de toute mièvrerie, Joël Pommerat l’inscrit dans un espace imaginaire aux lisières du réel, dont il floute les pourtours pour faire résonner la pièce aux confins du conscient. Porté par des acteurs et une mise en scène d’une bouleversante justesse, Cendrillon trace ainsi le chemin initiatique d’une enfant qui peu à peu apprend à surmonter la séparation maternelle, à retrouver le désir de vivre, à s’aimer pour pouvoir aimer, à se re-connaître dans l’autre. Tant d’émotions qui touchent au plus secret de nos deuils inaccomplis, ferrés à force d’oubli au fond du cœur.
Gwénola David