Le crime parfait d’un « voyage » en mer
Ce n’est pas la
mer, l’azur, ni le ressac, les coupables. Les coupables, c’est les
voyageurs colonisateurs. Ceux qui ont commencé jadis. Lampedusa Beach
n’est pas pour toi, Shauba l’africaine ! La Méditerranée non plus. La
mer, c’est ton tombeau. Elle efface les indices du forfait blanc, mais
l’assassin a toujours le retour du bâton. C’est l’Afrique qui immigre
maintenant. Attendez-vous à nous voir de plus en plus nombreux. Vous
nous avez asservis et appauvris. Vos cadeaux étaient des chaînes, des
cris, les coups de trique. Nous étions de la marchandise sur des marchés
bien achalandés. L’affffrique, avec plusieurs efs comme des giclées de
sable dans la langue. Une sorte de bégaiement africain. L’Afrique vous
renvoie la pareille.
Tu es venue dans une charrette de la mer avec
tes lunettes de soleil, mais tu ne vois que les abysses. Tu ne vois que
des planches humaines qui coulent à pique, vers la plage-cimetière d’un
fond marin. Mais : la mer est innocente.
Shauba dit : quand le cœur
souffre on ne pense pas à manger. (…) Les amoureux se nourrissent de
vent. Oui, pour trois ans d’économies et une méthode illicite, je me
suis montrée déterminée : avec sept cents corps clandestins et un vieux
bateau. Pas d’espace libre. Et pourtant la violence charnelle. Shauba
dit : Mahama, tu ne le croiras pas, ils l’ont fait quand même. Nous
avons fait des choses illégales pour aller dans ce monde de riches. Cela
mérite-t-il la mort, le viol ?
Y a-t-il un sens à se sacrifier si
une seule âme périt ? L’équilibre, le problème c’est l’équilibre. Celui
de la charrette de la mer et de l’égalité des droits. Mais revenir
aurait été une défaite de plus. Couler est aussi une défaite. Car rien
n’est hasardeux dans cette tragédie. La plage de ceux qui sont en
dessous est pleine. Shauba embrasse une sardine et essaie de déchiffrer
le plaisir. Elle voit ses lunettes sur les yeux d’un espadon. Shauba
dit : Demander l’asile politique quel sens cela a-t-il lorsque l’on va
mourir ? Mahama dit : que si les Européens ont calculé que chacun dans
le monde a sept sosies, les Africains ont calculé que chacun dans le
monde a son bourreau.
La Shauba de Lampedusa Beach est une
réalité-fiction qui donne une version d’un voyage sans retour. On saisit
bien l’allusion mythique de l’auteure, quand la vérité de Cassandre se
fait trop douloureuse pour être prise au sérieux. La malédiction se
prolonge en Achille qui tombe amoureux de Penthésilée en la voyant
mourir. Ces trois femmes se rejoignent dans le vertige du tragique
contemporain. Ce n’est pas dans les cothurnes du théâtre grec que nous
marchons avec Lina Prosa, mais bien sur le sable d’une plage de la
dévastation du vingt-et-unième siècle.
Qu’en pense Mahomet ? Mahomet a-t-il préparé le paradis ? Lina Prosa
Lampedusa Beach
Lina Prosa
Lampedusa Beach a obtenu le
prix national Annalisa Scafi pour le théâtre public à Rome en 2005 et le
prix Anima pour le théâtre en 2007.
Article Dashiell Donnelo sur Médiapart