mardi 16 septembre 2014

Lampedusa Beach ( article dans Médiapart)

Le crime parfait d’un « voyage » en mer
Ce n’est pas la mer, l’azur, ni le ressac, les coupables. Les coupables, c’est les voyageurs colonisateurs. Ceux qui ont commencé jadis. Lampedusa Beach n’est pas pour toi, Shauba l’africaine ! La Méditerranée non plus. La mer, c’est ton tombeau. Elle efface les indices du forfait blanc, mais l’assassin a toujours le retour du bâton. C’est l’Afrique qui immigre maintenant. Attendez-vous à nous voir de plus en plus nombreux. Vous nous avez asservis et appauvris. Vos cadeaux étaient des chaînes, des cris, les coups de trique. Nous étions de la marchandise sur des marchés bien achalandés. L’affffrique, avec plusieurs efs comme des giclées de sable dans la langue. Une sorte de bégaiement africain. L’Afrique vous renvoie la pareille.
Tu es venue dans une charrette de la mer avec tes lunettes de soleil, mais tu ne vois que les abysses. Tu ne vois que des planches humaines qui coulent à pique, vers la plage-cimetière d’un fond marin. Mais : la mer est innocente.
Shauba dit : quand le cœur souffre on ne pense pas à manger. (…) Les amoureux se nourrissent de vent. Oui, pour trois ans d’économies et une méthode illicite, je me suis montrée déterminée : avec sept cents corps clandestins et un vieux bateau. Pas d’espace libre. Et pourtant la violence charnelle. Shauba dit : Mahama, tu ne le croiras pas, ils l’ont fait quand même. Nous avons fait des choses illégales pour aller dans ce monde de riches. Cela mérite-t-il la mort, le viol ?
Y a-t-il un sens à se sacrifier si une seule âme périt ? L’équilibre, le problème c’est l’équilibre. Celui de la charrette de la mer et de l’égalité des droits. Mais revenir aurait été une défaite de plus. Couler est aussi une défaite. Car rien n’est hasardeux dans cette tragédie. La plage de ceux qui sont en dessous est pleine. Shauba embrasse une sardine et essaie de déchiffrer le plaisir. Elle voit ses lunettes sur les yeux d’un espadon. Shauba dit : Demander l’asile politique quel sens cela a-t-il lorsque l’on va mourir ? Mahama dit : que si les Européens ont calculé que chacun dans le monde a sept sosies, les Africains ont calculé que chacun dans le monde a son bourreau.
La Shauba de Lampedusa Beach est une réalité-fiction qui donne une version d’un voyage sans retour. On saisit bien l’allusion mythique de l’auteure, quand la vérité de Cassandre se fait trop douloureuse pour être prise au sérieux. La malédiction se prolonge en Achille qui tombe amoureux de Penthésilée en la voyant mourir. Ces trois femmes se rejoignent dans le vertige du tragique contemporain. Ce n’est pas dans les cothurnes du théâtre grec que nous marchons avec Lina Prosa, mais bien sur le sable d’une plage de la dévastation du vingt-et-unième siècle.
Qu’en pense Mahomet ? Mahomet a-t-il préparé le paradis ? Lina Prosa
Lampedusa Beach
Lina Prosa
Lampedusa Beach a obtenu le prix national Annalisa Scafi pour le théâtre public à Rome en 2005 et le prix Anima pour le théâtre en 2007.

Article Dashiell Donnelo sur Médiapart