SCÉNOGRAPHIE Ang.: scenography, stagecraft ; All.: Bühnenbild,
Esp.: escenografía.
La skênographia,
c'est pour les Grecs l'art d'orner le théâtre et le décor de peinture qui
résulte de cette technique. A la Renaissance, la scénographie est la technique
consistant à dessiner et peindre une toile de fond en perspective. Au sens moderne, c'est la science
et l'art de l'organisation de la scène et de l'espace théâtral. C'est aussi,
par métonymie, le décor lui-même, ce qui résulte du travail du scénographe. Aujourd'hui,
le mot s'impose de plus en plus à la place de décor, pour dépasser la notion d’ornementation
et d’emballage qui s’attache encore souvent à la conception désuète du théâtre
comme décoration. La scénographie marque bien son désir d'être une écriture
dans l'espace tridimensionnel (auquel il faudrait même ajouter la dimension
temporelle), et non plus un art pictural de la toile peinte, comme le théâtre s'est
longtemps contenté d'être jusqu'au naturalisme. La scène théâtrale ne saurait
être considérée comme la matérialisation de problématiques indications
scéniques* ; elle
refuse de
jouer le rôle de « simple figurante » par rapport à un texte
préexistant
et déterminant. (...)
Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Messidor,
Poitiers, 1987
Comment
travaillez-vous avec Eric Soyer qui réalise les lumières et les décors de tous
vos spectacles ?
Joël
Pommerat
- Avec Eric,
j’ai développé une façon de travailler qui n’est pas, disons, traditionnelle.
Eric occupe la fonction double de scénographe et d’éclairagiste. Ce qui est
très significatif puisque dans mes
spectacles,
je crois qu’il y a une fusion totale entre ces deux domaines.
Les
scénographies de nos spectacles sont des espaces vides, comme des coquilles
vides, c’est la lumière qui crée ou plus exactement révèle des espaces.
Entre Eric
et moi, il n’y a pas le rapport classique du metteur en scène et du
scénographe. Je n’écris pas de texte préalablement. Je n’ai jamais pu donner à
un scénographe un texte à lire et attendre qu’il me fasse ses propositions.
D’ailleurs, je ne pourrais pas fonctionner comme ça. La scénographie,
c’est-à-dire l’espace dans lequel une fiction va
pouvoir se déployer, appartient chez moi intégralement au domaine de
l’écriture. Ce n’est pas annexe. L’espace de la représentation, celui dans
lequel les figures ou personnages vont évoluer ou vivre, c’estla page blanche
au commencement d’un projet. Depuis que j’ai commencé à faire des spectacles
(au début des années 1990), je me suis toujours défini comme « écrivant des
spectacles » et non pas comme « écrivant des textes ». En tant que
qu’écrivain de spectacles, j’ai toujours commencé par définir (et j’y tiens)
pragmatiquement des grands principes de scénographie.Principes
assez simples fondés sur le modèle de la boîte noire. Ce modèle permet de
recréer, dans des architectures théâtrales très marquées (le Théâtre de la Main
d’Or au début, le théâtre Paris-Villette
ensuite), des espaces neutres au sens d’ouverts, propices à la création et à
l’imaginaire, des espaces « vides » au sens brookien du terme. À l’intérieur de
ces espaces, la lumière occupe évidemment une place prépondérante et centrale.
C’est là que la rencontre avec Eric a été tout à fait déterminante pour
l’évolution de mon travail. Eric a accepté dès le début de notre collaboration
de travailler sur le modèle d’un longet parfois laborieux work in progress. Un
travail de répétitions et de création où la lumière est constamment présente et
évolue sans cesse, heure après heure, jour après jour (pendant 3 ou 4 mois),
jusqu’à faire sens entièrement avec le jeu des acteurs, avec le texte en
construction et évidemment avec l’espace scénographique (généralement vide). La
lumière ne se « rajoute » pas à la mise en scène et à l’écriture mais elle la
constitue, au même titre que tous les autres éléments tels que le son et le
mouvement, les corps, les costumes.
C’est pendant ces premières séances de travail au début de notre collaboration
que nous avons défini notre vocabulaire commun, encore en vigueur aujourd’hui :
une lumière qui ne cherche pas à rendre
visible, mais qui sait cacher aussi, et qui accorde une grande place à
l’imaginaire de l’œil.
Extrait d'un
entretien réalisé par Christian Longchamp pour le magazine de la Monnaie (Bruxelles)
juillet 2011
La
scénographie des spectacles de Joël Pommerat est extrêmement
particulière
et tient une place considérable dans le spectacle. Comment la définiriez-vous ?
Éric Soyer
– La
scénographie dans les spectacles de Joël a pour but de
mettre
l’espace en mouvement.
Elle procède
par la création d’un espace vide. Il s’agit de fabriquer une
boîte dans
laquelle on oublie le théâtre et où tout devient possible au
niveau de
l’imaginaire. On s’attache à faire disparaître les limites du lieu où l’on
inscrit la représentation. C’est une boîte de lumière qui permet de créer des
tensions dans l’espace. Il s’agit plus d’un art chorégraphique au départ : la
place des corps et leur mouvement dans l’espace.
Joël a l’art
de poser les corps dans l’espace. Ses mises en place sont
extrêmement
précises. La lumière se fait en même temps et vient
proposer ou
soutenir ces tensions. C’est une partition qui se décline sur plusieurs niveaux
de sens : sensoriel, sonore, visuel pour rendre les choses intelligibles sur le
plan de l’émotion.
Extrait d’un
entretien avec Éric Soyer, scénographe de la compagnie Louis Brouillard.