«
Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains
de football et les scènes de théâtre, qui resteront mes vraies
universités. »
Albert Camus, Pourquoi je fais du théâtre, 1959
Le théâtre : un jeu d’équipe, une équipe de fidèles.
Que
ce soit dans le rôle de l’écrivain, de l’adaptateur, du metteur en
scène ou du comédien, Albert Camus a toujours entretenu une relation
passionnée avec le théâtre qu’il comparait volontiers au football, son
autre passion. Pour lui, sur un plateau de théâtre comme au football,
l’humilité, la solidarité, le sens de la camaraderie, du dépassement de
soi et du travail d’équipe dans le respect des règles du jeu sont
essentiels pour aller à la réussite face à un public en attente. Bien plus qu’un espace de jeu, le théâtre est
un « royaume d’innocence »qui fait éclater la justice et la vérité sous
le masque : s’il est lieu d’illusion, il n’est pas lieu de mensonge.
Conformément à cette vision du théâtre, Camus s’entourera d’une équipe
de fidèles qui le suivra au fil de ses années de théâtre.
Des noms aussi prestigieux que Maria Casarès (dont il tomba amoureux), Catherine Sellers, Roger Blin, Gérard Philipe, Michel
Bouquet, Serge Reggiani, Pierre Brasseur, Marcel Marceau, Madeleine
Renaud ou Jean-Louis barrault l’ont accompagné dans son travail
théâtral.
Un document surprenant : Camus parle de son Prix Nobel en regardant un match de football, disponible sur www.ina.fr/sport/football/video/
AFE85007615/interview-de-monsieur-albert-camusprix-nobel-1957-lors-du-match-racing-monaco-auparc-des-princes.fr.html,
[consulté en février 2010].
Un parcours théâtral en trois périodes
Le
parcours théâtral de Camus s’articule autour de trois périodes qui
définissent également l’évolution de l’écrivain sur un plan humain et
philosophique. Entre 1936 et 1938, il dirige successivement à Alger le
théâtre du travail – dont les membres aspiraient à un idéal communiste –
puis le théâtre de L’Équipe. Cette transition marque sa prise de
distance avec le Parti Communiste et son retour vers des préoccupations
esthétiques qu’il définit dans un Manifeste daté de 1937. Avec l’arrivée de la guerre, la troupe se dissout.
C’est durant sa période de maturité (1943-1949) que Camus rédige les quatre pièces qu’il nous a laissées : Le Malentendu (1944), Caligula (écrite en 1938, publiée en 1944), L’État de siège (1948) et Les Justes
(1949). Les deux premières, qui appartiennent au cycle du « théâtre de
l’impossible », interrogent l’absurde de la condition humaine, alors que
ses deux dernières, abordent la question de la révolte. Par le biais du
théâtre, ses personnages confrontent des points de vue sur des
questions essentielles à ses yeux, animant les hésitations et
contradictions qui le hantent en tant qu’intellectuel: « la pensée est
en même temps action »
.
Cette période lui permet d’un point de vue intellectuel, de concilier
réflexion philosophique et mise en forme esthétique de sa pensée. S’il
reste attaché à un certain classicisme de la forme, les questions qu’il
pose sont éminemment contemporaines. il répond à un public pris dans la
tourmente d’une crise liée aux débats et événements historiques
d’après-guerre. il entrera de
plein pied dans le débat sur l’absurdité de l’existence tout en gardant
foi en la possibilité du dialogue humain, contrairement aux auteurs
classés dans la catégorie du « théâtre de l’absurde ».
Cependant,
les questions esthétiques posées par le renouveau de l’écriture
théâtrale ainsi que les critiques qui lui sont adressées, orchestrées
pour la plupart autour de son conflit avec Sartre, occasionnent chez
Camus une période de crise de l’écriture. S’il décide en 1953, de
devenir pleinement homme de théâtre, il se limitera, dans cette
troisième période, face à l’hostilité du milieu intellectuel parisien, à
l’adaptation de chefs-d’œuvre romanesques. il rêve alors de créer une «
tragédie moderne ». Par ailleurs, son goût pour la littérature russe
lui permettra de travailler pendant six ans à l’adaptation de Les Possédés
de Dostoïevski. À la veille de sa mort brutale dans un accident de
voiture, Malraux s’apprêtait à l’aider à réaliser son rêve plus cher :
diriger un théâtre.