Timbuktu de de Abderrahmane Sissako : Bande annonce sur Arte
Le film passe encore au Colisée de Colmar jusqu'à mercredi.
Timbuktu de Abderrahmane Sissako a connu une genèse
particulière. Conçu au départ comme un essai documentaire sur la poussée
du fondamentalisme islamique dans la région de Tombouctou au Mali,
inspiré par l’histoire vraie d’un couple non marié lapidé par les
extrémistes qui avait choqué le réalisateur, le projet est devenu durant
son écriture et son processus de création un film de fiction, sur les
mêmes thèmes. Avec la volonté de prendre ses distances avec le
témoignage filmé accablant, Sissako signe avant tout un grand film de
cinéma, en prise directe avec la situation politique, mais capable de
toutes les libertés et d’une licence poétique qui n’est pas non plus
celle des contes immémoriaux auxquels nous a habitué le cinéma africain.
Le film raconte l’histoire de Tombouctou pris en otage par une troupe
de jihadistes qui impose sa loi par la violence et l’intimidation à une
population musulmane déjà respectueuse des préceptes du Coran et qui
refuse de s’incliner, adoptant une résistance plus ou moins passive.
Sissako montre les extrémistes religieux comme un assortiment
hétéroclite de bras cassés, de fanatiques, de types plus ou moins
bornés, sincères ou pétris de contradiction, issus d’horizons divers –
souvent incapables de se comprendre entre eux car ils ne parlent même
pas la même langue et parfois fort mal l’arabe.
Cette absence de manichéisme permet de doter les jihadistes d’un
visage, d’en faire des personnages de cinéma et pas seulement une masse
anonyme, silencieuse et masquée. Leurs commandements peuvent provoquer
le rire ou être tournés en dérision par la population, réticente à
l’idée de ne plus pouvoir fumer, faire de la musique ou jouer au foot,
tandis que les femmes crient leur colère quand on les oblige à porter
des gants et des chaussettes dans la rue.
L’une des scènes les plus belles et étonnantes du film montre des
jeunes jouant au foot sans ballon, pour déjouer la surveillance et les
brimades des rondes de Jihadistes. Mais la bêtise et l’absurdité n’ont
pas que des conséquences comiques, et Sissako n’occulte rien des
châtiments et condamnations à mort – terrible scène de lapidation, point
de départ du projet et revient comme un cauchemar à l’intérieur du film
– jusqu’à l’issue tragique et bouleversante.
Sissako confirme sa position phare de plus grand cinéaste africain,
mais surtout de grand cinéaste tout court, avec cette façon très
émouvante de capter la beauté là où elle se trouve, dans les visages
d’hommes, de femmes et d’enfants, les moments de bonheur et la nature
dans toute sa sérénité, insensible à la folie humaine.