vendredi 12 décembre 2014

L'Enfant Sauvage au théâtre: texte de Bruno Castan

Site de la compagnie 7ème Ciel

Note d'intention de Marie Provence

L’histoire de Victor de l’Aveyron illustre comme un mythe la fascination populaire pour le sauvage, le différent, comme un élément rassurant et anxiolytique. Elle s’inscrit dans une époque transitoire, un trou vide laissé par les révolutions et les conquêtes territoriales où l’Europe explore les différents Etats politiques, au lendemain du « Discours sur l’origine de l’inégalité » de Rousseau et à l’aube de la naissance de la psychiatrie.
Les foires sont très importantes dans la culture populaire du 19e siècle. Elles présentent les découvertes scientifiques et technologiques, mais aussi la fascination pour la nature humaine dans tous ses états. On y montre des monstres humains, puis on relaye l’information dans les salons parisiens. Après la découverte d’un enfant sauvage dans la forêt de l’Aveyron qui apparaît comme un fait divers plutôt banal, le ministre décide de le faire venir à Paris. Sa venue provoque une grande excitation dans les milieux intellectuels, elle clarifie la dualité de l’inné et de l’acquis.
Pourtant, il est très vite déclaré idiot et délaissé dans un coin de l’Institut des Sourds et Muets, faute de changements immédiats au contact de la société. Son jeune directeur, le Dr Villeneuve (le Pr Itard dans la réalité), ne peut accepter cet abandon et décide de consacrer du temps à observer comment une éducation innovante, basée sur l’affection, la répétition, l’éveil aux sensations peut soigner l’aliénation et ramener petit à petit le sauvage à la normalité, celle où parler permet de communiquer, faculté qui différencie l’homme de l’animal.
François Truffaut en a fait un film, proche du rapport du Pr Itard, avec simplicité et poésie. Il y est question de cadre et la relation du cinéaste à la paternité transperce l’écran.
Ici, Bruno Castan écrit une histoire tendre, proche du conte, la présence féminine et maternelle de la bonne est plus accentuée. Le jeune spectateur assiste à la tentative d’éducation et suit l’évolution des rapports entre le docteur Villeneuve, la bonne et Victor, parsemés de petites victoires mais aussi de remises en question. Il y est plus question de parcours individuel, de recherche de langage, de communication et la pièce se rythme autour de la tendresse, de l’humour, de l’obstination mais aussi du cynisme et du désespoir.
Pourquoi monter ce texte aujourd’hui ? Parce qu’au delà de la fascination pour la découverte du langage originel et du rapport exclusif qu’un enfant peut avoir avec la Nature, il en ressort un cri d’amour, un hymne à la pédagogie, une reconnaissance pour tous ceux et celles qui cherchent les codes et les moyens de s’adapter, le plus souvent dans l’ombre, aux enfants différents, laissés sur le bas côté de la route, dans une société soucieuse de normalisation. Et parce que cette histoire, qui nous plonge dans le mythe fascinant des enfants sauvages, continue de nous questionner sur la nature humaine : Parfois ne vaut-il pas mieux l’humanité de la sauvagerie que la sauvagerie de l’humanité ?
Marie Provence, metteur en scène.

février 2013