Structure de Phèdre : circularité et renversement. Pertinente
pour dire tout le tragique attaché au personnage d’Hippolyte. Lui qui était
chasseur se trouve chassé, lui qui maîtrisait les bêtes, les chiens, les
chevaux de son attelage se retrouve ne plus pouvoir dompter ces derniers et
être entrainé à mort par eux, lui qui cultivait la chasteté et la vie sauvage
se retrouve accusé de viol par les gens du palais. Tragédie qui résulte de la
vengeance. (…)
Chez Sénèque, ce sont les hommes qui occupent l’espace
tragique : Hippolyte ouvre la pièce, son père dialoguant avec le chœur la
clôt. Ce n’est pas qu’à l’intérieur de la tragédie les dieux soient absents de
la bouche des personnages : Hippolyte invoque Diane, la nourrice Hécate
mais le premier commet justement la faute d’être un dévot exclusif de la déesse
chasseresse tandis que la nourrice n’est pas exaucée dans ses vœux d’être aidée à
convaincre le jeune homme misogyne de profiter des plaisirs de la jeunesse. Quand
c’est au tour de Phèdre d’invoquer le dieu amour pour justifier la faillite de
sa raison, la nourrice dénonce avec force ce qu’elle présente comme une fiction
forgée par un esprit prisonnier de la passion :
« que pourrait la raison ? la fureur a vaincu et
règne et un dieu puissant est le maître de mon âme tout entière. »
« Que l’amour est un dieu : c’st une passion
honteuse et complaisante au vice qui a forgé cette fiction. »
« Un esprit dément s’est associé ces illusions et a
forgé cette fiction de la volonté de Vénus et de l’arc du dieu. »
En employant par 2 fois le verbe « fingo », la
nourrice dénonce le mécanisme de défense utilisé par Phèdre qui se dédouane
selon elle pour rejeter la responsabilité de son trouble amoureux sur vénus et
Cupidon.
Comment comprendre alors que le premier chœur chante ensuite la toute
puissance de Cupidon touchant tous les êtres, partout ? Justement la
construction de la tragédie dément cette croyance portée par la voix collective
puisqu’il est bien au moins un homme qui résiste à cette emprise, Hippolyte. Cependant
on l'a vu ce sera à ses frais et pour son malheur. Sénèque reproduit la
mécanique de l’enfermement et de la circularité (du héros par les deux
divinités Cypris et Artémis) présente dans la tragédie grecque d’Euripide mais
la déplace sur le plan humain et y ajoute la dynamique du renversement. Ainsi
dans la tragédie latine ce ne sont pas les dieux qui exercent leur pouvoir sur
les personnages, mais ce sont les hommes qui mènent l’action, ou plutôt les
femmes comme en témoigne le titre Phèdre.
Début atypique de la tragédie : la pièce s’ouvre sur
une monodie d’Hippolyte en anapestes, un mode lyrique, qui semble détachée de l’action :
le personnage ne se présente pas alors que c’est l’usage dans un prologue,
entrée suivie non pas d’un chœur mais d’un monologue parlé de Phèdre. Prologue atypique
en diptyque constitué à la fois par cette monodie cynégétique d’Hippolyte et
par le monologue suivant de Phèdre avec lequel elle contraste fortement.
Dans ce qui précède le premier chœur, on a donc, en canticum, lamonodie d’Hippolyte qui
comprend elle-même deux parties avec l’adresse aux chasseurs et la prière à
Diane
En diverbium, les
tirades alternées de Phèdre et de la nourrice puis le dialogue serré entre les
deux femmes .
Fort contraste :
pour les yeux entre scène individuelle et collective, entre les différents
espaces représentés et évoqués, pour l’oreille : mode récitatif et mode
parlé, et pour l’esprit : opposition entre les deux protagonistes, dans ce
prologue inhabituel et déroutant.
Les entrées en scène des 3 personnages sont soignées et
dessinent des mouvements nettement visibles : ils ne se croisent pas( Hippolyte
entre en sort avant que les deux femmes
n’arrivent) et cette distance spatiale est symbolique. Le cadre dans lequel
apparaît Hippolyte le définit : chasseur adressant une série d’instructions
à d’autres chasseurs, dans la forêt où il désire rester. : divers lieux
sylvestres, forêts ombreuses, pôle d’attraction par opposition au monde
urbanisé, raffiné du palais où habite Phèdre. Or la jeune femme aspire à le
rejoindre dans ces lieux qui lui sont chers. Contraste patent entre deux
univers, mais la passion amoureuse aspire à gommer ces oppositions pour
privilégier l’union.
Début de la pièce frappant pour un Romain : contraire
aux habitudes, car lyrique et dans un vers inhabituel : l’anapeste ( deux
brèves une longue) considéré comme un vers anti héroïque, un contre-dactyle (
une longue deux brèves) Hippolyte refusera d’assumer les fonctions que lui
propose Phèdre : prendre la place de Thésée durant son absence et accepter
l’amour de sa belle-mère. Il rejettera tout ce qui contribuerait à asseoir une
position sociale mature : pouvoir et sexualité.
Dialogue nourrice /Phèdre : tension qui monte
Mise en place dès le début des deux pôles majeurs de la
pièce : masculin/féminin( les deux femmes d’abord opposées finissant par s’unir)
Homme inscrit dans un paysage en harmonie avec son ethos : sauvage,
farouche préférant la nature à la civilisation et la compagnie des hommes à
celle des femmes.
Femme : reine « furieuse » en proie à sa
passion destructrice, jeunesse opposée à maturité que lesl ois de la nature
commandent de ne pas mêler.