Qu’est-ce que le tragique ?
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Philosophie et tragédie
« Il faut savoir que tout dans l’univers est une lutte, la justice est un conflit, et que tout le devenir est déterminé par la discorde. » (Héraclite l’obscur, Tragédie et Philosophie.) Nietzsche, philosophe allemand du XIXème siècle, explique dans Naissance de la tragédie que la philosophie est née en Grèce au moment et à cause de la destruction et de la décadence de la tragédie. Ainsi, la philosophie a détruit le tragique. Nietzsche formule donc l’opposition existante entre philosophie et tragédie. D’une certaine manière, Socrate a tué Sophocle.Il est dès lors nécessaire de dire ce qu’est le tragique
Le tragique est l’impossibilité de penser l’unité du monde. C’est la conscience que « je ne peux pas concilier l’ensemble de ce qui fait l’être ».Toute la philosophie est la recherche de la compréhension de l’unité du monde. C’est la volonté de comprendre l’unité du monde au-delà des différences, dans les cultures, dans les expériences.
La recherche de l’unité du monde - cette entreprise fût-elle orgueilleuse - nous met face à une représentation du monde. Le monde n’est plus pensé sur le mode du conflit, les oppositions doivent pouvoir être résolues dans une réconciliation finale.
Or, à l’opposé, le tragique est le fondement de la tragédie. Est à la source de la tragédie l’idée qu’il n’y a pas de réconciliation possible. Le monde est fondé dans une discorde définitive. La réconciliation finale n’est possible que par et dans la mort.
La volonté de réconciliation détruit la tragédie, car elle détruit le rapport tragique au monde. Hölderlin, poète allemand du XIXème siècle, a traduit les tragédies de Sophocle Œdipe-Roi et Antigone. C’est à la lumière de ces remarques que nous nous proposons d’analyser le mythe d’Antigone.
Qu’est-ce que le tragique ?
Premier point essentiel, il faut prendre conscience de ce qu’est le tragique.Il n’y a pas de tragique dans le monde, pas de tragique au quotidien. Le quotidien est la sphère des problèmes particuliers, le lieu de rencontre des hommes avec eux-mêmes.
Il n’y a tragique que s’il y a rapport de l’homme à l’absolu, avec ce qui est au-delà de lui, avec Dieu.
Ainsi, pour qu’il y ait tragique, l’homme doit penser au-delà de ce qu’il est. Pour qu’il y ait tragique, il ne doit pas chercher sa vérité individuelle, mais chercher la vérité, ou mieux chercher s’il existe la vérité par-delà la diversité, s’il existe quelque chose au-dessus de l’homme, au-delà de l’homme, qui ne soit pas relatif mais absolu.
On peut ainsi comprendre les dieux comme la personnification, la réalisation de cet absolu de l’homme. Et c’est face à cet absolu que l’homme découvre sa situation tragique.
Or, l’homme recherche l’absolu. S’il acceptait sa finitude, la finitude absolue de son être, - « un peu de terre sur la tête, et la comédie est terminée » (Pascal) - il n’y aurait pas non plus de tragique.
En fait, l’homme est tragique en lui-même. Ce qui fait son malheur, sa malchance, sa destinée, et sa destinée tragique, c’est d’avoir un esprit, car c’est son esprit qui le met en contact avec l’idée d’absolu. L’homme n’est pas absolu en soit, mais il conçoit l’idée d’absolu et il n’admet pas d’accepter de ne pas atteindre cet absolu qu’il est en mesure de concevoir.
C’est cette tension entre son absolu finitude et son désir d’absolu qui crée le tragique. Ce que traduit Hölderlin en disant : « L’homme cherche à vivre dans la lumière de l’impensable ».
L’impensable est que l’homme devienne un dieu. En somme, l’homme veut être autre que lui-même. On a là le tragique du conflit grec, du conflit qui est au cœur de la tragédie grecque et mis en scène par la tragédie grecque, « l’homme veut être l’impensable ».
Tragédie et politique
Il existe un lieu dans lequel le tragique est inacceptable, c’est la cité, car le tragique représente un danger pour l’ordre politique
La cité, c’est le lieu où les hommes vivent ensemble. La vie ensemble suppose la détermination d’un bien commun, qu’il faut suivre de concert.Or, l’homme comme le définit Aristote « est un animal politique ». Seuls peuvent vivre en dehors de la cité les morts ou les demi-dieux. Vivre sans dépendance est pour les Grecs pire que la mort. Il n’y a, pour les Grecs, pas de bonheur possible sans cité, sans les autres.