Pourquoi Stabat Mater Furiosa ?
Par Catriona Morrison
Cela faisait trois ou quatre années que ce texte
était sur mon bureau, comme une interrogation permanente. D’abord j’ai
pensé à mes élèves. Je leur ai donné des copies de certains
passages, les ai encouragés à les apprendre. Des
travaux toujours entamés mais jamais aboutis… et puis maintes fois je me
suis à nouveau penchée dessus avec l’envie de le jouer
moi-même, car Jean-Pierre Siméon maîtrise la langue
française de façon vertigineuse, j’ose même dire qu’il est à la fois
comparable à Paul Claudel de par ses sens quasi
métaphysiques du rythme et du souffle, mais aussi à
Coluche de par son engagement qui remue sans aucune pitié
nos « consciences culturellement correctes ». Un
auteur si poétiquement pointu mérite d’être entendu.
A tout prix. Parce que ce qui est dit nous met face à l’inéluctable
vérité de la condition humaine. Cette incontournable
pulsion de détruire, alors que finalement ce serait
si facile de vivre comme des « bons vieux poltrons ». Témoignage
bouleversant des atrocités de la guerre, qui
balaye tout élan de compassion ou de pitié pour les
victimes. La sentimentalité du bon penseur qui rentre chez lui avec
l’impression d’être plus « éveillé »
qu’auparavant ne fait que contribuer aux meurtres.
Il n’y a pas d’échappatoire : il faut que ça cesse. Stabat Mater Furiosa
est la mère furieuse, debout, parmi les milliers
de faibles, d’écartelés. Elle a fait un songe : une
foule silencieuse. Sans chef de guerre, ni dieux, ni même d’archanges.
Le songe est dit.
Catriona MorrisonExtrait du texte:
J’aime que le matin blanc pèse à la vitre et l’on tue ici
J’aime qu’un enfant courant dans l’herbe haute vienne à cogner sa joue à mes paumes et l’on tue ici
J’aime qu’un homme se plaise à mes seins et que sa poitrine soit un bateau qui porte dans la nuit et l’on tue ici
J’aime
qu’on bavarde à la porte du boulanger quand il n’y a d’autre souci que
le bleu du ciel étendu sous la théorie des nuages et l’on tue ici
J’aime qu’à quelques-uns on s’ennuie paisiblement à observer le vent dormir sur les toits de la ville et l’on tue ici
J’aime qu’on bâtisse une fleur pour la fleur dans le loisir insipide du jardin et l’on tue ici
J’aime que la pierre roule dans la rivière et que cela fasse un bruit de clarinette et l’on tue ici
J’aime que les heures ne soient que le temps qui passe pour faire les heures et l’on tue encore ici encore
Et voilà comment continue ma prière
Êtes-vous là encore êtes-vous là mangeurs d’ombre
Je crache
Je crache sur l’homme de
L’homme de guerre
Je crache sur le guerrier de la prochaine
De la prochaine guerre
Qui joue aujourd’hui avec son ours en peluche les ailes des mouches et
La poudre rouge et bleue des papillons
Je crache sur l’esprit de guerre qui pense et prévoit la douleur
Je crache sur celui qui pétrit la pâte de la guerre
Et embrasse son sommeil quand on cuit la mort au four de la guerre
Je crache sur le ruisseau de sang qui tombe des doigts du vainqueur
Comme un mouchoir par mégarde tombe au caniveau
Je crache sur celui qui fait d’un corps de femme une chair ouverte
Une chair bleue qui était blanche
Couverte de guêpes qui était faite pour le baiser
Déchirée qui était comme une soie pour le soleil
Je crache sur la haine et la nécessité de cracher sur la haine
Homme de guerre je te regarde
Regarde-moi
Je te dis regarde-moi(...°