I. Projet artistique de
l’année 2014-2015
Après le travail sur le théâtre engagé de
Dario Fo et sur les Mystères Bouffes qui nécessitaient d’explorer la question
de l’adresse , celle de la « présence »du « jongleur » et
qui nous a permis d’effectuer, pour certains mystères, un travail choral (
Projet 2013-2014), j’ai proposé à Patrice Verdeil de travailler sur l’expression
du sentiment amoureux au théâtre à travers un montage de textes qui permette un
parcours de la naissance du sentiment amoureux
jusqu’au vieux couple, collage de textes qui va de Molière à Ionesco en
passant par des auteurs plus contemporains comme Marguerite Duras, Sarah Kane
et Joël Pommerat.
Patrice a accepté de
se lancer dans ce projet de création collective à 35 élèves qui est une
véritable gageure. Il s’agissait, du coup, essentiellement de réfléchir avec
les élèves à la façon dont nous pouvions « fabriquer » du théâtre à
35 en permettant à chacun de trouver une place malgré la contrainte du nombre,
de travailler davantage le dialogue théâtral, d’insister sur la question de l’écoute de
l’autre et du temps nécessaire pour qu’une réponse fasse son chemin entre les partenaires
mais aussi jusqu’au public, avec l’écueil, en même temps que la richesse,
d’avoir à traiter la question dans des dramaturgies très différentes les unes
des autres.
Il fallait surtout confronter les
élèves à la question du corps amoureux à un âge où il n’est pas facile de l’aborder
mais où l’approche du sujet peut être éclairant, voire salutaire, dans la
mesure où il permet d’en parler à travers une médiation artistique. Comment
parler de l’intime au travers du collectif en s’emparant des mots d’un auteur,
des paroles d’un personnage, expérimenter la fabrique d’un théâtre qui permette
à chacun de trouver sa place et d’exercer une liberté de proposition qui en
même temps engage face au groupe et demande beaucoup de patience ?
Nous avons pensé que donner
« un espace vide »aux élèves, -celui de l’auditorium du lycée d’abord
puis du plateau de la salle Europe pour la présentation du travail-, espace de
jeu et d’expérimentation théâtrale était
un beau cadeau à leur faire. Se confronter à la création à 35, s’emparer d’un
lieu et y projeter son énergie, choisir de défendre une parole, un personnage,
un texte, essayer d’écouter l’autre, sa demande, sa souffrance, autant d’actes
où puiser la force de la construction de soi, où prendre conscience de la
valeur des démarches collaboratives, où faire entendre des questionnements intimes souvent peu audibles dans d’autres
cadres.
Le groupe est composé de 20
premières et de 15 terminales dont 13 passent l’épreuve. Le nombre n’a pas
facilité la tâche et nous avons souvent divisé le groupe, d’un côté les premières
et de l’autre les terminales, en les faisant travailler alternativement,
Patrice et moi, et aussi en autonomie. Ils devaient nous proposer des mises en
espace, des idées de mise en scène à l’issue d’un temps de travail autonome.
Les terminales ont parfois travaillé leur point d’approfondissement au CDI
pendant que d’autres répétaient leur scène.
Les élèves ont choisi les scènes qui les
intéressaient le plus dans un corpus très vaste que nous avons pris le temps de
lire en début d’année et qui a constitué, du coup, une découverte d’une matière
théâtrale très abondante.
Les séances ont été essentiellement
consacrées à de la pratique, même si le professeur a toujours, en début de
séance, consacré un peu de temps, soit à des explications sur la
« matière »travaillée, soit le plus souvent à la préparation et à
l’analyse des spectacles vus à la Comédie de l’Est, le suivi des terminales
étant plus individualisé, puisque chacun a choisi de travailler soit sur
l’auteur et la pièce dont il avait choisi une scène, soit sur un thème ou une
problématique concernant la question de l’amour au théâtre. Le blog lavoixduplateau@gmail.com a été un
outil précieux pour transmettre des connaissances, faire approfondir des
aspects juste évoqués en classe.
Le travail corporel aurait sans
doute mérité un approfondissement : au premier trimestre nous avons fait
beaucoup d’exercices pour permettre le rapprochement des corps, des exercices
de contact, des exercices en miroir, d’autres pour travailler le regard… Pour découvrir les jeux de l’amour et
de la séduction, il nous a paru intéressant d’initier les élèves à l’une des
danses les plus expressives et sensuelles, le tango argentin,
malheureusement il n’a été possible que
de consacrer deux séances au tango et seuls quelques élèves ont pu aller
jusqu’au bonheur de danser à deux véritablement. Mais l’ensemble des élèves a
apprécié de pouvoir s’initier. Faute de temps nous avons aussi dû renoncer à la
traditionnelle collaboration avec l’ensemble instrumental du lycée.
Assez vite nous avons dû nous
concentrer sur les scènes à travailler. Nous ne voudrions pas qu’il soit
reproché aux élèves de ne pas maîtriser davantage l’expression corporelle du
sentiment amoureux, les « rejeux »
pourront peut-être amener les élèves à réfléchir sur ce point et à leur faire
redécouvrir ce qu’ils auront peut-être oublié à force de se concentrer sur la mise en place de la scène choisie et la
présentation de travaux de fin d’année !
Malgré « les
échauffements » faits en commun, les séances de « filage » où le
groupe a été « spectacteur » du travail de tous, le groupe de 35
personnes a été moins soudé que pour d’autres projets, mais c’est bien souvent
le sort des projets de création collective à partir de collage thématique. En
revanche, la transmission entre pairs a plutôt bien fonctionné, les élèves plus
expérimentés soutenant les débutants et leur prodiguant des conseils.
La mise en espace de la
présentation de travaux, qui a eu lieu le mardi 12 mai à la salle Europe de
Colmar –salle dans laquelle nous n’avons pu répéter que deux fois-, a longtemps
été évoquée dans notre imaginaire et notre façon d’en parler dans l’auditorium
du lycée, où s’effectue habituellement le travail de l’option, comme un dancing
de bal populaire, un peu à la manière du film d’Ettore Scola, intitulé Le Bal et créé d’après la pièce du même
nom de Jean-Claude Penchenat, dont nous
avons utilisé le début- l’arrivée des danseurs, femmes et hommes, dans le
dancing- comme sujet d’improvisation, mais a constitué surtout un nouvel « espace
vide » à explorer pour y
expérimenter la fabrique du théâtre, un lieu dans lequel ça joue non stop, ça
travaille le corps, la voix, les mots, les émotions, les regards, l'écoute de
l'autre, un espace de liberté, né au cœur même de la contrainte artistique de
l’option, dont les adolescents ont pu s’emparer, qu’ils occupent, sans que
l'énergie ne baisse jamais ; ça jaillit de partout, ça parle, ça s'aime,
ça souffre, ça dévoile son intimité et ça invente collectivement une façon de
jouer du théâtre pleine d'élans et d'espoirs malgré la dureté parfois de ce que
les scènes choisies forçaient à
expérimenter.