samedi 27 février 2016

Notes sur Avec Joel Pommerat de Marion Boudier (5)



Le spectateur inquiété :
« le trouble » : un état d’instabilité et d’écoute
Etat de perplexité du spectateur devant la complexité du réel et des questionnements humains= « trouble » chez Pommerat,  « état d’ouverture au sens »  « Cet état d’instabilité peut produire de l’inquiétude et de l’anxiété, mais aussi un état d’écoute et d’attention très particulier »
Ce qui est visé c’est « le monde intérieur du spectateur afin qu’en surgissent des réponses neuves, imprévisibles, des résonances mystérieuses » le trouble active le spectateur. Le sens doit s’immiscer entre les lignes. Contre la violence symbolique d’un sens imposé et figé qui immobilise le spectateur au lieu de le mobiliser : inventer un traitement du visible qui respecterait sa part d’invisibilité. : des images qui ouvrent des hors champs, des perspectives : inquiétante étrangeté, clair-obscur, personnages ambivalents, points de vue contradictoires, histoires bancales…création d’une perplexité stimulante. Restituer l’étrangeté du réel. Théâtre = lieu d’expérience et d’expérimentation.
Présentateurs et conteurs : P131
Nombreux dans l’oeuvre : intermédiaires puissants entre salle et scène. Pas conteur bonimenteur chaleureux, présences et voix souvent énigmatiques. Appellent à imaginer et comprendre, surprennent, spectateurs sollicités à participer : apostrophe.
Chaperon Rouge : l’Homme qui raconte vêtu d’un costume noir et le visage barbu : 1ère apparition, cri d’effroi des enfants. Ton monocorde et froid : écoute inquiète et curieuse, il fait peur et séduit comme le loup
Présentateur de « Je tremble » : capable de nous faire «  trembler de joie, et pleurer, de rire, ensemble » étrangeté ancrée dans le familier cf inquiétante étrangeté ( unheimlich) : répétitions rhétorique de la comptine rituel connu
Pinocchio : Pierre Yves Chapalain : clown blanc plutôt menaçant, baigné dans la pénombre et une lumière rouge esthétique foraine et méta théâtrale met en jeu la paradoxale construction d’une fiction vraie : parle avec insistance de l’importance de dire la vérité si bien que l’on commence à s’interroger sur la fiabilité de ses paroles tandis que les êtres masqués qui composent sa compagnie interroge sur la réalité des êtres qui occupent la scène.
Cendrillon : narratrice qui doute elle –même de la fiabilité de sa mémoire, invite le spectateur à mettre en marche son imaginaire, voix narrative féminine alors que sur scène on voit un homme qui effectue des gestes évoquant une langue des signes, des mots sont projetés en fond de scène : histoire, imagination. Les mots qu’ils soient prononcés en voix off, gestués ou écrits sont des signes à interprétés au risque du malentendu comme Sandra en fait l’expérience cf «  Ce n’est pas simple de parler et pas si simple d’écouter » la pénombre oblige à écarquiller les yeux, l’accent italien à tendre l’oreille. Le spectateur doit s’impliquer : «  Si vous avez assez d’imagination, je sais que vous pourrez m’entendre. Et peut-être me comprendre3
Prise en charge du récit par un narrateur pourrait évoquer un principe du théâtre épique ( Brecht) mais les conteurs chez Pommerat servent plus à stimuler une immersion imaginaire qu’à installer une distanciation critique. La relation narrateur- spectateur réduit la distance entre l’espace de la fiction et l’événement théâtral : instant présent, instant concret et imaginaire à la fois.
Dans réunification des deux Corées : présentateur= chanteur androgyne aux paroles incompréhensibles, chansons qui ponctuent l’enchaînement des scènes à la manière d’un espace sonore de projections émotionnelle du spectateur qui est ainsi rappelé à certains émois amoureux indissociables d’un air, d’un rythme, d’une musique…