mercredi 16 mars 2016

Notes sur Avec Joel Pommerat (suite)



L’image sensible : architectures lumineuses et paysages sonores:

Travail sur la lumière et sur le son,  attention particulière à la présence des comédiens : caractéristiques des spectacles de la compagnie Louis Brouillard. Ombres et lumières, sonorisation des voix, musiques et paysages sonores servent la recherche d’une expérience sensorielle totale.

A la fois richesse de la recherche des effets spectaculaires et forme d'épure de la représentation. Partant d’une boite noire et d’un plateau nu, alliance d’une certaine économie de moyens et magie d’apparitions complexes. Oscillation entre le caché/montré, présence et pénombre. Toujours pour stimuler la perception du spectateur. (Cherchez des exemples dans Cendrillon !) 
Pas images figées mais vibrations qui mettent le sens en mouvement. Gommage et brouillage qui aident le spectateur à finir par lui-même le sens cf Jacques Rancière  concept d’ « images pensives » : « une image qui recèle de la pensée non pensée, une pensée qui n’est pas assignable à l’intention de celui qui la produit et qui fait effet sur celui qui la voit sans qu’il la lie à un objet déterminé. »

Ombre, pénombre : « ouvertures où peuvent s’exprimer les sensations », comme dans la lecture du roman, favoriser les images mentales, floues , ambiguës mais plus authentiques. Invitation à compléter mentalement les images. Aussi faire exister un hors champ de la scène.

Noirs qui ponctuent l’enchainement des séquences de manière très rapide = dynamique d’apparitions et de disparitions, rythme qui empêche les images de se fixer tout à fait. Magie. Toujours stimulation de l’imaginaire du spectateur renouvelant sans cesse son désir de voir, de voir plus, mieux.

Eric Soyer : talent de manier la lumière pour créer l’obscurité ; parler  de « noir Soyer » comme on dit le « bleu Klein » : marque distinctive de ce scénographe, éclairages à la fois naturels et flous : variations lumineuses et effets de contrastes, profondeur de champs, rapports au cadre de scène et effets de focales, textures lumineuses différentes. 
Utilise aussi la video comme source de lumière et de matiérage mobile et dynamique ou des voilages de tulles qui agissent comme des filtres dans cendrillon, la lumière et les reflets sont aussi travaillés à l’aide de plaque de plexiglas et de miroirs qui conjugués à la video créent l »indétermination entre réalité et imaginaire : défi lancé au regard du spectateur qui entre féérie et cauchemar voit soudain l’espace gagner en profondeur et les murs se mettre à bouger. Effets stroboscopique lors du bal.

Sons et voix : François Leymarie dès les premiers spectacles puis musiques crées par Antonin Leymarie. Pommerat écoute beaucoup de musique dans la phase de préparation du spectacle : «  compagne d’écriture », façonner l’espace avec elle, aussi un « liant » : cohérence narrative, puissance de suggestion de l’imaginaire. Fonction soutenir un sentiment exprimé ou au contraire apporter une autre couleur sans appuyer le sens en jeu dans le noir de l’inter scène, elle prolonge souvent l’image précédente ou anticipe la suivante, tuilage qui soutient l’activité mentale du spectateur.

Micro Haute définition ( HF) : permettent aux acteurs de parler selon leur propre intensité vocale sans projeter leur voix : impression de proximité et de vérité ( plus que de naturel ce dernier étant toujours une convention au théâtre)

Usage aussi des plays back récurrent : artificialité déréalise, processus de fabrication spectaculaire du réel  révélé. Tension entre le visible et l’audible. Etrangeté

Modifications des voix et  du rythme, créations de boucles sonores ave des courts extraits musicaux : oscillation entre reconnaissance et dépaysement, mêlé à des bruitages réalistes et à des sons abstraits : brouillage de l’image et de sa réception cf bruit de portes dans Cendrillon gros plan sonore, glassharmonica, ondes Martenot, clarinette recréent de manière discordante l’atmosphère cristalline des contes de fée. Joue aussi avec l’émotion que produisent des airs er chansons connues : cf chanson du prince

Complémentarité des effets visuels et sonores produit chez certains spectateurs un effet cinéma, noir profond comme dans une salle de cinéma, enveloppement par le son, luminosité du plateau. Comparaison avec le cinéma qui peut aussi être liée à la mise en scène en montage des séquences avec des cuts d’une quinzaine de secondes accompagnés de sons. Lumière qui crée des gros plans ou des travellings dans le cadre dont elles effacent les limites concrètes généralement visibles au théâtre. Perfection du jeu, rythme très précis, voix très présentes font presque oublier la prise de risque de la performance théâtrale. ( erreur, trou, panne semblent impossibles) scène presqu’aussi rassurante qu’une image filmée pour d’autres , l’intense présence des acteurs continue d’activer la sensation propre au théâtre de co-présence et d’instants partagés.
Pour en savoir plus lire Avec Joel Pommerat, un monde complexe de marion Boudier