Reportage
Maurice Durozier
PAROLE D’ACTEUR, des confidences sur un tapis
…Les masques de théâtre ont un pouvoir, ce ne sont pas des objets inanimés de cuir ou de bois. Ils ont été créés par des artistes, des sculpteurs qui leur ont insufflé la vie. Le personnage existe à l’intérieur, un peu comme le génie de la lampe d’Aladin, attendant celui qui viendra le libérer…
…Car le moi est bien là, c’est son droit, il y sera toujours puisqu’il s’agit de nous. Le personnage utilise notre carcasse, notre corps, nos nerfs, nos fibres, tout ce qui nous constitue. Parfois, et cela n’est pas forcément narcissique, parfois ta vie ne te lâche pas facilement, des pensées matérielles jaillissent, des flashes absurdes viennent te perturber. C’est là qu’il faut un metteur en scène qui le descelle et comme Ariane te crie : - Arrête de penser à ta note de gaz !...
…Derrière le rideau ou en coulisse, seul, avant d’entrer, pendant cet instant, devant cette frontière entre le jeu et le non jeu, cette énigme terrible, ce to be or not be, c’est clair, il doit faire un choix. À part de te demander dans quel état affectif est ton personnage au moment où il va mettre le pied en scène, surtout il vaut mieux éviter les questions inutiles et crois-moi, en une fraction de seconde, c’est vertigineux, toutes les questions qui te passent par la tête…
…Pour un metteur en scène, diriger les acteurs, ça n’est peut-être pas le plus difficile, il suffit de les aider à tenir leur moi à distance, gérer les crises quand elles se produisent. Le metteur en scène, avant tout, c’est le sens de l’espace. Il imagine dans quel lieu va se situer l’action et donc celui qui agit, l’acteur. Toutes ces émotions ont besoin d’un espace qui les contient sinon elles débordent, comme une rivière qui sort de son lit. Si l’espace d’une pièce n’est pas juste, acteurs, spectateurs, tout le monde est perdu…
…Je crois qu’il existe entre les comédiens un code secret, souvent inconscient comme dans les confréries du moyen âge ou les clans de samouraïs. Toutes proportions gardées bien entendu car pour l’acteur, le culte de la mort est remplacé par celui de la beauté. Oui, si l’âme du samouraï est son sabre, celle du peintre son pinceau ; si l’âme de l’acteur est son corps, on imagine le niveau de confusion…
Pascal Durozier