jeudi 15 septembre 2016

La représentation du temps de Shakespeare


LES REPRESENTATIONS  d'après une page de Weblettres

1/ Les textes
La production est très abondante à l'époque de Shakespeare où on monte une quinzaine de pièces par an et par théâtre. De semaine en semaine on programme une pièce différente chaque après-midi.
Un auteur fournissait une trame et collaborait avec les acteurs pour en prévoir la représentation. Parfois cette trame pouvait être empruntée à un autre auteur, en la modifiant ou non . La trame était lue de bout en bout , évaluée ,si le théâtre acceptait le manuscrit cette acceptation était accompagnée d'un paiement à l'auteur. Puis la troupe se mettait au travail :distribution des rôles
choix des costumes et des accessoires
choix des effets sonores
organisation de la succession des entrées et des sorties des personnages car certains comédiens jouaient plusieurs rôles et devaient se changer très vite. 


La trame écrite de la pièce et les indications scéniques étaient conservées par le « book keeper » ,chaque rôle était copié sur un « scroll »- large bande de papier qui servait de support à l'acteur pour apprendre son rôle. Avant chaque monologue figurent les derniers mots prononcés par l'acteur précédent. Cependant sur scène , les acteurs avaient une grande marge d'improvisation,ils supprimaient des passages,insistaient sur d'autres ou s'adaptaient aux réactions souvent vives du public. La pièce n'était pas une œuvre littéraire inviolable ,le texte et son auteur importaient bien peu par rapport au spectacle qui se déroulait sur la scène. C'est peut-être ce qui explique que Shakespeare n' eut guère le souci de publier ses œuvres de son vivant. Les pièces étaient perçues comme un bien partagé,le produit d'un travail collectif.
Ce n'est que vingt ans plus tard,vers 1598 que la notion d'auteur devint plus forte et plus précise et que la profession d'auteur dramatique parvient à une sorte de respectabilité culturelle.

Pendant dix ans, la mode fut aux drames historiques
aux tragédies de la vengeance
aux comédies pastorales
aux comédies urbaines de plus en plus égrillardes
puis aux pièces romaines
et enfin aux romances.

Avant qu'une pièce soit représentée,le texte définitif était soumis à l'Intendant des Menus Plaisirs pour d'éventuelles corrections et censures. Contre une certaine somme,l'Intendant délivrait une licence permettant la représentation publique de chaque pièce . Sa signature faisant foi,le manuscrit devenait la vesion autorisée de la pièce jouable partout en Angleterre :c'était donc un document capital.
Puis les répétitions commençaient ,il n'y avait pas de metteur en scène au sens actuel. C'était le rôle du souffleur ou « book keeper ».

2/ Déroulement de la représentation
Tout le monde savait quand le théâtre était ouvert :on hissait un drapeau sur le toit et un trompette claironnait la nouvelle dans les rues. Des affiches précisaient l'heure,le lieu,le titre de la pièce,le nom de la troupe et donnaient des détails aguicheurs comme « meurtre impitoyable », « mort très méritée »…
La représentation commençait avec trois fanfares destinées à calmer le public agité. Puis entrait sur scène le Prologue,vêtu d'une veste de velours,portant une fausse barbe et une couronne de laurier : il présentait la pièce et demandait l'attention du public.
A la fin de l'épilogue on annonçait au public la pièce suivante,puis les acteurs s'agenouillaient sur scène et priaient pour la reine. Ensuite on dansait « la grande gigue »,intermède comique de vingt minutes. Les acteurs tournaient comme des toupies ou faisaient des contorsions en chantant des airs paillards. Les gigues sont l'écho des drames satyriques de l'Antiquité qui suivaient la représentation des grandes trilogies à Athènes . Quelle que soit la fin dramatique d'une pièce la gigue appartenait au rituel du théâtre :elle rappelle que le théâtre est un jeu,un élément de la joie humaine.
Les représentations débutaient à trois heures l'été et à deux heures l'hiver et duraient en moyenne deux heures (2500 vers environ)

a) le public
Il appartenait à la petite noblesse et à la middle class qui pouvaient se permettre de passer l'après midi au théâtre. On y trouvait également des étudiants,des hommes de loi,des marchands,quelques courtisans. Ils s'asseyaient aux galeries. Le parterre était destiné à un public debout plus pauvre. Il était légèrement en pente et recouvert de joncs sur lesquels on pouvait s'asseoir. Certains apportaient un tabouret.
Le public est très vivant,on mange et on boit beaucoup pendant les représentations,des vendeurs passaient avec toutes sortes de nourritures et boissons. On pouvait également y fumer la pipe. Les spectateurs prenaient activement part au spectacle en sifflant,hurlant ou pleurant,prenant parti pour les différents personnages de la pièce au point de se battre entre eux. Le théâtre est alors une expérience neuve,excitante et suscite énormément d'intérêt :certains spectateurs apportaient des « table books » où ils recopiaient les passages significatifs de la pièce. On vient donc pour voir un spectacle mais aussi pour entendre un message ou une poésie à une époque où les livres sont très rares et chers.

b) la musique
On venait également écouter de la musique. Au balcon il y avait une formation de six ou sept musiciens :un trompette,un tambour,un cor,des flûtes à bec et des luths. La musique annonçait l'arrivée d'êtres ou d'événements surnaturels,elle s'accompagnait de danses. Quand les théâtres à ciel ouvert ont été remplacés par des théâtres fermés, la musique était jouée pendant les entractes.
En plus de la musique il y avait de nombreux bruitages :chants d'oiseaux,sons de cloches,de canons,pétards pour le tonnerre…

c) le jeu de l'acteur
Dans les pièces qui ont précédé celles de Shakespeare il y a encore beaucoup d'exagération dans la pantomime et beaucoup de gesticulations. Mais Shakespeare aurait favoriser un jeu plus nuancé et plus subtil fondé sur l'émotion en créant des personnages très conscients d'eux-mêmes et qui exigeaient un jeu plus intériorisé.
Le but de l'acteur consistait surtout à personnifier une passion en lutte avec la raison pour montrer toutes les conséquences comiques ou tragiques qui en découlent : « les comédiens jouaient un rôle pas un personnage ». C'est pourquoi les notions de motivation ou d'évolution sont rares dans les personnages du théâtre élisabéthain.
Le jeu de l'acteur est marqué par un formalisme très appuyé,il y avait des moyens codifiés,reconnus pour exprimer l'amour, la haine ou la jalousie. Les expressions du visage devaient être outrées,sans ambiguïté. L'acteur regardait son partenaire dans les yeux. La voix portait sans artifice,l'articulation était forte,le débit soutenu. Les grands monologues étaient récités mais peu interprétés.
La gestuelle obéissait elle aussi à des règles particulières dites « éloquence du corps ». Baisser la tête exprimait la pudeur,se frapper le front la honte,croiser les bras l'admiration,froncer les sourcils la colère,mettre un chapeau sur les yeux l'abattement. Cinquante neuf gestes différents de la main étaient répertoriés pour exprimer les sentiments,gestes toujours effectués de gauche à droite. L'aspect physique du jeu était important car il marquait le lien du corps et de l'esprit. Quand un personnage changeait soudain de passion dominante,l'acteur changeait tout en lui tout aussi soudainement : « jouer c'était jouer sur le public ».
Ainsi le jeu de l'acteur reposait sur un mélange de style figé et de possibilité d'improvisation par rapport au texte.