La Tempête selon Strehler
Au fond du plateau tangue en ombres chinoises la maquette d’une
goélette en péril sur les flots sombres, tandis qu’on entend souffler un vent
violent. A ce plan éloigné en succède un plus rapproché, dans un effet
cinématographique mais le jeu reste théâtral : au centre de l’espace
scénique, les acteurs sont ballotés sur une planche qui bascule latéralement,
figurant une coque de navire dangereusement enfoncée. Ils se raccrochent à des
filins. Le grand mat penche en tous sens, la pénombre est traversée d’éclairs,
le tonnerre gronde. Les acteurs portent la voix pour dominer le bruit des
rafales, des coups de mer. La faible lanterne que le vieux conseiller Gonzalo
tente de maintenir au-dessus des flots déchainés symbolise la précarité du
destin du roi et des courtisans et celle de l’aventure humaine.
Le mât se
brise, les corps sont engloutis, les vagues se calment progressivement, la mer
n’est plus qu’une toile qui laisse apparaître ses plis devant Prospéro et qu’on
tire de la coulisse. Sur son île redevenue lumineuse et paisible, le magicien
révèle à sa fille Miranda qu’il n’a déchainé qu’une tempête de théâtre.
Dans un espace où l’enchantement a cessé il peut ôter son
manteau de magie.
L’île est un praticable de bois fendu en diagonale et dont chaque
partie peut alternativement se soulever pour suggérer différents endroits. Du sable
( en réalité des grains de riz) ainsi qu’un curieux coquillage connotent la proximité
de la mer, ailleurs une racine noueuse d’arbre fossilisé porteur de rares
pousses vertes ( Cf en attendant Godot) peut surgir, mais c’est surtout un
plancher de théâtre creusé de deux trappes où Prospéro enfouit ses accessoires.
Sur son ordre Arien en sort ou y range tous les objets nécessaires aux sortilèges
qui se préparent à la vue du public.
L’île elle-même, micro-continent, est située dans un cosmos.
L’air est habité : lumière, soleil, musique le suggèrent et Ariel esprit
des airs évolue dans un espace aérien. L’île de terre a des profondeurs. D’une
trappe surgit le noir Caliban relégué dans son antre.(…)