Le 8 décembre nous assisterons à la CDE à une représentation de la pièce Huis Clos du philosophe Jean-Paul Sartre. Je vous demande à tous d'avoir lu la pièce avant la représentation afin de mieux en comprendre les enjeux et les partis-pris de la mise en scène qui nous sera proposée.
Texte en ligne de Huis Clos de Sartre
" La scène se situe dans un salon bourgeois
meublé Second Empire, avec trois canapés et, sur le manteau de la
cheminée, un
bronze de barbedienne. La pièce est vide. Entrent par l’unique porte un
garçon d'étage et un homme, Joseph Garcin. Garcin est extrêmement
surpris par l'apparence de
la salle. Il semble qu'il s'attendait à quelque chose de très différent.
Les deux hommes discutent de ce lieu et de ses
règles (pas de miroir, pas de nuit, pas de sommeil), et semblent parler
d'un endroit différent. Le garçon révèle que, au-delà de la porte, il y
a
tout simplement d’autres couloirs donnant sur d’autres portes et il
informe Garcin qu'il peut être
appelé via un bouton, mais que le bouton d'appel est capricieux et ne
fonctionne pas toujours.
Dès qu’il est seul, Garcin utilise le bouton qui, bien sûr, ne fonctionne
pas. Il désespère, mais la porte s'ouvre bientôt et le garçon de chambre
introduit Ines Serrano, une femme qui, comme Garcin, est censé séjourner dans cette
chambre. Contrairement à Garcin, cependant, elle n'a pas de questions à poser au
Garçon, qui les laisse seuls.
Ines s'attendait à voir une femme nommée
Florence. comme elle n'est pas là, Ines en conclut que c'est "la torture par la
séparation." Puis elle accuse Garcin d'être son bourreau. Garcin trouve
cela amusant et révèle que, non, il n'est pas un tortionnaire. Il
était journaliste, et maintenant il partage son sort A ce
stade, ils vont essentiellement essayer de sentir les uns les autres. Garcin
est désireux de se montrer courtois, alors qu'Ines
pense qu'ils devraient s'occuper de leurs propres affaires. D'ailleurs, elle
dit qu' elle n'est pas une personne polie.
La porte s'ouvre de nouveau et le garçon fait entrer Estelle
Rigault. Elle est immédiatement effrayée quand elle voit Garcin, qui a
la tête enfouie dans les mains. Elle lui dit de ne pas se relever,
car elle sait qu'il n'a pas de visage. Quand il lève les yeux et révèle
que, en
fait, oui, il a un visage, elle est confuse. Il semble qu'elle attendait
quelqu'un d'autre. Ines, lesbienne, regarde Estelle avec beaucoup
d'intérêt, parce qu'elle est belle et lui plaît.
Estelle est surtout préoccupée de son apparence. Elle
veut un miroir pour se regarder. Elle veut que tout le monde la regarde.
Ines est plus que disposée à le faire, mais Garcin non. Cette situation
est problématique : Ines s'intéresse à Estelle, qui s'intéresse à
Garcin, qui voudrait rester tranquille... s'ensuivent des scènes de
querelles.
Garcin,
Inès et Estelle sont morts et se sont retrouvés en enfer. Estelle refuse
d'entendre le mot "mort" et veut qu'on dise "absent". Estelle est dans
le déni pendant la majeure partie de la pièce. Ines, d'autre part, veut
faire
face à la musique. Elle passe son temps à crier : "Nous sommes en enfer
!"
quand elle le peut, afin que personne n'oublie. Quant à Garcin, il veut
généralement qu'on le laisse tranquille. Selon lui, ils ne feront que se
nuire les uns les autres s'ils
quittent leurs canapés respectifs et se parlent.
Mais ils ne font que se harceler les uns les autres et se
disputer, chacun des trois personnages révèle lentement l'histoire de sa vie.
Garcin était journaliste à Rio pour un journal pacifiste. Il a été tué
pour avoir défendu ses principes. Estelle était une pauvre fille dont les
parents sont morts quand elle était jeune. Elle a épousé un vieil homme riche, est devenue une femme du
monde, et il est mort d'une pneumonie. Ines était employé des Postes.
Pendant qu'ils parlent, chacun des trois aperçoit des scènes sur terre. Garcin regarde son collègue,
Gomez, parler de lui à leurs amis. Ines regarde son ancien appartement se
refermer, puis être loué à quelqu'un de nouveau. Estelle regarde son amie, Olga,
flirter avec un garçon. Et tous ignorent pourquoi ils sont en enfer.
Et puis les vraies histoires sortent. Garcin
était un homme adultère et un lâche. Estelle est tombée
enceinte de son amant, a fui en Suisse pour avoir le
bébé, puis l'a noyé. Ines a vécu avec son cousin et son épouse,
Florence, avant de s'éprendre d'elle et de la retourner contre son
mari.
Maintenant qu'ils ont admis pourquoi ils sont
en enfer, ils peuvent commencer à comprendre ce que sera leur enfer :
chacun d'eux est destiné à torturer un des deux autres. Garcin
torture Estelle, car elle veut qu'il l'aime pour sa beauté alors qu'il
refuse de le faire. Estelle tortures Ines, parce Ines sent une
attraction non
réciproque envers Estelle. Et enfin, Ines torture Garcin, parce que
c'est un homme et qu'il intéresse Estelle. Il veut être considéré
comme un héros, pas un lâche, et c'est l'approbation d'Inès qu'il
cherche
(depuis qu'il a correctement identifié qu'elle, et pas Estelle, connaît
et
comprend les émotions humaines et les défauts).
Tous les trois sont "inextricablement liés" les uns aux autres,
ne s'accordant aucun répit, tout comme l'absence de sommeil et la
lumière continue les y invitent. Leur enfer sera cette pièce, ces trois
canapés, et leur relation inextricable et irritante, pour l'éternité.
***
Huis clos
est une pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre écrite fin 1943 et
représentée pour la première fois le 7 mai 1944 au Théâtre du
Vieux-Colombier avec Michel Vitold (Garcin), Tania Balachova (Ines),
Gaby Sylvia (Estelle) et Chauffard (le garçon).
La phrase la plus célèbre de Huis-Clos,
"L'Enfer, c'est les autres" a été mal comprise et Sartre s'en est
expliqué en 1964 dans le commentaire de l'enregistrement de la pièce :
« "L'enfer
c'est les autres" a été toujours mal compris. On a cru que je voulais
dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours
empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout
autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec
autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer.
Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus
important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes.
Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au
fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous
nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de
nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui
entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre
dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets
dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer.
Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce
qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement
dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque
simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de
nous. »
Loïc Di Stefano