Philippe
Adrien : Cours sur Racine in
Instant par instant ( en classe d’interprétation. )
(Philippe
Adrien est professeur au conservatoire national supérieur d’art dramatique de
Paris, metteur en scène et directeur de la Tempête.)
… nous
sommes fascinés par Racine, et quasiment hébétés… Pour parvenir à travailler,
il faut pourtant s’arracher à cet état de religiosité confite qui crée l’inhibition.
Pb des alexandrins :
le rapport entre le jeu de l’acteur-les sentiments, les émotions,- et la langue
est essentiel. Or l’alexandrin qu’on
appelle aussi le vers français, réalise ce lien de manière particulièrement
éminente. Invention spécifique de notre langue, il constitue le modèle poétique
indépassable.
Tragédie
classique : « l’art de plaire selon les règles », rapport de la
contrainte et de la liberté artistique à interroger p185
La diction
des vers exige un apprentissage…Trois siècle d’académisme rampant n’ont pas
réussi à exténuer la fragile violence des vers de Racine. A simplement les dire,
vous trouverez votre compte d’émotion…
Comment jouer
ce théâtre aujourd’hui ? Problème des discours, de la rhétorique. Les personnages
comme devant un tribunal y exposent leurs raisons et leurs motifs. L’action
principale est le discours. (Moins chez Racine que chez Corneille.)
Pour dire
les vers, il faut les aimer et pour les aimer il faut apprendre… ce n’est pas
abstrait, c’est un rapport sensible, voire sensuel au verbe, un plaisir de
langue et d’oreille…d’intelligence aussi…Théâtre où la parole est action…
Attention,
le théâtre de Racine n’est pas qu’un théâtre de texte, le réduire au seul poème
ou au seul discours est une erreur. Il faut s’intéresser à la fable, à l’action,
aux situations, diviser les scènes en séquences, baliser le discours, en
dégager les articulations, mettre à jour son organisation dramatique.
En amour, il
n’y a pas de passage à l’acte chez Racine. L’amour se consume en une déchirure,
une attente, un suspens. L’acte amoureux toujours différé.
C’est dans
la structure et la matière du texte-les vers, les mots, les sons,- dans cet
aspect palpable des signes que se tient le secret de cette écriture, ce que j’appellerais
son « supplément d’âme. »
Jouvet
disait que « le texte ne doit pas être pris comme un réceptacle pour les sentiments
du comédien mais comme le réceptacle d’un sentiment qui doit venir tout seul,
si le texte est dit comme il doit l’être. »
Pas pour
autant musicaliser le vers, mais s’abandonner à cette parole dont le sens
diffuse de manière inconsciente, subliminale. L’acteur entend le texte au fur
et à mesure qu’il l’énonce. Cf Gruber « Je voudrais entendre le
grattement de la plume de Racine sur le papier ». Ce qu’il entend lui
communique ce que Jouvet appelait « le sentiment ».
Un exercice
spirituel qui vise à atteindre une qualité de parole plus accordée, enrichie de
couches successives. Ton travail, ton écoute doit te mener à ce que j’appellerai
la voix du rôle.
Jamais oublier
cependant que la parole est action, qu’elle
est adressée à un partenaire et les mots du texte sont soit des armes pour
frapper, soit la main même qui caresse. Pouvoir de la parole particulièrement
actif dans ces tragédies classiques.
J’aime bien
l’idée de Roland Barthes selon laquelle l’espace de jeu, le lieu où se déroule
la tragédie est une antichambre, lieu de passage obligé entre l’intérieur- la
solitude de la chambre- et l’extérieur- le tumulte du monde- entre l’âme et le
pouvoir ; Un entre deux où se frôlent et se déchirent les êtres.
Etat d’
« énamoration » Mot dans lequel on peut entendre aussi bien l’amour
que la haine : haine-amoration le sentiment amoureux chez racine procède
de cette contigüité de l’amour et de la haine qui tôt ou tard en viennent à se
confondre mais il faut d’abord bien saisir la dimension physique de l’épreuve
amoureuse. Le corps est désigné comme un lieu de passion cf Phèdre. Lieu d’un Jouir et pâtir inséparables.
Les
confidents : d’abord le double de l’héroïne et à ce titre assume la part
triviale du conflit en y cherchant une issue non tragique. Tête à tête ou
témoins de ce qui arrive à leurs maîtres.
La tragédie
se joue le plus souvent face aux spectateurs. Les visages doivent d’abord s’offrir
à nous pour que nous puissions suivre instant par instant le mouvement
intérieur des personnages.
Eprouver les
sensations physiques des personnages…
Ne pas se
balader sur le plateau. Ne rien faire que de nécessaire ; Ne pas craindre
un certain académisme au début. C’est avec quelques postures et l’espace- ses
grandes lignes, transversales, longitudinales et diagonales- qu’il faut
composer une mise en place aussi pure que possible. Faire des choix précis pour
travailler sur des impulsions, des mouvements, des rythmes jusqu’à atteindre
une qualité quasi chorégraphique. Les déplacements doivent correspondre aux mouvements
de la scène, ils en sont la représentation physique. Quant au risque de redondance,
une juste économie nous en préserve.
A chacune
des scènes de Racine correspond un sentiment particulier : désir,
jalousie, envie, ambition, orgueil,
crainte, dédain, pitié, … et surtout par-dessus tout différentes qualités de colère :
rancœur, indignation, dépit, fureur, rage, emportement il n’est point une scène
qui ne soit menacée d’être submergée de colère. Donc se contenir. Intensité,
toucher à ces incandescences extrêmes. Continuité et développement du sentiment
tragique. : Exercice : murmurer le texte et progressivement aller
jusqu’à l’intensité d’un chant
Jouvet :
« Une fois qu’une phrase est dite,
il ya un petit déclenchement intérieur, il y a un petit temps. Ce n’est pas le
temps que tu prends avant de donner l’autre phrase, il est intérieur en
sourdine… C’est le sentiment qui te donne les idées, il fut retrouver
cela…inventer ce que l’on dit.. ;Il faut apprendre à fragmenter son
sentiment, à le faire bouger un peu en soi…il faut que tu arrives à répéter le
morceau en essayant de passer successivement d’une phrase à l’autre en faisant
remuer ton sentiment à chaque fois que tu as quelque chose de neuf à dire… »