vendredi 22 décembre 2017

Le cours sur Racine de Philippe Adrien

En rentrant du cours ce soir et en attendant ma fille, j'ai jeté un oeil dans un livre de Philippe Adrien, le metteur en scène de L'Ecole des Femmes que vous avez vue et je sui tombée sur d'excellents conseils pour jouer Racine. Voici les notes que j'ai prises et qui vous rappelleront certains phrases de Patrice.Philippe Adrien cite lui-même le grand comédien  Louis Jouvet et le chercheur Roland Barthes.



Philippe Adrien :  Cours sur Racine in Instant par instant ( en classe d’interprétation. )
(Philippe Adrien est professeur au conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, metteur en scène et directeur de la Tempête.)

… nous sommes fascinés par Racine, et quasiment hébétés… Pour parvenir à travailler, il faut pourtant s’arracher à cet état de religiosité confite qui crée l’inhibition. 

Pb des alexandrins : le rapport entre le jeu de l’acteur-les sentiments, les émotions,- et la langue est essentiel. Or l’alexandrin  qu’on appelle aussi le vers français, réalise ce lien de manière particulièrement éminente. Invention spécifique de notre langue, il constitue le modèle poétique indépassable.

Tragédie classique : «  l’art de plaire selon les règles », rapport de la contrainte et de la liberté artistique à interroger p185

La diction des vers exige un apprentissage…Trois siècle d’académisme rampant n’ont pas réussi à exténuer la fragile violence des vers de Racine. A simplement les dire, vous trouverez votre compte d’émotion…

Comment jouer ce théâtre aujourd’hui ? Problème des discours, de la rhétorique. Les personnages comme devant un tribunal y exposent leurs raisons et leurs motifs. L’action principale est le discours. (Moins chez Racine que chez Corneille.)

Pour dire les vers, il faut les aimer et pour les aimer il faut apprendre… ce n’est pas abstrait, c’est un rapport sensible, voire sensuel au verbe, un plaisir de langue et d’oreille…d’intelligence aussi…Théâtre où la parole est action…

Attention, le théâtre de Racine n’est pas qu’un théâtre de texte, le réduire au seul poème ou au seul discours est une erreur. Il faut s’intéresser à la fable, à l’action, aux situations, diviser les scènes en séquences, baliser le discours, en dégager les articulations, mettre à jour son organisation dramatique.

En amour, il n’y a pas de passage à l’acte chez Racine. L’amour se consume en une déchirure, une attente, un suspens. L’acte amoureux toujours différé.

C’est dans la structure et la matière du texte-les vers, les mots, les sons,- dans cet aspect palpable des signes que se tient le secret de cette écriture, ce que j’appellerais son « supplément d’âme. »

Jouvet disait que « le texte ne doit pas être pris comme un réceptacle pour les sentiments du comédien mais comme le réceptacle d’un sentiment qui doit venir tout seul, si le texte est dit comme il doit l’être. »

Pas pour autant musicaliser le vers, mais s’abandonner à cette parole dont le sens diffuse de manière inconsciente, subliminale. L’acteur entend le texte au fur et à mesure qu’il l’énonce. Cf Gruber «  Je voudrais entendre le grattement de la plume de Racine sur le papier ». Ce qu’il entend lui communique ce que Jouvet appelait « le sentiment ».

Un exercice spirituel qui vise à atteindre une qualité de parole plus accordée, enrichie de couches successives. Ton travail, ton écoute doit te mener à ce que j’appellerai la voix du rôle.

Jamais oublier  cependant que la parole est action, qu’elle est adressée à un partenaire et les mots du texte sont soit des armes pour frapper, soit la main même qui caresse. Pouvoir de la parole particulièrement actif dans ces tragédies classiques.

J’aime bien l’idée de Roland Barthes selon laquelle l’espace de jeu, le lieu où se déroule la tragédie est une antichambre, lieu de passage obligé entre l’intérieur- la solitude de la chambre- et l’extérieur- le tumulte du monde- entre l’âme et le pouvoir ; Un entre deux où se frôlent et se déchirent les êtres.

Etat d’  « énamoration » Mot dans lequel on peut entendre aussi bien l’amour que la haine : haine-amoration le sentiment amoureux chez racine procède de cette contigüité de l’amour et de la haine qui tôt ou tard en viennent à se confondre mais il faut d’abord bien saisir la dimension physique de l’épreuve amoureuse. Le corps est désigné comme un lieu de passion cf Phèdre.  Lieu d’un Jouir et pâtir inséparables.

Les confidents : d’abord le double de l’héroïne et à ce titre assume la part triviale du conflit en y cherchant une issue non tragique. Tête à tête ou témoins de ce qui arrive à leurs maîtres.

La tragédie se joue le plus souvent face aux spectateurs. Les visages doivent d’abord s’offrir à nous pour que nous puissions suivre instant par instant le mouvement intérieur des personnages.

Eprouver les sensations physiques des personnages…

Ne pas se balader sur le plateau. Ne rien faire que de nécessaire ; Ne pas craindre un certain académisme au début. C’est avec quelques postures et l’espace- ses grandes lignes, transversales, longitudinales et diagonales- qu’il faut composer une mise en place aussi pure que possible. Faire des choix précis pour travailler sur des impulsions, des mouvements, des rythmes jusqu’à atteindre une qualité quasi chorégraphique. Les déplacements doivent correspondre aux mouvements de la scène, ils en sont la représentation physique. Quant au risque de redondance, une juste économie nous en préserve.

A chacune des scènes de Racine correspond un sentiment particulier : désir, jalousie, envie,  ambition, orgueil, crainte, dédain, pitié, … et surtout par-dessus tout différentes qualités de colère : rancœur, indignation, dépit, fureur, rage, emportement il n’est point une scène qui ne soit menacée d’être submergée de colère. Donc se contenir. Intensité, toucher à ces incandescences extrêmes. Continuité et développement du sentiment tragique. : Exercice : murmurer le texte et progressivement aller jusqu’à l’intensité d’un chant

Jouvet : «  Une fois  qu’une phrase est dite, il ya un petit déclenchement intérieur, il y a un petit temps. Ce n’est pas le temps que tu prends avant de donner l’autre phrase, il est intérieur en sourdine…  C’est le sentiment qui te donne les idées, il fut retrouver cela…inventer ce que l’on dit.. ;Il faut apprendre à fragmenter son sentiment, à le faire bouger un peu en soi…il faut que tu arrives à répéter le morceau en essayant de passer successivement d’une phrase à l’autre en faisant remuer ton sentiment à chaque fois que tu as quelque chose de neuf à dire… »