samedi 10 novembre 2018

Conférence philosophique de Guillaume Clayssen et francis Fischer sur Jeunesse de Conrad


Conférence de Guillaume Clayssen sur Jeunesse de Joseph Conrad qu’il met en scène en compagnie de Francis Fischer, philosophe qui a parlé de la nouvelle Au Cœur des ténèbres.
Notes prises le mardi 6 novembre.

Qu’est-ce que la jeunesse ?  Boutade : Si personne ne m’interroge, je le sais, si on me demande je l’ignore.
Quand commence et finit la jeunesse ? Question vertigineuse.
Si une certaine période de la vie, pbl. des limites temporelles.
Donc différentes apories, impasses, commencements et fins flous.
 Livre : Philosophie des âges de la vie de Eric Dechavannes :  jeunesse pas notion que l’on retrouve dans la nature : animaux passent de l’enfance à l’âge adulte, mais existe dans les sociétés humaines, notion culturelle donc.
 Sociétés ritualistes : jeunesse inscrite dans un rite de passage, être jeune sur une durée courte
Société qui n’impose pas de limite, plus individualiste cf concept d’ » adulescence ».
Notion historique : à une époque, on perdait sa jeunesse après le premier acte sexuel, aujourd’hui c’est plutôt avoir un premier enfant, mais alors que dire de ceux qui n’ont pas d’enfants et n’en auront jamais ?
Notion sociologique : catégories défavorisées n’auraient pas de « jeunesse » ou moins, d’emblée adultes par le travail cf Bourdieu » la « jeunesse » n’est qu’un mot. » (http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/jeuness.html)
Essayer de répondre alors en interrogeant la nouvelle de Conrad et ce qu’elle dit de la jeunesse.
 Pour Guillaume la littérature et les romans en particulier ne sont pas seulement des accessoires de la pensée, mais permettent d’approfondir la pensée. L’écrivain regarde le monde, l’observe et le philosophe est aidé par l’acuité de son regard.
Histoire racontée par Jeunesse est une histoire à tiroir, enchâssement des récits que Guillaume a un peu gommé dans son adaptation théâtrale.
Un marin dans un bar à Londres avec d’autres collègues ( de la mer à la terre) fait le récit de sa première traversée vers l’Orient, vers Bangkok sur un vieux rafiot la Judée, voyage qui au lieu de durer 15 jours, durera des mois. Voyages maritimes pour Conrad symboles de la vie elle-même. Jeunesse : pouvoir convertir l’enfer en paradis, survie permanente et joyeuse à toutes les catastrophes en mer, vivre comme si la vie était au-dessus d’elle-même.
«  O Jeunesse quelle force, quelle foi et l’imagination qu’elle a »
Force : pour Rousseau la force n’est pas quantité, mais rapport équilibré entre ses désirs et ses facultés : qui peut ce qu’il veut est fort.
Conrad : être mu par un désir tel qu’il crée sa propre puissance. Pas de limites à ce que peut la jeunesse, peuvent ce qu’ils désirent. Force du désir juvénile de créer la force elle-même. Force de la passion. Cf « J’ai vécu comme un ermite avec passion in Le Miroir de la mer
Rapport jamais amer avec la vie.
Jusqu’à quand vit-on avec passion ? Age flexible, durée indéterminable.
La foi : pouvoir de régénération du monde, pas une simple opinion. Croyance en quelque chose d’incroyable et inconnaissable, (l’objet de la foi ; ) on peut avoir une foi sans dieu ( justice, révolution, vérité…) donc un sentiment : être jeune, c’est sentir quelque chose.
Conviction qu’on ne peut mourir vraiment : « le sentiment que je pourrais durer à jamais », force de vie telle que la mort n’est même pas envisageable.
 Idéal : idée si haute et si désirable qu’elle devient un but à atteindre. Idéal moteur : objet lointain de foi d’où le fait que la jeunesse soit plus idéaliste, projeté dans un temps lointain de l’idéal à atteindre ;
Vivre selon l’idée + marqueur de la jeunesse. La philosophie serait ainsi une science de la jeunesse : philosopher toute sa vie pour rester jeune, croire au pouvoir de la pensée sur sa vie et sur le monde.
Sens pratique : avoir la foi permet de déplacer des montagnes, chaque génération est une occasion de régénérer le monde. cf rôle de l’éducation pour Arendt : « les préparer d’avance à changer un monde pour le faire nouveau » ( A méditer !)
Désarroi lorsqu’une nouvelle génération ne parvient pas à régénérer la société cf texte de Lermontov, manque de foi dans sa génération.
Imagination : « la chimère » la jeunesse comme plongée dans l’imaginaire qui se heurte tout à coup au réel. Nager dans ses rêves et ne pas couler : force de l’imaginaire. Jeunesse : yeux encore fermés pas encore ouverts.
Sens du romanesque : enfance et adolescence plongées dans le livre, le cas de Conrad, ensuite jetés dans le monde :  « nourrir sa vie des rêves de son enfance » cf Conrad Don quichotte
 L’imagination  butte à un moment contre le réel, déception, désenchantement du réel cf Nouvelle Héloise de Rousseau : «  le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité ».
Explication avec la vie au sortir du rêve.
 Conclusion : Jeunesse= Manière de vivre l’âge qu’on a, pas descriptif d’une réalité, un concept narratif : être jeune, c’est ce raconter quelque chose, une histoire sur la vie que l’on n’a pas encore vécue mais qu’on veut vivre inconditionnellement.
Aujourd’hui les jeunes sont peut-être empêchés de vivre leur part romanesque, de vivre leurs illusions.
Pbl aussi de l’absence de nourriture littéraire, pas assez de grands récits lus pour nourrir la rêverie ?
Transition par Francis Fischer : lorsqu’on donne à la jeunesse une image tellement idéalisée, c’est peut-être qu’on n’y est plus. Conceptualiser la jeunesse, c’est en être sorti.
Marlow, le personnage de Jeunesse, est âg é quand il raconte, nostalgie,
Marlow est aussi le personnage principal d’une autre nouvelle de Conrad Au cœur des ténèbres qui parle de la conquête coloniale du Congo belge. Scène d’un personnage âgé qui rencontre un jeune russe de 24 ans sorte d’arlequin aux hardes multicolores «  insoucieusement vivant par la seule vertu d’être de son jeune âge et de son audace irréfléchie ».
Marlow double de Conrad lui même ( voir biographie aventureuse et romanesque)
La jeunesse luit de l’éclat des noirceurs du mal aperçues au Congo cf dans jeunesse l’image de l’arrivée à Bangkok sur le rivage ensoleillé sous le regard des orientaux rassemblés en foule silencieuse et qui regardent apparaître le jeune Marlow dans sa splendeur. Puissance, éclat, beauté, puis la nouvelle se termine sur un goodby et la nuit !
Expérience d’une forme de maturité qui permet de valoriser la jeunesse, « maturité » terrible puisqu’elle se fonde sur la découverte des abominations de la colonisation africaine à rebours des discours progressistes, celui des lumières, utilisés pour lancer la quête soi-disant civilisatrice du continent noir ; On ne peut lire Jeunesse sans l’associer à Au cœur des ténèbres, les deux textes étant écrits très près l’un de l’autre.

Conrad contemporain de Rimbaud, voir le poème intitulé Le Bateau ivre.