jeudi 8 novembre 2018

Wozzek (suite)

Autre site intéressant sur l'opéra de Berg, notamment dans la mise en scène de David MC Vicar

Texte sur le personnage de Marie que j'ai lu ce matin dans le dossier bien fait:Carnet Wozzek du CNDP de Reims. Tout est à exploiter dans ce dossier.

dossier musical intéressant avec des illustrations sonores

A propos de la mise en scène de Christoph Marthaler à l'Opéra Bastille

Articles d'étudiants de la Sorbonne sur la mise en scène de Marthaler.

Reprise des mises en scènes vues en photos en cours:

Scénographie chez Marthaler:

"Mettre en scène l’opéra d’Alban Berg, c’est donc prendre à bras le corps cette écriture noire et ramassée, qui n’a pas perdu de sa violence après avoir été mise en musique. Pour mieux rendre compte de la bassesse du sujet (mais oui !), Christoph Marthaler transpose l’action dans la banlieue défavorisée d’une ville moyenne des années 1990. Les très belles photographies de Raymond Depardon intégrées au programme suggéreraient Glasgow, mais le metteur en scène mentionne plutôt Gand. Peu importe. Dans cette ville sinistre au possible a lieu une kermesse, où l’on aperçoit les enfants jouer à l’extérieur alors que sous la tente en plastique transparent, les adultes mènent leur triste vie de débauche.
Disons-le d’emblée : le parallèle de Marthaler fonctionne. Les personnages sont nettement dessinés grâce à un jeu d’acteur efficace et les costumes d’Anna Viebrock, d’un épouvantable mauvais goût bien étudié, contribuent à brosser le portrait d’une société abandonnée par le progrès. La pièce se déroule sans interruption, selon une mécanique bien huilée, où les références humoristiques désabusées ne manquent pas. On reprocherait cependant un certain manque de finesse à ce paysage peu élogieux, où la parodie frise parfois le grotesque involontaire, voire le mépris de classe. Heureusement, les lumières saisissantes d’Olaf Winter viennent contrebalancer ce paysage qui ne proposerait sinon pas grand chose d’autre que de la crudité."

Mise en scène de Kentridge



(...°et William Kentridge, dont les mises en scène ne laissent jamais indifférents, avec Matthias Goerne dans le rôle-titre avait de quoi séduire les familiers du Festival de Salzbourg. Yannick Boussaert y était et avait rendu compte du spectacle qui fait l’objet du présent enregistrement (Plus noir que le fond de la mare). Un an après, la version enregistrée nous parvient.
Ni rue, ni maison, ni caserne, taverne ou étang, un décor unique, mouvant, changeant, où la nature est détruite, réduite à son évocation musicale. William Kentridge nous a habitués à contextualiser ses réalisations expressionnistes. Il connaît son Büchner, qu’il fréquentait de longue date, avant de s’emparer de l’ extraordinaire déclinaison musicale de son Woyzeck. Ici, l’univers sinistre qu’il peint, joue à tous les niveaux : par le décor, surprenant, et les éclairages, mais autant par  les projections constantes sur un vaste cyclorama, comme celles sur petit écran de petits films, évidemment en noir et blanc, de dessins expressionnistes, de cartes, de photos de guerre. Elles accompagnent les changements de tableaux, tout en traduisant les pensées des acteurs du drame. Plasticien expressionniste autant que metteur en scène, il réalise là une union des arts telle qu’auraient pu la rêver les penseurs de la Renaissance. Sabine Theunissen crée un monde de laideur, sordide, de désolation et de misère, aux couleurs passées, de boue ou d’excréments. Un tertre, des passerelles  enchevêtrées, une boîte confinée, sorte d’armoire à secrets, cabinet de curiosités, qui sera aussi le cabinet du docteur, des objets de récupération, béquilles, bandages, masques à gaz, lambeaux d’uniformes… Tout concourt à rappeler la Grande guerre et  traduit la décomposition de ce monde. Des lumières chichement mesurées, se conjuguant aux projections participent à ce malaise, où le réel, l’incertain et la vision fugace tendent à se confondre. La troisième scène de l’acte III mêle ainsi les images des danseurs, grandis par la projection, aux personnages réels, hommes avec masques à gaz et femmes dansant le plus souvent avec des chaises. Aucun pléonasme ou surlignage : en témoigne la scène où Wozzeck, halluciné, et Andres, à la tombée de la nuit, rentrent chargés du bois qu’ils ont coupé (ici de pauvres objets ramassés dans les ruines). Cette scène ne tire sa force que du chant et de l’orchestre : aucun effet scénique pour traduire les superstitions, les visions démentes de Wozzeck.  Le texte, sa traduction musicale et le jeu des chanteurs sont magnifiés par cette approche originale. Le spectacle est épuré au profit du drame.




 Mise en scène David McVicar

David McVicar, à qui l’on doit la mise en scène de ce Wozzeck, l’affirme et tient promesse : il s'agit d'un « cri urgent pour plus de compassion ». Familier ou non de l’ouvrage, on sort bouleversé. Tout y concourt : une distribution de haut vol, sans faiblesse, servie par une mise en scène d’anthologie. Cette création européenne de la production réalisée en novembre 2015 pour le Lyric Opera de Chicago, ici confiée à Daniel Ellis, se signale par son intelligence et sa prise en compte scrupuleuse des indications scéniques. Pour avoir du souffle, la réalisation n’en est pas moins extrêmement fouillée. Tout fait sens. N’était l’émotion forte à laquelle nul ne peut échapper, on se contenterait de tourner les pages de ce beau livre d’images, toujours justes, parlantes, servies par des éclairages judicieux. Pour autant, l’œil n’est jamais distrait du jeu des acteurs.
Visible dès l’entrée en salle, toujours présent, même occulté, un imposant cénotaphe nous donne la mesure du temps, des hommes broyés par la « grande » guerre. Le large cadre scénique, panoramique, se module ingénieusement dans les trois dimensions. La hauteur et la profondeur sont réduites par deux étroits rideaux coulissant latéralement. Les invraisemblables accessoires, authentiques (la baignoire à roulettes de la première scène) comme fantastiques (le fardier auquel est attelé Wozzeck, les appareils du cabinet du Docteur, avec cette pupille grossissante qui  nous défie, la voiture du Capitaine) sont autant de trouvailles bienvenues. Les costumes s’accordent idéalement aux personnages, du Capitaine, au casque à pointe, au Tambour-Major, roux, en veste bleu horizon, en passant par la pianiste en turban à plume des années folles. Les humbles ne sont pas moins caractérisés. Y compris dans les scènes les plus dépouillées, c’est toujours un régal pour l’œil. Ajoutez à cela une excellente direction d’acteurs, où tout est vrai, juste, réglé au millimètre, et vous aurez déjà pris conscience du caractère exceptionnel de cette production.
Pour David McVicar, Wozzeck est un pur, une âme simple, soumise, superstitieuse, broyée par un environnement sordide. Intensément humain, il n’est pas ce fou halluciné qui sert de cobaye au Docteur. Son amour, son besoin d’amour sont essentiels, comme sa solitude, ses incompréhensions. « Il porte tout le poids du monde sur ses épaules, tourmenté, opprimé, oppressé »,  « le sadisme des autres le plonge dans la démence » nous dit le metteur en scène. Ce ne sont pas tant le meurtre de Marie puis le suicide de Wozzeck qui constituent l’aboutissement, quelque horreur qu’ils portent, mais la promesse de transmission de sa pauvre condition à son fils, dans la scène ultime, après le bouleversant interlude en ré mineur. Vision cohérente, d’une grande fidélité au livret, si dense malgré sa brièveté.