Interprétations de la pièce
Deux interprétations méritent notre attention : celle de L. Goldmann et celle de R. Barthes.
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Lecture de Lucien Goldmann :
Pour L. Goldmann (Le Dieu caché),
la vision tragique oppose, chez Racine, un monde d’êtres sans
conscience authentique et sans grandeur humaine et un personnage
tragique, dont la grandeur consiste précisément dans le refus de ce
monde et de la vie (p. 352). Au centre, il y a le monde, représenté par
les fauves (Agrippine et Néron), les fourbes (Narcisse), les
irréalistes (Burrhus), les victimes pures, passives, sans aucune force
intellectuelle ou morale (Britannicus) ; à la périphérie, il y a le
personnage tragique, Junie, dressée contre le monde et repoussant
jusqu’à la pensée du moindre compromis ; il y a un dernier personnage,
absent et pourtant plus réel que tous les autres, à savoir Dieu (p.
363). Britannicus n’est donc pas le personnage principal de la pièce, ce
n’est qu’un des multiples personnages qui constituent le monde et sa
mort n’est qu’un épisode dont la seule importance est de déclencher le
dénouement (p. 367). Le véritable sujet de la tragédie est le conflit
entre funie et le monde, qui sera résolu par l’entrée de la jeune fille
chez les Vestales, c’est-à-dire par sa fuite hors du monde et son entrée
dans le règne de Dieu. « Tant que Dieu reste muet et caché, le
personnage tragique est rigoureusement seul puisque aucun dialogue n’est
jamais possible entre lui et les personnages qui constituent le monde ;
mais cette solitude sera dépassée à l’instant même où résonnera dans le
monde la parole de Dieu. Comme Esther entourée des filles juives, comme
Joas entouré des lévites, Junie, qui n’a jamais pu réaliser un
dialogue, ni avec Néron ni avec Britannicus, trouvera pour la protéger,
lorsqu’elle sera entrée dans le temple de Dieu, un peuple entier qui
tuera Narcisse et chassera Néron. Il n’y a pas de place pour les fauves
dans l’Univers de Dieu » (p. 368-369).
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Interprétation de Britannicus par Roland Barthes :
D’une manière analogue, R. Barthes (Sur
Racine) place Junie au centre de l’intrigue. Il y a une symétrie
parfaite entre Néron et Britannicus, dans le conflit existentiel qui les
oppose et dont Junie est à la fois l’enjeu et l’arbitre. « Pouvoir
pleurer avec Junie, tel est le rêve néronien, accompli par le double
heureux de Néron, Britannicus. Entre eux, la symétrie est parfaite : une
épreuve de force les lie au même père, au même trône, à la même femme ;
ils sont frères, ce qui veut dire, selon la nature racinienne, ennemis
et englués l’un à l’autre ; un rapport magique (et, selon l’Histoire,
érotique) les unit : Néron fascine Britannicus, comme Agrippine fascine
Néron. Issus du même point, ils ne font que se reproduire dans des
situations contraires : l’un a dépossédé l’autre, en sorte que l’un a
tout et l’autre n’a rien » (p. 92). Mais celui qui a tout (Néron) n’est
pas, et celui qui n’a rien (Britannicus), par la grâce de l’amour, est
véritablement. C’est Junie qui a fait exister Britannicus et repousse
Néron vers le néant. « Entre Néron et Britannicus, junie est l’arbitre
absolu et absolument gracieux. Selon une figure propre au Destin, elle
retourne le malheur de Britannicus en grâce et le pouvoir de Néron en
impuissance, Y avoir en nullité et le dénuement en être » (p. 94).
Ainsi, par la grâce de Junie, la
fécondité promise à Néron par l’amour devient stérilité éternelle. A
peine éclos, par et dans le désir, Néron est frappé de la plus horrible
des frustrations : la Femme, qui représente pour lui la vie, meurt sans
mourir, en disparaissant dans le temple. C’est pourquoi le désespoir
final de l’empereur « n’est pas celui d’un homme qui a perdu sa
maîtresse ; c’est le désespoir d’un homme condamné à vieillir sans
jamais naître » (ibid).
Source: Dictionnaire de culture générale
Bibliographie
- L. Goldmann, Le dieu caché, Gallimard, «Tel», 1959.
- R. Barthes, Sur Racine, Le Seuil, 1963.