Mise en scène de Richard Brunel:
« La symbolique est ouverte. L’enjeu est de faire en sorte que l’espace contienne tous ces lieux sans être dans l’illustration ou l’explication. Avec Anouk dell’ Aiera, nous avons travaillé sur l’idée que l’espace était un personnage de la pièce. » Entretien avec A. Rouher
« Nous allons donc raconter cela, la course d’un personnage qui tourne en rond dans son quartier comme dans sa tête, qui aspire à être invisible, tout en faisant tout pour être visible jusqu’à devenir l’ennemi public numéro un. » Richard Brunel – programme de salle Comédie de Valence.
« Le danger, c’est l’éclatement. Cela concerne l’espace tel qu’il est écrit
puisque l’on va de l’intérieur (cuisine, chambre, réception d’un hôtel) à un
métro, un jardin public, une gare. Or, c’est souvent complexe de représenter
les extérieurs au théâtre, c’est même peu crédible en tant que tel. Il faut
évoquer avec de légers signes, faire se côtoyer des signes de l’extérieur et de
l’intérieur... ou peut-être faut-il assumer que tout le théâtre soit un
intérieur dans lequel on trouve des signes extérieurs, créer un frottement
poétique et signifiant entre des espaces contradictoires.
Il
y a aussi la nécessité parfois d’ancrer les débuts de scène bien avant le
moment où elles
commencent
dans la pièce. Inventer des préludes même si ce n’est pas forcément visible ou
à demi visible, au second plan, au troisième plan. En fait Koltès a quasiment
évacué les entrées et les sorties des personnages. On prend les scènes en cours
de route et parfois elles se suspendent. Il faut faire du montage comme au
cinéma. Je crois que c’est le rôle de la scénographie de permettre cette
coexistence, de créer un monde dans lequel il y ait tout, de faire en sorte que
chaque scène puisse se jouer pleinement tout en donnant sens à l’ensemble.
C’est un défi, c’est passionnant. »
La cage de scène du théâtre est à vue, elle n’est pas pendrillonnée et semble habillée par un système de passerelles métalliques qui encadrent l’ensemble du plateau en proposant deux espaces de circulation : le premier est une passerelle de service située au lointain à hauteur d’homme, le second est une passerelle métallique tendue sur perches à mi-hauteur entre le grill et le plateau. Ce système permet un grand champ possible de déplacements et de circulations en plus du plateau lui-même. Le système d’escaliers mobiles permet également de varier les points d’entrées et de sorties mais surtout de dégager de nouveaux espaces. Ainsi la passerelle principale en hauteur peut désigner les remparts de la prison, les couloirs de circulations du métro, les lieux de passage pour les badauds. Sa structure métallique est donc ouverte à l’interprétation symbolique : structure industrielle qui renvoie à l’univers urbain du Petit Chicago, squat, mais aussi cage, prison ou labyrinthe. L’ensemble traduit donc bien à la fois l’encagement physique et mental de Zucco « qui tourne en rond dans son quartier comme dans sa tête ».
Les paravents.
La scénographie utilise également des paravents mobiles qui se déplacent par un système de roulettes au sol ou qui sont actionnés à la verticale sur des perches. Ces paravents servent à cloisonner et à déterminer des espaces, le plus souvent à séparer l’intérieur et l’extérieur, par exemple, l’appartement de la mère, le bureau des policiers, la chambre de la pute ou la cuisine chez la Gamine.On remarquera le contraste sur la nature des matériaux : les paravents de papiers crasseux tenus par des cadres métalliques laissent filtrer un jeu de lumière, d’ombres et de clair-obscur. Ce trouble spatial entre jour et nuit, entre intériorité et extériorité et donc entre espaces publics et espaces privés, crée une atmosphère étrange, entre chien et loup où les personnages semblent se déduire des ombres, dans un « entre-monde » tendu entre visible et invisible..
À partir de la scène de l’otage, Richard Brunel dispose
toute l’action dans une unité de lieu : le jardin. Autant la première partie de
la représentation traduit scéniquement l’ensemble des différents espaces (la
prison,la cuisine, l’appartement de la mère…) autant la seconde partie fabrique
une unité de lieu centrée autor du jardin. Même la scène finale « Zucco au
soleil », censée élever Zucco vers un salut héroïque, a lieu dansl’espace
prosaïque du jardin public.
Comme le signale dans son entretien B.-M. Koltès, la
seconde partie concentre le spectateur sur une temporalité et un espace proches
de la tragédie grecque, Zucco est enfermé dans un destin qui se traduit icipar
un enfermement à la fois spatial et temporel : le jardin est le lieu unique
dans lequel il tourne en rond,dans lequel il est immobilisé. L’unité de temps
et celle de lieu renvoient ici à la concentration d’un pur ici etmaintenant. Ce
ressort très ancien rencontre ici un concept contemporain : celui d’un tragique
« sans motif »,où l’acte est régi par l’arbitraire et de l’aléatoire. Comme le
dit Catherine Ailloud-Nicolas « c’est une monstruosité de l’instant. » Ainsi,
l’esthétique cinématographique de la première partie et le principe de la tragédie grecque dont s’inspire la
seconde se redoublent et se complètent pour inventerun tragique contemporain
fondé sur le pur présent.
Faire une comparaison entre la scénographie de la mise en scène de Peter Stein et celle d’Anouk Dell’Aiera.:
Autant Peter Stein semble travailler l’espace sur un principe d’horizontalité autant la scénographie d’Anouk Dell’Aiera travaille sur la verticalité et la transversalité. Les personnages paraissent sortir de l’obscurité, ramper près des cloisons et des passerelles comme des morts-vivants ou des bêtes traquées. Ce dispositif déshumanise plus encore l’espace urbain pour renvoyer les hommes à leur animalité. Il est d’autant plus efficace dans la scène des badauds qui surgissent de ces passerelles comme d’un néant ; ainsi l’espace traduit bien que la menace est extérieure à Zucco lui-même. Ce labyrinthe métallique géant est un antre, une bouche, une métaphore tentaculaire de nos sociétés modernes. Il révèle bien que le monstre est d’origine sociale et que Zucco n’en est finalement qu’un membre parmi d’autres, la créature tout autant que le symptôme.
Regarder des photos des scénographies d'Anouk dell Aiera et de Peter Stein dans le dossier Pièces/démontées.
La lumière dans la mise en scène de Richard Brunel:
La caractéristique principale de la lumière dans ce spectacle est qu’elle est intégralement nocturne. Cage métallique noire, cloison noire, seule une lumière jaunâtre transperce les paravents de papier. Cette semi-obscurité constante n’est pas réaliste ; certes, elle structure l’espace mais ne crée pas de séparations entre extérieurs et intérieurs, entre espaces privés et espaces publics. Au contraire, elle introduit un rapport de trouble qui semble désigner un entre-deux mondes, une sorte de zone hors du temps, proche d’une atmosphère apocalyptique. De plus, l’éclairage en douche contribue à écraser les silhouettes qui semblent n’exister que par leurs ombres. On est loin de l’atmosphère solaire qui semble dominer parfois dans le texte de B.-M. Koltès. Richard Brunel travaille sur une esthétique de fin des temps : la noirceur des âmes transparaît dans cette atmosphère spec-trale où chacun semble disputer sa part de noirceur à la lumière. On peut déjà remarquer que Roberto Zucco subit le même sort esthétique que les autres personnages : aucun éclairage particulier ne le singularise, et même, plus que les autres encore, il semble aspiré par les ombres.
la scénographie de Jean Lambert Wild : mise en scène faite par un metteur en scène français en Corée du Sud.
Proposition de la compagnie Characteres