Tout d'abord la distribution pour que vous puissiez identifier les acteurs:
Sharif Andoura : Andreï Sergueïevitch Prozorov , frère des trois soeurs (Olga, Irina et Macha)
Jean-Pierre Bagot : Féraponte, gardien du conseil de zemstvo
Bénédicte Cerutti : Olga, sœur de Andreï
Cécile Coustillac : Irina, sœur de Andreï
Gilles David : Ivan Romanovitch Tcheboutykine, médecin militaire
Maud Le Grévellec : Natalia Ivanovna, fiancé de Andreï, puis son épouse
Pauline Lorillard : Macha, sœur de Andreï
Jean-Pierre Bagot : Féraponte, gardien du conseil de zemstvo
Bénédicte Cerutti : Olga, sœur de Andreï
Cécile Coustillac : Irina, sœur de Andreï
Gilles David : Ivan Romanovitch Tcheboutykine, médecin militaire
Maud Le Grévellec : Natalia Ivanovna, fiancé de Andreï, puis son épouse
Pauline Lorillard : Macha, sœur de Andreï
Laurent Manzoni : Alexandre
Ignatievitch Verchinine, lieutenant-colonel, commandant de batterie
Antoine Mathieu : Nikolaï Lvovitch Touzenbach, baron, lieutenant
Thierry Paret : Fiodor Ilitch Koulyguine, professeur au lycée, mari de Macha
Hélène Schwaller : Anfissa, la nourrice
Grégoire Tachnakian : Alexeï Petrovitch Fedotik, sous-lieutenant / Un musicien ambulant
Manuel Vallade : Vassili Vassilievitch Saliony, major
Et la participation de
Olivier Aguilar : L'ordonnance
Bénédicte Loux : La bonne
Vincent Rousselle : Protopopov
Antoine Mathieu : Nikolaï Lvovitch Touzenbach, baron, lieutenant
Thierry Paret : Fiodor Ilitch Koulyguine, professeur au lycée, mari de Macha
Hélène Schwaller : Anfissa, la nourrice
Grégoire Tachnakian : Alexeï Petrovitch Fedotik, sous-lieutenant / Un musicien ambulant
Manuel Vallade : Vassili Vassilievitch Saliony, major
Et la participation de
Olivier Aguilar : L'ordonnance
Bénédicte Loux : La bonne
Vincent Rousselle : Protopopov
La note d'intention du metteur en scène dans laquelle il explique son projet et sa lecture de la pièce:
« La
dépression amorce sa réussite au moment où le modèle disciplinaire de gestion
des conduites, les règles d’autorité et de conformité aux interdits qui
assignaient aux classes sociales comme aux deux sexes un destin ont cédé devant
des normes qui incitent chacun à l’initiative individuelle en l’enjoignant à
devenir lui-même. Conséquence de cette nouvelle normativité, la responsabilité
entière de nos vies se loge non seulement en chacun de nous, mais également
dans l’entre-nous collectif. La dépression en est l’exact envers. Cette manière
d’être se présente comme une maladie de la responsabilité dans laquelle domine
le sentiment d’insuffisance. Le déprimé n’est pas à la hauteur, il est fatigué
d’avoir à devenir lui-même. » (Alain Ehrenberg, La Fatigue d’être soi, Editions
Odile Jacob,1998)
De toutes les grandes pièces de Tchekhov, Les Trois Soeurs est certainement la
plus romanesque, chroniquant sur plusieurs années la vie d’une petite ville de
garnison à la fin du dix-neuvième siècle, et l’existence quasi sans horizon de
trois jeunes femmes, arrivées là dans les bagages de leur père commandant de
brigade, et qui rêvent de retourner là où elles ont passé leur enfance, à
Moscou. Difficile de se départir à la lecture des Trois sœurs de cette sensation que la pièce livre le portrait
parfaitement daté d’une société depuis longtemps disparue, comme engloutie par
le raz-de-marée de la modernité et rendue obsolète par l’accélération
fulgurante de l’Histoire au vingtième siècle. Et c’est sans doute cette
sensation qui m’a tenu plus longtemps à distance des Trois sœurs que de La
Mouette ou de La Cerisaie, dont
la dimension métaphorique m’ouvrait immédiatement un accès plus évidemment
contemporain. Dans La Cerisaie,
Tchekhov raconte l’arrachement à un monde finissant et le saut dans l’inconnu
d’un monde commençant, et ironise autant — il me semble — sur l’incapacité des
uns à s’extraire du monde ancien que sur la capacité des autres à mener à bien
leurs projets de monde nouveau. J'ai mis en scène La Cerisaie en 1992, peu après la chute du Mur de Berlin, alors que
la perestroïka changeait radicalement la donne à l'Est. Nous y racontions
l'arrachement nécessaire qui permet d'aller de l'avant et de se
"désengluer" ; mais aussi la fragilité de Trofimov et de Lopakhine,
ceux qui voient que le monde avance et qu'il faut bien avancer avec lui, mais
qui ne parviennent pas tout à fait à mettre en phase la réalité de leur vie et
de leurs sentiments avec la radicalité de leur pensée. Il s'agissait néanmoins
d'acquiescer à l'avenir, et la vente de la Cerisaie libérait, à la fin du
spectacle, une sensation de légèreté, de joie de vivre malgré tout,
l'impression d'un tourbillon qui aurait déjà emporté dans son ironie le temps
de toute nostalgie.
En relisant
aujourd’hui Les Trois Sœurs, je
redécouvre à quel point l’élan vers l’avenir que portent des personnages comme
Touzenbach et Verchinine paraît d’emblée plus définitivement enlisé, comme le
rêve de retourner à Moscou est marqué du sceau de l’illusion qui maintient en
vie, comme tout l’univers des sœurs suinte l’impuissance et la frustration, la
sensation désespérante — et pour elles tragique — qu’elles appartiennent à un monde
qui meurt et qu’elles ne pourront rien y changer : elles n’auront pas la force
par exemple d’empêcher leur belle-sœur d’instaurer le nouvel ordre
petit-bourgeois dans la maison des vieux idéaux humanistes, car elles ne savent
pas quant à elles à quels nouveaux idéaux se vouer.
Mais je suis
aussi frappé par la jeunesse des sœurs, entre vingt et vingt-huit ans lorsque
la pièce commence : lorsque j’avais moi-même leur âge, je les jugeais sans
doute déjà vieilles avant l’heure, et cela ne me frappait pas comme maintenant.
Aujourd’hui que j’ai plutôt l’âge de Verchinine, je peux me dire avec lui
qu’elles ont vraiment toute la vie devant elles, comme d’ailleurs la plupart
des personnages qui les entourent, et que Tchekhov a en fait écrit une pièce
sur la jeunesse : une jeunesse qui se perçoit sans avenir et échouée dans un
monde trop vieux.
Et cela fait naître une angoisse bien
particulière : voir ces jeunes gens déjà déprimés, voir leur énergie vitale peu
à peu consumée et engloutie, leurs projets d’avenir se rétrécir comme peau de
chagrin, voir la frustration et le renoncement gagner ces jeunes gens sans
qu’ils aient pu seulement essayer de vivre et d’être heureux, c’est aussi
scandaleux et inacceptable en un sens que la mort venue trop tôt.
On est sans
doute bouleversé en assistant à la vie de plus en plus mortifère des trois
sœurs, et aussi de plus en plus angoissé, mais finalement c’est une sorte de
colère qui devrait prendre le pas sur l’angoisse et la compassion. Nous vivons
dans un monde en plein bouleversement, où les modifications du statut de
l’individu dans la société font surgir de nouvelles configurations
psychologiques (un autre rapport à soi, aux autres, à
l’amour, au travail, aux loisirs, à l’âge, etc, et plus généralement au
temps), un monde qui exige sans doute que nous réinventions des grilles
d’analyse puisque celles dont nous disposions jusque là n’en épuisent
visiblement pas l’obscurité, mais un monde aussi qui change peut-être plus vite
que le temps qu’il faudrait pour penser ces changements, un monde où sourd de
toutes parts une violence qui dit à la fois l’impuissance à agir sur lui et
l’angoisse d’être agi par lui.
Les Trois
Sœurs ne parlent pas de ce monde-ci, puisque le monde que les trois Parques de
Tchekhov voyaient obscurément venir était plutôt celui que nous voyons
aujourd’hui s’éloigner, mais leur angoisse et leur sentiment d’impuissance nous
parlent beaucoup, et leur dépression d’avant l’ère des anti-dépresseurs devrait
servir à ce que nous ne nous installions pas dans la nôtre.
Stéphane Braunschweig, 2006