En complément de votre travail personnel du vendredi 8 janvier ( que vous devez m'envoyer), voici une analyse des personnages à lire et à connaître. Si vous ne comprenez pas quelque chose, écrivez moi. Vous allez voir que vous avez découverts beaucoup d'aspects des personnages et de la pièce par vous mêmes.
Etude des noms des personnages ( on appelle l’étude des noms «l’onomastique)
•À PEINE UNE FEMME/ UN HOMME:
Parallélisme, symétrie dans l’onomastique comme dans la binarité des catégories de genre femme/homme.«À peine»: modalisateur souligne l’instabilité générationnelle des ados, ni enfants, ni adultes.La puberté renvoie au devenir femme/homme... «À peine» renvoie aussi à un trouble dans le genre (une identité sexuelle pas encore affirmée?), d’autant plus en raison de l’utilisation du point médian par l’autrice. Même si cette interprétation est à nuancer: le point médian dans «Chérie.s» n’inclut pas à la fois le féminin et le masculin du nom, mais le singulier et le pluriel. Le nom est forcément féminin, sinon, nous aurions «Chéri.e.s». Dès lors, toutes les femmes de la pièce peuvent être considérées comme chéries de l’ombre.
•CHÉRIE DE L’OMBRE: Nécessité de se demander ce que signifie réellement/poétiquement/concrètement cette expression.«Chérie de» indique la provenance (elle vient de l’ombre) mais peut être également entendu comme «chérie par»:la nuit, univers du trouble, du mystère mais aussi de la marge, est son espace. Nom qui fait écho à une communauté féminine selon le personnage («femmes de l’ombre»).Cf. mot de la fin: «À PEINE UNE FEMME: Tu ne feras rien du tout ce soir, ma chérie. [p. 94]»«Chérie» prend ici son sens fort, celui du verbe « chérir», synonyme emphatique du verbe «aimer». Dans ses connotations, il y a beaucoup de chaleur et de bienveillance dans «chérir», ce qui tranche avec le climat de méfiance dans lequel se déroule la pièce.
Rôle essentiel de Chérie de l’ombre: personnage clairvoyant.
Il fait avancer l’action, soulève les zones d’ombres, révèle. Envahie tout du long par la parole du mac elle s'en affranchit cependant peu à peu pour lui laisser une place de plus en plus ténue et accéder à un discours autonome, avec la tirade (cathartique?) du tableau 10, d'où le mac est totalement absent et où le sujet JE s'affirme dans une litanie du oui et du non qui la fait accéder de l'emprise à un moment d'affirmation de soi. Ses deux dernières répliques, l'une pour le mac, la dernière pour elle, peuvent apparaître comme une façon de s'affronter à lui. En tout cas elle a le mot de lafin.
•LA MÈRE:Seul rôle situé d’un point de vue générationnel. Mais pour qui la maternité pas une évidence. Personnage en contre-point, ne serait-ce que par sa quasi totale absence de la situation qui se joue à l’abribus. Sortes de pauses dans l’attente?
Étude des personnages et de leur trajectoire
•CHÉRIE DE L’OMBRE
Ambiguïté nourrie dès le départ: «Je fasse le job sans dérangement» (p.67): travailleuse du sexe. Difficulté de nommer la chose, notamment au début de la scène 4. «AH. Madame par politesse» (p.71) à «AF. Une prostituée. / AH. Je n’aime pas trop ce mot. / AF. Une pute alors» (p.72). Évoque souvent les"clients".
Situation de précarité, d’illégalité, d’instabilité. Méfiance envers les ados mais aussi envers les «appeleurs de flics et de foyers», «des services», des «éducs», des «machins sociaux» (p. 68) mais aussi des «déglingués» (dont elle se distingue farouchement): «Suis pas une déglinguée» (p.68).
Personnage endoctriné, sous emprise, aliéné au mac dont la parole est enchâssée dans la sienne le plus souvent sans introducteur de parole ou signe de ponctuation. Fusion des deux discours qui crée le trouble. Mais personnage clairvoyant, extra-lucide, capacité d’observation des gens depuis l’ombre. Cf. Lorsqu’elle comprend le mensonge d’AF p.77. (Parce qu’elle était présente dans l’ombre scène 1?)
Aspirations à une vie, à des rêves. Cf. monologue (p. 76) où elle danse seule dans la lumière: «Extra, ma chérie, sera extra, sera photographique, sera cinéma».
Au début de la pièce, Chérie de l’Ombre ne semble avoir aucune existence propre, son seul intérêt réside dans le «job». Elle se méfie des adolescents qui font «fuir les clients» (p.66). Aucune coexistence dans le même espace (ombre ou lumière) n’est possible.
À la fin de la pièce, elle est dans l’espace de la lumière et semble avoir tissé des liens de sororité avec AF.
Tirade (p.91-92): moment où s’exprime une sensibilité singulière.
Costume: une jupe encore plus courte que celle d’À peine une Femme (p.85). Des talons. Parallélisme avec À peine une Femme.
•À PEINE UNE FEMME ( AF)
Costume: «veste légère» (p.71), «robe courte».Thématisation des autres costumes possibles (p.84): col roulé ou jean décontracté. Mais elle voulait faire des3 «provisions de beauté» (p.84): sa mère dit qu’il faut en faire, parce qu’on vieillit.
Trajectoire la plus bouleversée durant la pièce: À peine une Femme semble s’être échappée d’une situation (évoque une agression avec «j’ai pas dit oui,non.»), casse son téléphone avec violence, évoque ce qui s'est passé juste avant le début de la pièce: une situation de conflit, de non-consentement. On ne sait pas ce qui s'est passé exactement. Elle dit tout d’abord à Ah être allée chez des amies, avec une certaine Mathilde (p.71)
Au début, elle paraît plus proche d’AH, avec qui elle se ligue contre Chérie de l’Ombre. Elle se méfie de la prostituée, refuse qu’elle émette des opinions sur ses faits et gestes: « AF. C’est incroyable comme elle se mêle de tout. T’avais raison» (p.78); «Il a raison, fermez-la un peu» (p.79). Forme d’irrespect envers Chérie parce que c’est une travailleuse du sexe. Relation conflictuelle entre féminisme et prostitution pour AF, féminisme et prostitution ne sont pas compatibles: «Toi, la putain à son chéri. Toi.» (p. 80)
On apprend son histoire, ses mensonges: il n’y a pas eu de soirée avec des amies, elle a vu un garçon avec qui elle devait passer un «petit moment, juste tous les deux, tranquillement» (p.84) et qui l’a agressée. La cause de cet acte est imputée à la robe, jugée trop courte et interprétée comme une invitation. (p.84)
À la fin de la pièce, Elle défend Chérie de l’Ombre et essaye de dissuader AH de pénétrer dans son espace:«Laisse-la» (répété 3 fois p. 87). Elle refuse de donner son numéro à AH, décline sa proposition de se faire raccompagner et reste avec Chérie de l’Ombre, peut-être afin de la protéger malgré elle («je l’occuperai silongtemps, ta lumière, que tu devras renoncer» (AF, p. 94).
•À PEINE UN HOMME (AH)
Flou autour de ce qu’il faisait avant : «Je te l’ai dit en partant, on terminait plus tôt» (p. 66)Il arrive déjà investi d’une tension avec sa mère. Au fil du texte, on apprend que cette situation ne lui arrive pas pour la première fois. Il est habité par cette relation compliquée avec sa mère, le rapport à son père absent, les nombreux compagnons successifs de sa mère...Sa quête: être reconnu par sa mère? Il veut exister (p.80). Révolte contre une mère vécue comme castratrice: polysémie de "elle me coupe " (p.86). Un jeune homme en colère (p.91). Peut-être aussi une forme de jalousie possessive et machiste, de volonté de relation exclusive (p.79): " comme si [...] je l'autorisais à être une femme qui ne soit pas une mère". Cette relation d'exclusivité n'est pas sans rappeler la domination du mac sur Chérie de l'ombre.
AH: «Ils se sont encore pourris»(p.76). Terme fort et mystérieux recouvre beaucoup de réalités.«AH. De ma mère, je parle de ma mère. Et de son mec. Son troisième depuis que. AF. Ton père? AH. Parti.» (p.78)La mère: «Mon enfant, devenu homme ou presque, croit interpréter sa mère» (p.83): insistance sur le devenir-homme (et donc agresseur?). «Interpréter» a une connotation psychanalytique. Trajectoire uniforme, pas de retournement dans les adjuvants/antagonistes, ni de résolution du conflit familial.
Intérêt dramaturgique: c’est une présence masculine, renvoyant les deux adolescentes au devenir homme-agresseur-client.
•LA MÈRE
Dans un espace indéterminé, servant de contre-point à ce lieu unique, la mère de cet adolescent paraît dans un état entre indécision, latence et introspection.4
Un autre lieu fixe ( L’antre »), lié à un personnage: en cela, similitude avec Chérie de l’Ombre. Similitude aussi par l'ombre de l'antre - ce qui justifierait encore davantage le pluriel du titre: il y aurait finalement un lien entre les trois figures féminines de la pièce. Un moment hors de l’antre: p.79, son apparition muette, estomaquée par la vision de son fils auprès d’AF et de Chérie de l’Ombre.
Personnage de l’autre bout du fil: le fils l’appelle mais on ne la voit pas. Scène «L’autre bout des ondes»:contre-champ où c’est AH que l’on entend dans l’antre via la messagerie. Dépression? Maladie? Parti pris très fort de l’autrice d’alterner les scènes de l’antre et de l’abribus: mais qu’apporte véritablement ce choix? Personnage plus difficile à suivre et à défendre lors du dernier monologue p. 88. Le fil directeur semble êtrel a frustration, l'insatisfaction, la difficulté à être à la fois mère et femme. Personnage-miroir qui vient souligner la thématique de la projection, de ce que l’on «interprète» d’autrui(«Il m’interprète. (...) Devenu homme ou presque, mon enfant m’échafaude, rêve après rêve, m’enferme dans son interprétation.» p.83