dimanche 4 juillet 2021

Le Festival d'Avignon comme si vous y étiez

 Consultez régulièrement le magazine la Terrasse en ligne: par exemple sur la Cerisaie de Tchekhov mise en scène Tiago Rodigues


 

Elle sera retransmise le vendredi 9 juillet  sur TV5 en direct de la Cour d'honneur du Palais des Papes puis disponible sur culturebox. 


 

Entretien avec le metteur en scène

 Article publié sur facebook par le traducteur André Markowicz qui a vu la générale hier:

 

La Cerisaie,
Notes à 3 heures du matin, juste après l’avant-première du spectacle de Tiago Rodrigues.
Ce que nous avons vu, cette nuit, dans la Cour d’Honneur nous laisse bouleversés, transportés, comme saisis. Des Cerisaies, nous en avons vu, je ne sais pas, une bonne vingtaine, et chaque fois il y avait quelque chose, mais, disons ça, jusqu’à présent, nous en gardions deux, — la première, parce que c’était, pour nous, la première, celle de Stéphane Braunschweig, en 1992, et celle d'Alain Françon, à la Colline, et dans laquelle Jean-Paul Roussillon, jouant Firs, jouait, au sens strict du terme, sa propre mort. Alain Françon avait fait un spectacle classique, au sens où il avait travaillé exactement selon le texte de Tchekhov et l'impression que nous avions était de voir, en vrai, et en français, ce que nous, les traducteurs, avions senti de ce qu’il voulait, de ce qu’il imaginait. Nous gardons ce spectacle comme une espèce de perfection, je le dis, comme quelque chose qui, dans la vie d’un traducteur, n'arrive pas deux fois — une concomitance absolue entre ce que nous, en élaborant notre texte, nous sentions et ce qui se déroulait sur scène.
 
Le spectacle de Tiago Rodrigues n’a rien à voir avec ça. C’est, à partir d’une lecture scrupuleuse (au sens de détaillé, une lecture particule par particule) la réalisation d’une interprétation, d’une image née de l’étude, et de l’amour, de la pièce. Ce qui est bouleversant, ce que nous avons vu, Françoise et moi, pour la première fois, c’est ça : c’est la mise en scène de l’absence, fondamentale pour Tchekhov. 
 
La Cerisaie, elle n'est pas là, et c'est précisément pour ça qu'elle bouleverse. La représentation, à chaque instant, à chaque réplique, pour chaque personne d’une existence qui ne peut se traduire que par son défaut, par une espèce d'absence métaphysique. Absence du lieu, absence des êtres, aux autres et à soi-même. Non pas qu’ils ne sentent rien, qu’ils soient, le moins du monde, désincarnés. C’est tout sauf ça. Non, juste, ils sont là, comme à côté de leur vie, — et c’est là, avec quelle acuité, que nous comprenons ce que cela à a dû être pour Tchekhov quand Stanislavski lui a demandé de changer l'acte II, — de le terminer par une conversation romantique et élevée sur l'avenir entre les deux jeunes que sont Trofimov (mais est-il jeune ?...) et Ania, et non pas par une conversation lunaire par deux êtres absents, Charlotta et Firs, conversation que, je dois le dire, j’ai reconstituée mot à mot à partir des variantes de l'édition des Œuvres complètes, — deux êtres qu’on pourrait croire contradictoires : Charlotta, qui n’est de nulle part, et Firs, qui est d’ici, de là, tellement de là qu’il y mourra, oublié, mais qui n’est de nulle part, lui non plus, parce que le lieu lui-même n'existe plus, même alors qu’il existe encore physiquement.
 
Je voudrais citer tous les acteurs, — Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Cairaty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence, et les deux musiciens, Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves. Tous, ils déclinent cette absence rayonnante, et tous ils sont, vraiment, extraordinaires. (Adama Diop en Lopakhine, quelle force !... Et David Gegelson en Trofimov, et Isabel Abreu en Charlotta...et Marcel Bozonnet, en Firs...)
Isabelle Huppert joue une Lioubov qui est la Cerisaie en elle-même, — une Cerisaie absente à elle-même, comme si elle vivait dans son rêve, comme si elle n’était, tout simplement, pas là. Plus là, peut-être. Plus dans sa vie — plus là, oui, mais toujours tellement vivante, tellement fragile, tellement enfantine. Cette qualité d’absence, c’est la première fois que nous la ressentons aussi fort. Jusqu’à présent, nous avions vu de grandes actrices (réellement, des actrices magnifiques) jouer un grand rôle, — Lioubov dans la Cerisaie. Là, ce que nous découvrons, c’est une grande actrice qui joue le rôle de quelqu’un qui occupe tout l'espace sans être nulle part, quelqu’un qui est blessé par tout mais qui a une qualité d'indifférence unique, bouleversante de douleur et, comment dire, non pas de vide, mais comme de blanc. Isabelle Huppert, à chaque geste, joue son rêve, joue toutes ses ombres, et toute la mise en scène est là, pour les montrer, ces rêves, et les interventions, étranges pour nous (en tout cas au début) de la musique, des chansons, sont là pour nous faire pénétrer dans cette absence, dans cette maison vibrante de vie et de silence, vibrante d’une mort tellement constante qu’elle n’est, elle non, comme pas là, — dans l'immense déréliction de ce qui a été.

 

Actualités du Festival sur le site Théâtre Contemporain Les artistes invités au Festival présentent leur oeuvre dans une courte video.

Suivez tout particulièrement les spectacles qui seront visibles la saison prochaine à la CDC: 

Penthésilée.s de Laétitia Guedon

Entretien avec Laetitia Guedon

Hamlet à l'impératif d'Olivier Py 


Pinocchio(live) d'Alice Laloy auquel participent certains élèves du cycle 3 de Colmar