mardi 16 novembre 2021

Ecritures de plateau

 Concept mis à l'honneur par le chercheur Bruno Tackels:

 

https://blogs.mediapart.fr/dashiell-donello/blog/010615/le-plateau-outil-moderne-d-ecriture-theatrale

 

la scène contemporaine depuis les années 1990. Il ne prétend pas faire le tour des textes et des poètes qui écrivent aujourd’hui pour la scène. Il se limite à décrire un certain type d’écriture, celle qui part du plateau, sous toutes ses formes, textuelle, visuelle, plastique, sonore. De nombreux artisans du plateau cherchent et inventent aujourd’hui de nouvelles relations à l’écriture

https://www.artcena.fr/reperes/theatre/panorama/panorama-du-theatre-contemporain/nouveaux-materiaux-collectifs-et-ecritures-de-plateau

https://www.thaetre.com/2017/05/02/la-dramaturgie-comme-recherche/5/

 

Au début du XXIe siècle, les changements les plus importants concernent l’apparition de nouveaux collectifs de travail qui bouleversent les hiérarchies établies. En parallèle, le plateau prend de plus en plus d’importance dans les processus de création. Enfin, les différentes composantes de la représentation tendent à être considérées pour elles-mêmes et non comme des accompagnements du texte.

Pendant longtemps, les collectifs de travail n’ont pas été une caractéristique du théâtre français. Quelques-uns naquirent à la fin des années 60, peu devinrent aussi importants ou durèrent aussi longtemps que le Théâtre du Soleil ou le Théâtre de l’Aquarium, installés à la Cartoucherie de Vincennes. Certes, il existait des groupes de travail et des compagnies, mais la plupart obéissaient à la hiérarchie habituelle de la profession en se rassemblant autour du metteur en scène et en général d’un auteur.

Faire du théâtre autrement

Plusieurs pays organisent différemment le travail théâtral, l’Argentine et le Brésil, par exemple. La Belgique s’est particulièrement illustrée ces dernières années avec tg STAN notamment, dont les membres se sont connus à la fin des années 80 au Conservatoire d’Anvers. Ces collectifs se caractérisent de diverses façons, mais ils ont en commun de faire du théâtre autrement, ou d’accueillir de nouveaux matériaux, ou encore de suivre des processus « d’écriture de plateau », étiquette susceptible de recouvrir des réalités très différentes. En France, le succès de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat (Compagnie Louis Brouillard) a redonné beaucoup d’importance à de telles innovations.

La plupart des collectifs ont discuté la place du texte dans le travail de création ainsi que celle du metteur en scène, modifiant l’organisation habituelle des répétitions. Il peut s’agir d’un principe idéologique fondé sur l’importance égale donnée aux propositions de tous les artistes rassemblés, la parole de chacun pesant en principe de la même manière dans le projet. Il peut aussi s’agir d’un choix artistique qui fait intervenir à égalité les différents matériaux du spectacle, donnant au son, à la lumière, à l’image vidéo ou à la scénographie toute leur place. Ces choix sont parfois couplés, comme si l’abandon des hiérarchies de travail et celles des matériaux (la fin du texto-centrisme) allaient dans le même sens.

Ces généralités masquent des situations complexes et parfois conflictuelles, car l’accès partagé au geste artistique prend des chemins divers et les débats politiques provoquent parfois des blocages durables. Dans la plupart des cas, le temps des répétitions est allongé et organisé sur des modes différents. Par exemple, Ariane Mnouchkine a toujours revendiqué pour son Théâtre du Soleil un temps variable et extensif, repoussant les représentations aussi longtemps que nécessaire, ce qui modifie en conséquence les conditions économiques de la production.

Écriture et improvisations

Il est utile de distinguer « l’écriture de plateau » et les « écrivains de plateau » ou les « auteurs en scène ». D’une façon générale, le théâtre tend à donner de plus en plus d’importance à tout ce qui passe « au plateau » dans les processus de répétitions, par opposition à tout ce qui se passe d’habitude en amont, le travail d’écriture, le travail dramaturgique à la table, ou même la présentation et l’affirmation du projet par le metteur en scène. Avec des exceptions notables, comme celle de tg STAN qui passe plusieurs semaines à travailler et discuter le texte autour de la table, en envisageant ses différents potentiels par rapport au public, et en répétant assez brièvement dans l’espace.

Un écrivain de plateau (Bruno Tackels évoque notamment Pippo Delbono, François Tanguy aussi bien que les Castellucci, Rodrigo Garcia et Angelica Lidell) écrit depuis le plateau ou directement pour le plateau. Tous les cas de figure sont envisageables. Il peut s’agir d’une écriture solitaire où l’écrivain accompagne le travail scénique, comme il était parfois convoqué au bord du plateau en accompagnant les acteurs. Rodrigo Garcia est de ceux qui écrivent pour ses comédiens, sous leur nom, plutôt que pour des personnages. Ariane Mnouchkine a plusieurs fois passé commande à des auteurs présents aux répétitions, « en harmonie avec Hélène Cixous » dit-elle par exemple au sujet de l’un de ces processus d’écriture. Mais elle a aussi œuvré à des créations collectives en établissant l’écriture du spectacle directement à partir des improvisations des comédiens. 

C’est plutôt le mode principal d’écriture de Joël Pommerat qui travaille plusieurs mois avec des acteurs (pas forcément ceux qui seront les interprètes du spectacle) auxquels il propose journellement des propositions d’improvisation. Il établit le texte définitif du spectacle à venir de cette façon, en le combinant aux autres matériaux et en compagnie des différents spécialistes du son et de la lumière, qui l’accompagnent comme il l’a précisé à plusieurs reprises. De même qu’il n’écrit pas de textes « préalablement », Pommerat insiste sur le fait que la lumière ne se « rajoute » pas à la mise en scène et à l’écriture, mais qu’elle « la constitue, au même titre que tous les autres éléments tels que le son et le mouvement, les corps, les costumes ». Cependant, ses textes sont édités « nus », sous son nom, et donc susceptibles d’être lus et mis en scène par d’autres.

Signifier et émouvoir

Ce que l’on nomme désormais « les nouveaux matériaux du théâtre » entérine l’accueil fait sur scène, dans des configurations renouvelées, des images filmiques, des installations plastiques, des figures circassiennes, des sons, des chorégraphies. Cette liste s’allonge au gré des spectacles, renouvelant la notion de « dramaticité » qui se développe en liaison avec le texte mais en bousculant les hiérarchies constituées. 

Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, mis en scène par Julie Duclos au Festival d’Avignon (2019) est un exemple de texte « classique » où la combinaison scénographique, filmique et sonore, pour ne rien dire du jeu des acteurs, déplie largement les univers du texte. La forêt, la mer, le château, lieux essentiels de l’action, sont évoqués afin de faire partager de manière sensible l’enfermement de l’héroïne dans un univers qui lui est à l’origine totalement étranger. Les liens souples et quasi invisibles entre les arts contribuent à ouvrir le texte au spectateur.

Ces bouleversements ont été inégalement reçus par des spectateurs regrettant un âge d’or où le théâtre ressemblait à du théâtre, définition nostalgique mais insuffisante. Sans doute a-t-il fallu que les artistes apprivoisent ces libres territoires qui s’ouvraient à eux, et échappent à des formes de gratuité ou d’expérimentations inégales. Dans le creuset des créations contemporaines, qu’elles soient collectives ou non, des arts autrefois séparés sont désormais réunis pour « signifier et émouvoir ». 

Du théâtre, des théâtres. Jamais l’usage du pluriel n’a été aussi nécessaire pour accueillir la diversité des esthétiques et des projets dramaturgiques que l’on peut voir aujourd’hui. Il suffit de consulter le programme de saison de la plupart des scènes pour prendre conscience de la grande variété des propositions théâtrales qui sont proposées.

Aujourd'hui, de plus en plus de spectacles ne sont plus fondés uniquement sur le texte, mais développent des écritures scéniques à partir des corps, des sons, des images, de la scénographie. On parle alors de nouvelles dramaturgies, de dramaturgies plurielles. Cette appellation peut sembler paradoxale pour décrire ces dramaturgies puisque, justement, elles ne sont pas fondées sur du texte.

Historiquement, le mot « dramaturgie » vient du théâtre. Cette notion s’impose au XVIIIe siècle en Allemagne, définit par G.E. Lessing, c’est ce que l'on appelle « la dramaturgie de Hambourg ». Cette notion recoupe deux fonctions : celui qui écrit la pièce, l’auteur dramatique, et celui qui fait le lien entre le texte et la représentation scénique, qui va dégager la signification puis guider les choix esthétiques et les choix de mise en scène (décors, costumes, jeu d’acteur) et ainsi accompagner le devenir scénique du texte littéraire.

En France, cette notion de dramaturgie émerge en même temps que celle de la mise en scène à la fin du XIXe siècle. Puis, au XXe siècle, on s’aperçoit que ce qui compte, c’est la représentation, avec l’avènement de la mise en scène. Comme disait Bernard Dort (1986), « le centre de l’activité théâtrale s’est déplacé de la composition du texte à sa représentation ».

Avec le théâtre postdramatique, terme théorisé par Hans-Thies Lehmann dans les années 90, on est au cœur du sujet. On croise dans les spectacles des textes matériaux, le corps acteur, mouvements, images, sons, espaces, objets et le texte, s’il est présent, n’est qu’un élément dans la polyphonie du spectacle. On en vient à un sens très élargi de la dramaturgie, qui consiste à travailler le sens que produisent les formes mises en tension pendant la représentation.


 C'est quoi l'écriture-plateau... ? C'est un processus de création collective qui mêle improvisation créative, brainstorming dramaturgique (construction de l'histoire, définition des thèmes, des enjeux, du propos) et construction de personnage. C'est un travail qui se nourrit de l'organicité des émotions et des sensations au plateau pour créer un objet théâtral, dialogué ou non. Chercher la chair des mots et des images en passant par le corps des acteurs.