mercredi 26 janvier 2022

2ème partie du sujet de Bac: Les acteurs qui transportent l'espace avec eux ( scénographie) Proposition de Basile

 

En rédigeant le Soulier de satin, Paul Claudel donne naissance à une oeuvre monde, peut-être héritée de Shakespeare bien qu’il substitué aux velléités belliqueuses des guerriers anglais les considérations divines des catholiques espagnols. Uniquement dans les deux premières journées, l’action se déplace entre le beau milieu de l’océan atlantique, des maisons rues et jardins espagnols, palis royaux, château catalan, une auberge, le large du Maroc et la forteresse de Mogador, Cadix, la campagne sicilienne, une forêt vierge en Amériques et même le plateau de théâtre lorsque l’Irrépressible rompt l’illusion théâtrale. Cette multiplicité de lieux, Yanis Kokkos le dit lui-même en tant que scénographe pour la mise en scène de Vitez représente un défi majeur dans le passage de l’œuvre de Claudel au plateau. Il est impossible de concevoir un décor complet pour chaque lieu mentionné par Claudel dans les didascalies, le défi de la scénographie du Soulier est donc la création d’un espace suffisamment polymorphe pour que par l’abstraction, l’imagination et le jeu des acteurs viennent animer cet espace, le public puisse y voir quatre continents et vingt années par la même occasion. Par « abstraction » et « imagination », j’entends des procédés qui sont tout à fait instinctifs aux spectateurs et fondamentaux dans les conventions théâtrales. Lorsque Vitez choisit un plateau bleu figurant la mer, très importante chez Claudel, le spectateur sait faire abstraction quand il faut ne pas considérer que l’ensemble de l’action est maritime, mais il sait aussi quand elle l’est comprendre que le bois au sol est un navire et le bleu plat et inerte une eau parfois mouvante ; l’imagination fait le travail. Le seul problème subsistant est celui alors du décor amené par le jeu : ce que Vitez entend lorsqu’il parle des « acteurs qui transportent l’espace avec eux ». C’est peut-être en raison de cette tâche que Robin Renucci incarnant Camille qualifie le travail su Soulier d’ »athlétique » : les acteurs en se mouvant ont aussi à tirer avec eux le décor imaginaire et à y emmener le public. Lorsque Claudel voit Prouhèze « qui se démène au milieu des épines et des lianes entre mêlées », nul besoin pour Yannis Kokkos de figurer un dangereux ravin le jeu physique de Ludmila Mikael, rampante, éreintée, suffit à donner à voir au spectateur l’effort et la douleur. De la même façon, la scène première ne nécessite pas qu’on amène une épave au plateau, si l’annoncier sait mettre assez de poids dans ses mots pour que l’ekphrasis du dit « navire démâte » apparaisse aux yeux du public. De cette façon, il s’agit de doser entre une foi en les mots de Claudel qui peuvent beaucoup quand on les écoute et une capacité à ne pas s’y enfermer, ne pas tomber dans le jeu verbeux et porter le Soulier dans un exercice corporel « athlétique » pour être à la fois le personnage et l’espace dans lequel il évolue. A cette tâche-là, la nudité du plateau née de la collaboration Vitez-Kokkos correspond tout à fait. Sous un prétendu vide initial se cache en réalité une polymorphie d’espaces fascinante où quelques bateaux au sol sont une flotte gigantesque, un serviteur chinois et un peintre japonais amènent un bout d’Asie et où un presque maure et une servante noire sont tout un continent.

Si j’étais responsable d’une scénographie du Soulier de satin, je commencerai par me fier à la vision d’Olivier Py qui, en mettant en scène la pièce, y a vu une prémonition de la part de Claudel diplomate et voyageur d. Ce dernier entre La Chine, le Brésil et le Japon aurai pressenti la mondialisation qui fait aujourd’hui la norme. Ce constat devrait d’abord transparaître dans le choix du dispositif, le frontal et le bi-frontal laissent voir une frontière entre public et scène alors que selon les mots de Claudel ouvrant la première journée : « la scène de ce drame est le monde. » Pour traduire cette idée, je pense qu’un encerclement est possible : le quadri frontal fait comprendre que rien n’existe autour de la scène, qu’elle est le monde entier ; à l’inverse un dispositif comme celui que nous avons adopté lors de notre présentation de travaux correspond aussi avec le public au centre, regardant dans toutes les directions qui verra que tout existe autour, qu’il y a le monde représenté.

Une troisième idée serait de monter le projet en déambulatoire à l’air libre afin de faire parcourir furtivement aux spectateurs les kilomètres qui séparent les différents lieux de l’action, de plus, il est beau de jouer l’amour cosmique de ceux qui se rejoindront en étoiles sous le ciel directement. Peu importe le dispositif choisi, je pense qu’un certain dénuement doit rester de rigueur au plateau, comme dit plus haut à propos de la mise en scène de Vitez, cela laissera toute la place nécessaire aux acteurs qui amèneront l’espace avec eux. Pour se soumettre à l’esthétique du « provisoire en marche, bâclé » je pense que la totalité des costumes et accessoires devrait être de récupération, d’objets pré existants et peut être même uniquement ceux présents dans des lieux de répétition et de représentation. Les anachronismes nourriront le jeu comique et puisque « l’auteur s’est permis de comprimer les pays et les époques » et que la porosité spatiale a déjà été traduite dans le dispositif, celle temporelle peut  l’être dans les accessoires.

Dans le cas où le dispositif choisi n’est pas le déambulatoire je souhaiterais que l’ensemble des éléments et accessoires amenés par les acteurs restent au plateau tels quels quitte à être renversés ou déplacés dans les scènes suivantes par les acteurs qui en feront abstraction ou bien en profiteront dans leur jeu en improvisant. Ce faisant douze heures durant, la quatrième journée devrait se conclure avec une somme importante de bric à brac qui permettra une image finale puissante de Rodrigue, qui fut magnifique, maintenant posé comme un déchet au milieu d’autres, jeté dans les accessoires laissés là. Cela donnera une résonance toute particulière, je pense, à la réplique finale » délivrance aux âmes captives », jetée depuis cette image de déchéance. De plus la lecture moderne de la pièce reliée au capitalisme mondialisé accentue la conclusion faite au milieu des déchets qui fera écho à la situation écologique actuelle tragique.