mercredi 19 janvier 2022

Analyse du film Les Ailes du désir de Wim Wenders ( pour ceux qui ont vu le film et les curieux!)

 Conférence de Dominique Doucet: une approche philosophique.

Présentation du film par Dominique Doucet

« Il y aurait trente-six façons de résumer Les ailes du désir. Mais elles seraient toutes incomplètes. C’est que derrière la façade de son scénario, écrit en collaboration avec Peter Handke, cette fable inspirée et initiatique est un poème dramatique en noir et blanc et en couleurs. Un chant choral ample et lyrique qui mélange tous les genres et tous les registres, et où viennent se fondre des voix multiples. Bref un film en état de poésie inventé par un homme amoureux et interprété par la femme qu’il aime. »  [1]

Ce jugement de Michel Boujut, décrit bien le caractère irréductible de ce film. La multiplicité des pistes suivies à son propos ne peut en effet qu’étonner. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, l’on peut retenir : le mythe, la célébration de l’enfance, le rapport à l’histoire récente de l’Allemagne, la ville de Berlin et le mur, l’histoire du cinéma, l’évolution cinématographique de Wim Wenders, la philosophie politique, Rilke, Walter Benjamin, la phénoménologie, les anges et la prise de corps de Damiel, l’incarnation, la religion, le troisième ange (la caméra), le film l’écriture et la marche, le rock’n’roll ... Face à cette interprétation infinie nous privilégierons quelques passages et quelques passeurs, : l’oeil et la ville, le conteur, et surtout Peter Falk-Colombo qui trop souvent est délaissé dans les diverses analyses.

accès au diaporama qui accompagne la conférence 

Analyse du film sur maze 

 Le poème de Handke qui scande le film

 

Lorsque l’enfant était enfant,
Il marchait les bras ballants,
Il voulait que le ruisseau soit rivière
Et la rivière, fleuve,
Que cette flaque soit la mer.

Lorsque l’enfant était enfant,
Il ne savait pas qu’il était enfant,
Tout pour lui avait une âme
Et toutes les âmes étaient une.

Lorsque l’enfant était enfant,
Il n’avait d’opinion sur rien,
Il n’avait pas d’habitude
Il s’asseyait souvent en tailleur,
Démarrait en courant,
Avait une mèche rebelle,
Et ne faisait pas de mines quand on le photographiait.

Lorsque l’enfant était enfant, ce fut le temps des questions suivantes :
Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est pas qu’un rêve ?
Ce que je vois, entend et sens, n’est-ce pas simplement l’apparence d’un monde devant le monde ?
Le mal existe t-il vraiment avec des gens qui sont vraiment les mauvais ?
Comment se fait-il que moi qui suis moi, avant de le devenir je ne l’étais pas, et qu’un jour moi qui suis moi, je ne serais plus ce moi que je suis ?

Lorsque l’enfant était enfant,
lui répugnaient les épinards, les petits pois, le riz au lait
et la purée de chou-fleur.
et maintenant il en mange même sans être obligé.

Lorsque l’enfant était enfant,
Les pommes et le pain suffisaient à le nourrir,
Et il en est toujours ainsi.
Lorsque l’enfant était enfant,
Les baies tombaient dans sa main comme seule tombent des baies,
Les noix fraîches lui irritaient la langue,
Et c’est toujours ainsi.

Sur chaque montagne, il avait le désir d’une montagne encore plus haute,
Et dans chaque ville, le désir d’une ville plus grande encore,
Et il en est toujours ainsi.
Dans l’arbre, il tendait les bras vers les cerises , exalté
Comme aujourd’hui encore,
Etait intimidé par les inconnus et il l’est toujours,
Il attendait la première neige et il l’attend toujours.

Lorsque l’enfant était enfant il a lancé un bâton contre un arbre, comme une lance,
Et elle y vibre toujours

Peter Handke