jeudi 7 avril 2022

Sur Vitez


 

Le travail de Vitez

Quelles sont finalement les grandes caractéristiques de son travail ?

Formation et engagement

Pédagogue-né, Vitez commence à donner des cours dans l'école de mime et de théâtre de Lecoq (1966-1970) pour continuer ensuite au Conservatoire national d'art dramatique (1968-1981) où il développe un véritable système pédagogique personnel qui déstabilise les habitudes anciennes de la grande école de théâtre. Il développe surtout le principe des exercices et des variations de jeu à partir des textes. Ce sont eux qui servent le plus souvent de point de départ pour des improvisations. En même temps il s'applique à restaurer la diction de l'alexandrin dans sa dimension formelle où la musique prend une place importante. Il veut écarter les dangers de la diction dite naturelle et défend le vers en tant que convention poétique. Dans les théâtres qu'il dirige, le théâtre des Quartiers d'Ivry ou le Théâtre national de Chaillot, Vitez ouvre chaque fois une école car elle est, dit-il, « le plus beau théâtre du monde ».

Membre du parti communiste, Vitez s'installe en 1972- dans une municipalité de la « banlieue rouge », Ivry-sur-Seine, et il mène une riche activité théâtrale toujours accompagnée par des prises de position théoriques qui le rattachent à la grande tradition du Cartel. L'œuvre de Vitez est autant liée à la réflexion qu'à la pratique du théâtre. Leur importance est égale. Vitez monte au théâtre des Quartiers d'Ivry (1972-1981) aussi bien les grandes œuvres du répertoire classique que des auteurs contemporains comme Vinaver, Kalisky ou Pommeret.

C'est le temps où il déclare que « l'on peut faire théâtre de tout », et à partir de cette conviction il développe un théâtre centré autour de l'acteur, de ses postures et de sa voix, jamais respectueuses d'une « naturalité » du corps. Il pratique alors un théâtre de la coupure et du montage. Il est aussi à l'origine de ce qui fut un des courants du théâtre français, le théâtre-récit, grâce à Catherine (1975), spectacle inspiré par Les Cloches de Bâle d'Aragon. Parallèlement, Vitez travaille sur le répertoire français, avec Phèdre (1975) d'abord, et ensuite avec la tétralogie des Molière (1978) il procède publiquement à la revalorisation de l'alexandrin comme code, comme artifice formel, comme beauté sonore en refusant ainsi la banalisation par rapprochement du langage quotidien. Il défend l'idée de la distance des classiques que l'on doit traiter comme des « galions engloutis », comme des objets étranges dont on a perdu l'usage. Les mettre en scène c'est aussi mettre en scène les fêlures du temps : il se rebelle contre toute tentative d'actualisation car le théâtre est « un art du passé ».

D'autre part, Vitez affirme son intérêt pour les formes théâtrales dites mineures et il travaille sur les marionnettes ou la farce politique. Il allie un attrait constant pour le « haut » culturel avec la référence récurrente au « bas ». (…)

Georges Banu, article « Antoine Vitez » in Dictionnaire encyclopédique du théâtre à travers le monde, sous la direction de Michel Corvin, Bordas, 2008 

On connaît de lui la célèbre expression "faire théâtre de tout":

 Première occurrence

Antoine Vitez, entretien avec Anne Ubersfeld, France nouvelle, 15 décembre 1975, cité in Anne Ubersfeld, Antoine Vitez, Paris, Nathan, 1998, coll. « 128 », p. 120 :

« L’idée essentielle, c’est que l’acteur peut s’emparer de tout, qu’on peut faire théâtre de tout. […] Surtout, on peut faire théâtre non seulement de tout lieu, mais aussi de tout texte et de tout temps ».

Autre occurrence en écho

Entretien avec Danièle Sallenave dans la revue Diagraphe, n°8, avril 1976, cité in Antoine Vitez, Le Théâtre des idées, anthologie proposée par Danièle Sallenave et Georges Banu, Gallimard, 2015, p. 199 :

DANIELE SALLENAVE – (…) Comment un texte qui n’a pas été écrit initialement pour le théâtre devient-il un texte de théâtre ? Tous les textes s’y prêtent-ils ?

ANTOINE VITEZ — En ce qui concerne la dernière partie de la question, je réponds aussitôt que tous les textes en effet s'y prêtent ; ce qui caractérise pour moi le plaisir de faire du théâtre, c'est précisément d'affronter l'impossible. De résoudre des problèmes impossibles. Si j'ai commencé à penser qu'on peut « faire théâtre de tout » — de tout ce qu'il y a « dans la vie », et a fortiori de tous les textes — je me dois d'aller jusqu'au bout de mon intuition. Naturellement, l'expérience est limitée, parce que je ne pourrai jamais utiliser tous les textes. Mais en droit, si je puis dire, elle est illimitée. Car je me représente l'ensemble des textes qui ont été écrits jusqu'à maintenant, ou qui s'écrivent à la minute où je parle, comme un gigantesque texte écrit par tout le monde. Par nous tous. Le présent et le passé ne sont pas très distincts pour moi. Il n'y a donc aucune raison pour que le théâtre ne puisse s'emparer des fragments de ce texte unique qui est écrit par les gens, perpétuellement.