Phrase de Molière à retenir :
« On sait bien que les comédies sont faites pour être jouées et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre »
« Paradoxe d’Agnès » : beaucoup se sont interrogés sur la faculté d’Agnès à évoluer de manière spectaculaire durant la durée conventionnellement courte de la pièce. En réalité, cette perspective psychologisante, qui insiste sur le fait que « l’amour est un grand maître » et que la jeune fille
voit son esprit s’aiguiser au contact d’Horace, est contrebalancée par le traitement dramatique accordé au personnage.
D’une part, son évolution peut être analysée en termes d’« emplois » plutôt que dans une perspective strictement psychologique. Agnès est présentée comme une jeune innocente au début de la pièce (cf. la liste des personnages), puis se révèle comme une jeune amoureuse à la fin : il s’agit là de deux rôles typiques de la comédie, l’un plutôt farcesque (la buse qui ne comprend pas quand on parle de sexe et qui est victime d’un jeu la concernant : les barbons la font parler et s’amusent), l’autre appartenant au registre de la comédie sentimentale (la jeune amoureuse active et volontaire, qui fait le jeu : c’est elle qui se moque des barbons).
D’autre part, la dissymétrie entre la présence scénique d’Agnès (où elle apparaît comme une innocente, sauf dans la dernière scène) et le discours produit sur elle en son absence, où Arnolphe raconte les ruses de la jeune fille, nous laisse la possibilité de lire
la pièce non en termes d’évolution intérieure du personnage, mais comme l’avènement d’une identité scénique présente dès le départ.
En fait, en dépit de la manière dont Arnolphe la présente, Agnès est « rouée », c’est une héroïne de roman dès le début, mais ce n’est jamais montré sur scène jusqu’à la fin de la pièce : il y a une
dissymétrie entre les apparitions d’une Agnès innocente et réduite au rôle de « buse » (le « le », « le petit chat est mort ») et ce qui est raconté sur elle lorsqu’elle est hors scène (elle a
jeté le grès avec un petit mot, elle a caché Horace dans un placard…).
Le « paradoxe d’Agnès» n’est pas uniquement l’histoire d’une évolution spectaculaire d’une personnalité, mais il consiste peut-être essentiellement dans le déséquilibre initial entre le rôle auquel correspond Agnès sur le plan théâtral et le rôle qu’Arnolphe prétend lui faire jouer.
Chez Molière, comme on l’a dit plus haut, c’est l’amour qui pousse Agnès à reconquérir son identité scénique propre, celle de l’amoureuse, semblable à une héroïne de roman, qui est niée par son barbon : il s’agit moins d’une évolution psychologique qui compte que la conquête d’une visibilité pour cette identité confinée dans un espace qui n’est pas au début figuré sur scène (toutes les « roueries » d’Agnès se passent en coulisse, elles nous sont racontées.)