vendredi 23 septembre 2022

Notes sur la scène de 2 de l'acte I de Richard III: Richard/Anne

 

Analyse dramaturgique Acte I scène 2

Lamentations de lady Anne qui pleure la mort de Henry Vi son beau père et celle de son fils Edouard Prince de galles, son mari, tué à la bataille de Tewksbury. Oraison funèbre conventionnelle où se mêle expression de la douleur et panégyrique du défunt = genre élégiaque.

Symbolique appuyée : sang qui s’écoule des plaies du cadavre, potentiel visuel fort : comment faire dans la mise en scène // déploration de la mort du Christ dans l’iconographie du MA et de la Renaissance.

Roi défunt = poignée de cendre. Tradition du "memento mori" et des vanités + corps troué, résidu, rebut : l’abject  cf Kristeva qui sollicite le regard, pouvoir de fascination. Ostentation du cadavre, sensibilité pré baroque, mise à distance de la théorie des deux corps du Roi : corps physique périssable + représentant de Dieu sur terre fait corps avec son royaume et son peuple : corps politique et mystique qui ne meurt jamais, dimension christologique d’un corps à la fois humain et souverain. Présence du cadavre et du sang, charge émotionnelle qui tend à se démarquer de l’idéologie monarchique dominante attachée à la mystique du pouvoir. Cf Richard II passage où le roi découvre qu’il n’est qu’un corps fait de chair et de sang, questionnement sur la conception théologique du pouvoir.

Ethos de la Renaissance : tyrannicide = attentatoire à l’ordre de la nature selon lequel le Roi = lieutenant de Dieu, miroir en réduction de l’ordre cosmique harmonieux. Cadavre d’Henry VI horrifie tant= figure de l’effondrement d’un ordre : chute prématurée du Roi déplorée par anne. Concept de chute lourd de sens au XVIème siècle cf chute du jardin d’Eden après la désobéissance.

(Richard appartient à la contre nature et agit en scélérat ( villain) prédestiné ou déterminé ? temps = continuum organisé et structuré par les desseins de la Providence, parcours mythique de l’humanité des origines aux fins dernières promises par l’eschatologie chrétienne. Temps providentiel contre lequel se dresse Richard rappelé par les imprécations de Margaret( I, 3) ombre sénéquenne pour annoncer la vengeance du ciel, voix de l’ordre immuable du temps « nécessité de l’Histoire » qui finira par avoir raison de Richard ; mort de Richard = pour Richmond manifestation d’une justice divine, restauration de l’ordre naturel du temps .)

Crimes de Richard =offenses à l’ordre du temps providentiel rhétorique de l’excès censée frapper l’adversaire aussi fortement qu’elle impressionne le public.

Les mots et les épées

Confrontation= joute verbale où les deux personnages croisent le verbe : stichomyties, intensité de l’échange : anagramme sword/word ( importance de la rhétorique dans l’éducation des gens du XVIème)( Latin et traduction des anciens)

La rhétorique d’Anne cependant moins habile que celle de Richard : psittacisme, ventriloquisme nombreuses répétitions= émotion difficile à contenir, a du mal à formuler une pensée claire et surtout neuve, perturbée. Accumulation de références au bestiaire monstrueux pour dépeindre Richard= copia improductive. = paraphrase biblique , elle est plus parlée qu’elle ne parle en son nom propre. Imite la langue des autres, puis calque son discours sur celui de Richard dont elle reproduit les structures syntaxiques et rythmiques. Effet d’écholalie qui signe à son insu sa défaite.

Pourquoi se refuse-t-elle à dire le mot tuer kill ? arrêt de mort, mot équivalent pour elle à la chose. Pour elle la langue= traduction fidèle, représentation exacte du réel, refuse que Richard prétende ne pas être le meurtrier d’Henry car cela est inexact ou qu’il affirme ne pas avoir tué Edouard puisque celui-ci est bien mort. Leg du cratylisme, pense la langue dans un rapport d’iconicité avec le réel. Anne récuse les associations incongrues ou les rapprochements qui défient la raison.

Lorsque Richard lui offre la bague, elle accepte sans pour autant donner son consentement : prendre n’est pas donner, prendre est même le contraire de donner et vouloirs faire signifier l’un par l’autre est absurde. Mais finit par capituler et son essai de planter le poignard dans le cœur de Richard constitue l’aveu symbolique de la pauvreté de son discours, incapacité à vaincre par le verbe. La conception surannée du langage vaincue par la subtilité de la rhétorique nouvelle de Richard. Joue des codes pour enjôler son public : pastiche la rhétorique amoureuse, parodie le discours pétrarquiste : assimile Anne à une sainte, proclame sa beauté divine tel un soleil au firmament : vision de la beauté physique comme un écho affadi de la beauté spirituelle, néoplatonisme. Poétique éculée dont il devine l’effet qu’elle fera sur son interlocutrice. Stratégie efficace pour gagner Anne.

Hyperbole pétrarquiste = écho parodique de l’image biblique du sein d’Abraham tirée de la parabole de Lazare et le mauvais riche. Le trop démétaphorise le sens de l’image biblique et le sein de lady Anne ne renvoie qu’au plaisir de la chair. Il vide le langage biblique de son contenu symbolique pour proposer un sens désacralisé et physique.

Seul endroit où il souhaite se trouver= chambre à coucher, jeu de mot difficile à traduire en français : to lie with = coucher avec quelqu’un et  ne pas mentir : instille que ses propos d’amour sont honnêtes et l’amour sincère.

Poétique enjôleuse et maléfique : séduit Anne car il est capable de resémantiser les figures éculées , transformation du discours cynique du scélérat en objet d’admiration esthétique, public séduit aussi !

La fascination pour l’horrible

Attirance pour une incarnation du mal , pour Satan cf Baudelaire, Richard = monstrueux et ingénieux, scélérat et victime, poison et bouc émissaire, association hybride de pharmakos et pharmakon : agrégat de facettes multiples cf opale de la Nuit des Roi pour qualifier l’esprit du Duc Orsino

Tous compromis dans le crime, victimes comme bourreaux, univers cruel où l’abjection est partagée par les deux familles rivales. Richard particulièrement sincère dans la belle tirade en pentamètre iambique quasi réguliers des vers 153 à 163 où il rappelle les crimes atroces dont sa famille a été victime. Trame de la Guerre des deux Roses brouille les distinctions entre bons et méchants. Question métaphysique du bien et du mal.

Rencontre Anne/ Richard conjugue exercice de séduction tissé d’allusions érotiques appuyées au thème de la mort : plaisir trouble de la transgression : suspens de l’interdit cf Bataille, fait entrer dans le monde de l’excès. Juxtaposer sur scène le macabre et l’érotique= permettre au spectateur d’éprouver une jouissance transgressive, goûtée comme volupté éphémère.

Cf monologue final de Richard qui contemple incrédule sa réussite : théâtre du verbe, à la fois acteur et spectateur, jouit du spectacle à nouveau en se le remémorant : confessions adressées au public qui devient complice des machinations ourdies contre les victimes.

Jeu d’ironie dramatique : le spectateur en sait plus que les personnages, pas de suspens : attente avec fébrilité que ce qui a été annoncé se produise afin de vérifier l’exactitude des prédictions. : Richard figure de metteur en scène.