Basile n'avait pas travaillé sur Richard III mais c'est pour vous montrer comment faire une trace avec de la réflexion.
York (9/10)
Le spectacle est un montage des deux pièces qui se suivent de Shakespeare : Henri VI et Richard III (deuxième moitié de la tétralogie du conflit entre York et Lancastre). Interprétée par la compagnie du Matamore de notre intervenant Serge qui joue notamment Warwick le faiseur de roi. Dans le casting nous connaissons aussi Bruno Journée, intervenant avec nous l’année dernière sur le projet La dispute. On retrouve très bien son amour du jeu clownesque, notamment dans le rôle du roi de France, personnage très drôle et d’une légèreté totalement déconnectée des autres personnages presque tous cruels et violents. Le but de ce montage est de montrer la genèse du personnage de Richard III. Serge expliquait que la deuxième pièce est trop souvent montée pour montrer la cruauté du personnage sans que jamais on ne s’interroge sur la genèse de ce tyran qui est parfois décrit par les autres personnages comme un sanglier (d’où l’affiche) détruisant tout sur son passage. Mais c’est en observant les mécanismes de son clan que l’on peut comprendre la naissance de sa violence.
Ce que je retiens de la mise en scène de Serge, c’est l’intelligence scénographique dont il fait preuve pour mettre en valeur les deux registres principaux des pièces, tour à tour courtisanes et guerrières. Chaque personnage a deux version de son costume, l’une plutôt élégante style tenue de soirée et l’autre du genre paramilitaire. Les yorks et les lancastres étant différenciés par une rose blanche pour les uns et rouges pour les autres, en noir pour les uns et kaki pour les autres. De cette façon la dualité entre les registres et entre les deux familles est mise en scène de manière compréhensible facilement pour le spectateur. Les musiques/sons utilisées aussi participent à cette lecture facile, seule deux morceaux sont joués : l’un style plus industriel/musique concrète avec des coups de feux pour les ambiances guerrières et l’autre de style plus électronique/dubstep très répétitif pour les ambiances de fête.
Le mobilier sur scène aussi est pensé de façon à constituer une machine à jouer pour les acteurs et une machine à comprendre pour le public. Un grand trône à roulette en bois est placé (souvent au milieu de la scène) de manière assez explicite, celui qui y siège a le pouvoir. De manière générale, c’est une mise en scène consciente de la complexité de l’intrigue politique qu’elle traite et qui agit en conséquence pour produire un travail digeste, compréhensible et abordable malgré les 4 heures de représentation. Le parlé est le plus éloigné possible du cinéma et il est donc très aisé pour un spectateur, même novice dans l’écoute du la langue shakespearienne traduite, de suivre.
J’ai adoré et cela ne peut que mon conforter dans l’idée que j’ai de la meilleure manière pour aborder des œuvres séculaires : il s’agit de les jouer pour un public, et non pour une histoire du Théâtre avec un grand T. Le texte parle de lui même et si les intrigues de Shakespeare sonnent comme des films d’actions hollywoodiens, jouons-les comme telles.
Le dragon (05/02)
Le 5 février dans la (merveilleusement nommée) Salle Koltès du TNS, nous avons assisté à une représentation du Dragon d’Evgueni Schwarz mis en scène par Thomas Jolly. C’est un très gros projet, Thomas Jolly est actuellement directeur du Centre Dramatique National Le Quai d’Angers, il fait partie des figures importantes de sa génération (il n’a que 40 ans). Du point de vue du budget, du nombre d’acteurs sur scène (14 comédien.nes et 1 enfant) et de la taille de la tournée, c’est sûrement le plus gros spectacle que je verrai cette année. Le scénographe est Bruno de Lavenère, la lumière est assurée par Antoine Travert et la musique et le son par Clément Mirguet.
Evgueni Schwartz est un autour russe né en 1896 et mort en 1958. Il est très peu connu en France et seules trois de ses œuvres sont traduites : Le roi nu, L’ombre (que les premières ont joué cette année) et Le dragon. Son registre principal d’écriture est le conte, il a commencé par en écrire des pour enfants, puis au fur et à mesure, ces œuvres sont devenues des pièces pour adultes, mais le registre reste toujours fantastique avec des fortes références au monde plus enfantin du Médiéval-fantasy.
Le propos de la pièce est la dénonciation du pouvoir totalitaire, publiée en plein période stalinienne elle a évidemment été censurée après la première représentation. Dans un cadre spatio-temporel non défini, un bourg vit sous le joug d’un dragon depuis des siècles, les villageois lui payent un lourd tribut et doivent en plus lui offrir une jeune fille chaque année. A force de temps, les villageois ont fini par se persuader qu’ils avaient besoin du dragon (par exemple qu’il le protège des autres dragons, ou encore qu’il les a sauvés d’une épidémie en faisant bouillir les eaux du lac). Mais un jour arrive un « héros professionnel » : Lancelot, qui a pour volonté de tuer le dragon pour sauver Elsa, la fille de l’archiviste Charlemagne qui est cette année élue par le dragon, car il est tombé amoureux d’elle. Ce qui est intéressant et surprenant dans a pièce, c’est que la majeure partie de la population (à l’exception de quelques pauvres artisans) n’est pas favorable à la quête de Lancelot, il rencontre donc l’opposition de la population qu’il va libérer. Mais au delà de l’originalité des deux premiers actes où Schwartz dépeint avec humour la « servitude volontaire » dont parlais La Boétie, c’est le troisième acte de la pièce qui fait l’originalité de son propos, puisqu’après avoir terrassé le dragon, Lancelot est blessé et s’efface quelques temps, et pendant ce temps, le Bourgmestre et son fils, dans les premiers actes lâchement soumis au pouvoir du dragon et veillant à le maintenir, profitent de l’absence de pouvoir pour s’en emparer et établir une dictature tout aussi horrible que la précédente, le bourgmestre transforme même l’histoire en faisant comme si il était le vainqueur de la bataille contre le dragon et que Lancelot n’existait pas.
Le choix de texte que Thomas Jolly fait en mettant en scène Le dragon est très symbolique, surtout en période électorale : le texte questionne le pouvoir, la révolution mais aussi « l’après » et la personnalité que Tocqueville surnomme « l’ambitieux habile » au travers du personnage du bourgmestre, celui qui profite du désintérêt général quant à la question politique pour s’emparer du pouvoir pour son propre intérêt et garantit le strict minimum pour rester éloigné de toute critiques de la part du peuple (le symbole du banquet : Panem et circenses).
Le code de jeu général prend le parti du conte théâtral, qui sans être infantilisant pour le public se veut à la fois lisible, assez peu violent et matérialise les choses au lieu de les symboliser. On peut supposer que cela résulte d’une volonté de Thomas Jolly de faire une théâtre plus « populaire » ou en tous cas moins élitiste et ouvert aux non-initiés . Cet objectif est impossible à atteindre à mon sens si l’on ne remet pas en question le lieu, on peut faire du facile d’accès hollywoodien autant que l’on veut, s’il est représenté au TNS il continuera à attirer essentiellement le public qui fréquente ce lieu, sans ouvrir aux franges de la populations qui boudent les théâtres.
Cette volonté est d’autant plus accentuée par le choix d’ajouter beaucoup de comique, visuel (les mimiques et postures du Bourgmestre et de son fils, très drôles dans leurs lâcheté et leurs folie, mais aussi les trois têtes du dragon caricaturales du méchant à l’extrême) mais aussi du comique de langage avec le discours du Bourgmestre qui prend le parti de la distanciation en s’adressant directement au public comme si il s’agissait de la foule du bourg réunie, mais en se trompant beaucoup à lui même et en oubliant son texte.
Dans la direction d’acteur, j’ai particulièrement aimé la manière dont la mise en scène passe au-delà de la difficulté du conte uniquement par un travail d’acteur très intéressant au lieu de se perdre en subterfuges. Il y a deux personnages animaux, motif typique du conte, un petit, malin et allié : Le chat, et un beaucoup plus grand et méchant : le dragon à trois tête (incarné par trois acteurs, dont Mustapha Benaïbout que j’adore). Au lieu de chercher des costumes très élaborés ou d’autre techniques pour mettre ces personnages au plateau, les acteurs sont habillés dans un registre très ressemblant aux autres personnages (très élégant, noir et blanc) avec simplement quelques détails ajoutés (oreilles pour le chat, épaulettes argentées, fume cigarette et lunettes/cache-oeil qui symbolisent les attributs du dragon : écailles, feu, regard monstrueux). Et l’entièreté de la transformation se passe ensuite dans le jeu. J’ai trouvé le travail de l’acteur du chat très intéressant, à la fois comique et parlant, sans faire illusion, on se figure assez aisément l’image du conte où le héros est allié à un petit animal. C’est aussi intéressant de voir au plateau un exercice classique d’échauffement poussé à son paroxysme, en effet j’ai déjà fait plusieurs ateliers ou séances de théâtres autour de la thématique de l’animal totem, et ce passage au plateau me prouve bien qu’il n’y a pas de matière perdue et que le travail de la recherche la plus poussée d’un corps animal peut servir de la manière la plus concrète.
La scénographie de la pièce est très chargée avec un décor qui se transforme, dans un premier temps intérieur de la maison de l’archiviste, puis extérieur/place de village et enfin salle du trône où règne le bourgmestre, les effets spéciaux sont nombreux, avec l’orage et le vent à l’extérieur de la maison au lointain dans le premier acte, la fumée, les disparitions et apparitions de Lancelot et les têtes du dragon qui tombent dans le deuxième acte et le coup de poignard (ainsi que la patte animée du cochon rôti) dans le troisième acte. Le choix général de maintenir une uniformité quasi parfait du noir et blanc dans la scénographie fonctionne très bien, surtout qu’il met fortement en relief les rares éléments colorés que l’on aperçoit : les lunettes vertes d’une des trois têtes du dragon, le orange du feu des bougies dans la maison de l’archiviste ou de la lumière du feu dans le ciel pendant la bataille, le rouge du sang lorsque les têtes tombent. La lumière et le son sont assez peu analysables, très présents (en volume et en fréquence), ils servent surtout à souligner les transitions entre les différents actes et décors ou encore les actions ou entrées spectaculaires. L’ouverture du spectacle est une projection d’une animation 3d (en noir et blanc toujours) accompagnée à la manière d’un son et lumière.
L’ensemble de ces éléments appuie sur le caractère « tout public » du projet, à ma sortie de la salle j’ai comparé cela à une production hollywoodienne : avec de tels moyens, cela ne peut que plaire, mais la question doit rester « est-ce que c’était la meilleure chose à faire avec de tels moyens ? ». En l’occurrence, j’ai beaucoup aimé le spectacle, mais j’ai trouvé le comique un peu trop présent, et en des temps aussi sombre que les nôtres quant à la montée d’un fascisme d’un nouveau genre, je trouve que cela est maladroit de montrer un bourgmestre « juste » fou (de pouvoir), je pense que l’époque nécessite un traitement plus tranché de l’autoritarisme et de ceux qui se permettent de remanier l’histoire à leur sauce pour légitimer des injustices.