vendredi 9 février 2024

Analyse de la Douleur de Marguerite Duras ( Dominique Blanc) par Flavie

 

La Douleur

Vendredi 12 janvier 2024, nous sommes allés à la Coupole à Saint Louis pour  voir La Douleur mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang et interprété par Dominique Blanc. La Douleur est un texte écrit par Marguerite Duras et publié en 1985. Dans cet ouvrage qui prend comme la forme d’un journal, elle  raconte l’attente insurmontable de son mari Robert Antelme, Robert L. dans le récit, retenu dans un camp de concentration. C’est en 2008, que Patrice Chéreau propose à Dominique Blanc de mettre en scène un texte, et c’est Thierry Thieû Niang qui trouvera la Douleur. (Explique les conditions de cette proposition de Chéreau dont Dominique Blanc parle dans son livre.)Cette pièce a tourné mondialement puis s’est finalement arrêtée. Dominique Blanc et Thierry Thieû Niang ont finalement décidé de rejouer ce texte, après la mort de Patrice Chéreau en 2013. ( Pourquoi cette reprise ? Dominique Blanc s’en explique.)

Horizon d’attente : Je savais premièrement que ce texte joué par Dominique Blanc n’était pas un texte de théâtre. Je m’étais donc renseigné sur le propos de l’ouvrage, et madame Huckel nous avait lu deux extraits très forts, dont un qui m’a beaucoup marqué. C’est le moment où la narratrice raconte le moment de l’arrivée de Robert L . Lorsqu’il revient des camps et qu’il est si affaibli qu’elle ne le reconnait pas, et elle dit « C’est un sourire de confusion. Il s’excuse d’en être là, réduit à ce déchet. Et puis le sourire s’évanouit. Et il redevient un inconnu. Mais la connaissance est là, que cet inconnu c’est lui, Robert L., dans sa totalité ». Ce passage m’a marqué lors de la première lecture et lors de la pièce, c’est pour cela que je les réutilise lors de notre projet. En outre, l’écriture est magnifique et le propos très intéressant, surtout que cela rejoint notre programme d’histoire et d’hggsp, puisque nous avons étudié la Seconde Guerre Mondiale, et la mémoire de la Shoah, nous avons donc parlé des conditions des déportés et de leur considération après la Libération. De plus, en regardant des photos de la pièce et en parlant avec madame Huckel, j’ai pu comprendre que la scénographie et la mise en scène étaient très sobres. En outre, je savais que le chorégraphe Thierry Thieû Niang avait travaillé avec Dominique Blanc, j’avais donc hâte de découvrir quel travail il avait pu faire avec elle pour cette pièce. Je partais donc avec beaucoup d’excitation pour cette pièce, surtout que c’est une grande chance pour nous de pouvoir voire une pièce où joue Dominique Blanc.

Commençons par nous intéresser aux conditions de la représentation. La pièce se passait au théâtre de la Coupole à Saint-Louis. La salle est assez différente de la Comédie de Colmar. En effet, il y a un balcon et les places assises s’étendent bien plus en largeur. De plus la scène est surélevée, et elle est vraiment très grande. Quelque chose qui m’a beaucoup marquée, ce sont les murs, qui étaient rouge vif et en relief, peut-être cela servait à l’insonorisation. La scène était donc en frontal.

Intéressons-nous maintenant à la scénographie. Comme dit précédemment, la scénographie était assez sobre. En effet, il y avait une table à cour. Elle était placée perpendiculairement à la scène et il y avait deux chaises, l’une sur le grand côté et l’autre sur le petit côté, dos au public. De plus, sur la table il y avait différentes choses : des cahiers et stylos, un journal, une pomme, un verre, une carafe et d’autres petits ustensiles de cuisine ; cela représentait son appartement. En outre, à jardin il y avait 7 chaises alignées en face de la table, dont l’une était retournée ; cela représentait l’endroit où arrivaient les déportés. A première vue on pourrait se dire que c’est une scénographie trop simple pour un sujet si complexe. Or, le fait que la scénographie soit simple permet, je trouve, de plus se concentrer sur le texte et sur le jeu de Dominique Blanc. La scénographie est, certes très simple, mais elle était très utile, surtout pour s’imaginer les différents personnages dont la narratrice parle. En effet, cette pièce est un seul en scène – d’ailleurs Dominique Blanc est déjà installée à la table pendant l’installation du public, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a que la narratrice qui intervient ; il y a D. qui intervient très souvent. Ce personnage est en réalité Dionys Mascolo, un camarade résistant de Marguerite Duras et Robert Antelme ; il crée avec eux le « groupe de la rue Saint-Benoît » et aidera à sauver Robert Antelme des camps. ( IL est aussi l’amant de marguerite Duras, son nouvel amoureux et sera le père de son fils.) D’autres personnages interviennent à de courts moments comme la concierge de l’immeuble où habite la narratrice ; Marguerite Duras parle également des femmes qui attendent leurs maris partis comme prisonniers politiques, A ce moment-là Dominique Blanc pour les interpréter se place derrière la barrière de chaise qui symbolise une sorte de rambarde, de barrière, qui empêche le libre accès à la salle et aux déportés. De plus les chaises servaient à symboliser les membres de journal clandestin qui collectaient les récits des déportés. Ce n’étaient donc pas des décors superflus.

Les lumières étaient également très subtiles. En effet, elles n’englobaient pas toute la scène mais toute la partie utilisée par la comédienne : la table, les chaises et la partie entre les deux, plus au centre du plateau. C’était une lumière blanche, qui avait surtout pour but d’éclairer l’espace scénique. Mais il y avait quelquefois des changements très subtils de l’orientation des projecteurs et de l’intensité de la lumière, mais c’était si subtil que je ne les ai presque pas remarqués tant j’étais concentrée sur la fable de la pièce mais également sur le jeu de Dominique Blanc, qui était tout à fait impressionnant.

Les costumes portés par la comédienne témoignaient de la mode de l’époque d’après-guerre. Elle portait une jupe noire, avec une chemise blanche et un cardigan violet avec des escarpins à talons, et à certains moments elle portait un long manteau noir. Après le spectacle, lorsque nous avons eu un échange avec Dominique Blanc, elle nous a appris que ce sont de vieilles affaires qu’elle avait retrouvées chez elle. Ces costumes permettaient de bien situer la pièce dans une époque : le milieu des années 1940 ; ce qui facilite encore une fois la compréhension du public, qui ne connait pas forcément le texte. ( Mettre le manteau, boutonner un gilet sont aussi des moments de se mettre en jeu, de donner du jeu au texte, de le rythmer.)

Abordons maintenant le sujet de la gestuelle, et du rôle de Thierry Thieû Niang dans la mise en scène. Comme dit précédemment, la question de l’apport de ce chorégraphe m’a beaucoup intéressée avant le spectacle. J’ai donc pu comprendre en regardant la pièce, que la gestuelle de Dominique Blanc était très précise. Ses mouvements étaient tous calculés et elle n’hésitait pas à faire parfois des mouvements très amples. C’est dans ces moments-là qu’on sentait les apports du chorégraphe, car parfois ses mouvements, pour illustrer son propos, étaient presque « dansés ». Je pense que ça a permis de remplir l’espace de cette grande scène, mais aussi d’accentuer sa présence au plateau pour porter ce texte qui n’est pas simple à jouer.

J’ai également remarqué que lorsque le texte donnait des messages politiques ou juste importants, comme par exemple la diatribe de marguerite contre le général de Gaulle ou le moment où elle explique le parallèle entre l’organisation de la shoah et l’organisation industrielle du travail dans le système capitaliste, Dominique Blanc était principalement au centre de la scène, cela permettait de donner ce message à tous, de l’universaliser.

 

Mais ce qui m’a le plus marquée, et je pense que c’est le cas d’un bon nombre de spectateurs, c’est la précision du jeu de Dominique Blanc. En effet, la comédienne avait une façon de porter le texte au plateau qui m’a tellement transportée que ça m’a presque fait oublier de regarder les lumières et autres aspects de la mise en scène.

Dominique Blanc nous a vraiment fait ressentir tout le désespoir du personnage, sa douleur, ça me percutait en plein cœur. Elle avait une telle maîtrise de son texte et elle l’incarnait vraiment bien ; à la fin de la pièce j’avais presque oublié que l’histoire du personnage n’avait pas été vécue par Dominique Blanc. De plus lorsqu’elle jouait un autre personnage que la narratrice, elle arrivait à vraiment changer son timbre et son grain de voix. C’est d’autant plus incroyable que lorsqu’on l’entend parler dans une interview ou lors d’un bord plateau, elle a une voix plus aigüe et toujours très douce. Cette faculté permet véritablement aux spectateurs de différencier les différents personnages de la pièce, surtout pour différencier la narratrice et D. De plus, malgré les micros qui amplifiaient sa voix, elle avait une réelle puissance vocale, et même si elle parlait plus doucement, ou avec plus de douceur elle projetait toujours autant.

Ainsi, c’est une pièce que j’ai vraiment appréciée. Cela ne m’était arrivé qu’une seule fois de sortir d’un spectacle et de ne pas avoir les mots pour décrire ce que je venais de voir et d’avoir des frissons. Dominique Blanc m’a estomaquée par sa maîtrise du jeu et le texte de Marguerite Duras m’a totalement chamboulée. Il est si puissant émotionnellement parlant, mais il est également engagé, et j’ai trouvé cette dimension politique vraiment très intéressante. En effet, la narratrice relate ce qu’elle sait à l’époque sur la Shoah, mais elle parle également du fait que la France de De Gaulle ne pense pas forcément assez à tous les Juifs qui ont été tués, elle montre que les gouvernements ne disent pas tout à la population sur les horreurs qui ont été commises et qu’ils disent souvent des messages qui s’opposent, et elle dénonce également le fait que Mussolini ait été livré à la population. Mais aussi, le texte dénonce que la Shoah ait été un génocide industrialisé et soutenu par le capitalisme allemand. Mais finalement le message est intemporel et il est en accord avec ce qu’il se passe aujourd’hui dans nos sociétés, avec la montée de l’extrême droite et du populisme, car l’on sent que  des crimes d’une telle ampleur pourraient être commis, et nos libertés pourraient être bafouées sans qu’on en prenne massivement conscience.. Je crois que j’ai encore du mal à relater ce que j’ai vécu, mais je suis vraiment très heureuse d’avoir vu jouer Dominique Blanc et d’avoir pu lui poser des questions. En effet nous avons eu l’immense chance de pouvoir la rencontrer après la pièce. On voyait vraiment lorsqu’elle est arrivée son amour du jeu, comme lors des applaudissements. J’ai pu lui poser une question : « est-ce le premier texte non théâtral que vous avez porté sur un plateau ? » ; elle m’a répondu que c’était  la première fois et qu’elle n’avait, avant ce projet, joué que des textes faits pour le théâtre. Elle a également raconté que c’est Thierry Thieû Niang qui avait trouvé ce texte, qu’il l’avait présenté à Patrice Chéreau et elle. C’était une chance incroyable de pouvoir lui parler, mais je n’ai pas tout retenu de l’entretien, peut-être à cause de toutes les émotions que j’ai ressenties en si peu de temps. Mathilda lui a également demandé quel travail du corps elle avait effectué avec Thierry Thieû Niang . Elle lui a répondu que Chéreau et Thierry Thieû Niang n’étaient pas toujours là pendant les répétitions, et Thierry Thieû Niang n’étaient pas sur la scène pendant ces répétitions. Ils ont donc travaillé ensemble des mouvements très minimalistes. Enfin, une personne lui a demandé si elle se reconnaissait dans ce texte. Dominique Blanc lui a répondu qu’elle avait prit de la distance avec ce texte pour ne pas être trop perturbée personnellement,  contrairement à  ce qui s’est passé pour Phèdre qu’elle a joué pendant six mois et dont elle ne s’était pas assez protégée.