mercredi 13 mars 2024

Cours du mercredi 13 mars: sur les femmes dans le Mariage de Figaro

 Pour les absentes en particuliers , mais pas seulement.

Nous n'avons pas regardé de scènes dans le Mariage de Vincent compte tenu des absentes.

Nous avons regardé le chapitre 2 de la pièce sur le travail de jeu de l'acteur de Kurvers , postée dans un autre article: L'actrice Evelyne Didi parlant du Paradoxe sur le Comédien de Diderot. 

Se demander quel est le rapport avec le parcours de Dominique Blanc et le parcours personnel que vous êtes en train de mettre en scène. ( références à utiliser dans l'entretien ou à l'écrit)

Cours sur les femmes dans le Mariage de Figaro

Le monde féminin dans Le Mariage de Figaro 

La pièce s’inscrit dans une époque libertine, peu après la parution d’œuvres osées comme Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. L’Église a d’ailleurs interdit d’aller assister à ce spectacle, malgré l’insistance de Beaumarchais, dans sa Préface, sur la moralité de ses personnages féminins.

Il leur accorde une réelle importance, tant quantitativement que qualitativement : leur psychologie est davantage approfondie, plus nuancée que celle des hommes, comme en un miroir du rôle que jouent les femmes dans la société mondaine que connaît bien Beaumarchais.

L'image des femmes

Beaumarchais est un contemporain de Chardin et Fragonard et, comme eux, il aime peindre des scènes d’intérieur qui montrent les occupations féminines, notamment autour de la toilette, comme c’est le cas pour la Comtesse, occupée à « chiffonner ». La femme, coquette, parfois frivole, se plaît aussi aux sérénades, aux bouquets de fleurs. Cet aspect traditionnel s’accompagne du défaut depuis longtemps imputé aux femmes, la ruse : « Ô femme, femme, femme […], nul animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de tromper ? », s’écrie Figaro. Cependant l’écrivain de s’en indigne pas : il en fait une arme obligée pour compenser leur infériorité physique et sociale.

D’ailleurs, il s’emploie à restituer à ses personnages féminins une totale dignité. Ainsi, Suzanne apparaît comme une victime face au désir du Comte, elle se défend avec amertume (« il voulait m’acheter », II, 1) et affirme son honnêteté. De même la Comtesse accorde plusieurs fois le pardon à son époux, pourtant infidèle, et reconnaît sa part de culpabilité dans la lassitude qu’il ressent : elle accepte avec courage la leçon qu’il lui donne à l’acte V, scène 7. Enfin, Marceline, de duègne ridicule au début, est totalement réhabilitée quand elle accepte avec dignité sa condition de fille-mère. Beaumarchais a donc considérablement enrichi le tempérament féminin.

Les femmes entre elles

Dans plusieurs scènes de tête-à-tête il montre aussi les rapports qui se nouent entre les femmes. Parfois, il met en évidence leur rivalité amoureuse, par exemple entre Suzanne et Marceline. Double féminin de Figaro, Suzanne souligne aussi l’écart social entre elle et sa maîtresse : « Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs ? C’est un mal de condition, qu’on ne prend que dans les boudoirs. » (III, 9) Mais, le plus souvent, c’est la complicité entre elles qui ressort, car les faiblesses s’unissent : « Nous sommes toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé », explique Marceline. C’est flagrant entre Suzanne et la Comtesse, l’une sensible et dévouée, l’autre qui lui apporte son soutien, par exemple lorsqu’elles s’allient pour tirer Figaro d’embarras, dans la scène 21 de l’acte II. Elles deviennent ainsi des sortes de doubles, lors de leur échange de vêtements à l’acte V, jusqu’à adopter le même ton de voix. Les femmes forment véritablement un « clan » pour faire obstacle aux désirs et aux ordres masculins

Les femmes et l'amour

Quel que soit leur âge, depuis la jeune Fanchette jusqu’à la plus âgée, Marceline, et quel que soit leur statut social, toutes ont pour principale préoccupation l’amour, et manifestent leur sensualité.

À douze ans, Fanchette réclame déjà qu’on lui donne Chérubin en mariage et fonde ses espoirs sur un baiser. Marceline, elle, même si Figaro a quinze ans de moins qu’elle, évoque la « volupté » que promet un mariage avec lui. Suzanne, pour sa part, est très habile pour badiner et aguicher les hommes : elle provoque le jeune Chérubin, et accepte son baiser, elle sait très bien comment séduire le Comte, et la scène d’exposition montre la relation sensuelle qui l’unit à Figaro. Enfin, la Comtesse, délaissée par son mari, est troublée par le jeune Chéubin, comme le prouve le jeu autour du « ruban ». D’ailleurs, quand le Comte arrive, la scène 10 révèle qu’elle se sent coupable, « le col et les bras nus ». Ainsi, même si, dans sa Préface, Beaumarchais insiste sur la sagesse de ses personnages féminins, derrière cette sagesse perce leur sensualité.

À travers ses personnages féminins, Beaumarchais propose sa propre conception de l’amour, léger, frivole, inconstant, qu’expose clairement le vaudeville final, où le plaisir semble bien l’emporter sur la fidélité : on en peut « jurer de rien », conclut la Comtesse. 

La revendication féministe

Face au mépris envers les femmes, d’origine religieuse, qui fait d’elles, comme le dit Arnolphe dans L’École des femmes de Molière, « la moitié » du genre humain, mais la moitié « subalterne », les Précieuses, dès le XVII° siècle, ont commencé une révolte, en revendiquant qu’on les traite avec respect et le droit à l’éducation. Or, Beaumarchais s’inscrit dans ces revendications, par la bouche de Marceline, et elles ont choqué au point que de longs passages ont été supprimés de la représentation de 1784 – et le sont encore souvent aujourd’hui – pour ne pas présenter sur scène une « guerre des sexes ». ( sur les revendications de Marceline: Acte III scène 16)

Pourtant, tous les personnages féminins de la pièce sont des victimes de cette « guerre », telle la Comtesse envers laquelle le Comte fait preuve d’une jalousie brutale alors que lui-même s’accorde tous les droits. Beaumarchais développe ce thème dans le discours sérieux, jusqu’au pathétique, qu’il prête à Marceline. Elle souligne l’absence d’éducation des femmes, le rôle des lois inégalitaires, puisqu’elles sont « traitées en mineures pour [leurs] biens » et ne peuvent jouer aucun rôle économique, ne leur accordant aucun « honnête moyen de subsister ». Finalement, elles ne sont, pour les hommes, que de séduisants objets de plaisir, des proies « leurrées de respect apparent » : la galanterie masculine n’est qu’un masque commode pour mieux les conquérir.

Cependant, il ne faudrait pas faire de Beaumarchais un révolutionnaire en matière de féminisme. Si, entre le Comte et Figaro, il y a, à plusieurs reprises, un renversement au profit du valet, qui revendique son mérite, cela n’existe pas entre la Comtesse et Suzanne. Sa maîtresse sait très bien, en effet, marquer les limites sociales à ne pas transgresser, et Suzanne n’adopte jamais un comportement insolent, même quand la Comtesse lui parle d’un « ton glacé » ou blesse sa dignité.

Dans la préface, Beaumarchais lui-même fait le portrait de ses personnages:

Les principaux personnages vus par leur auteur.
Dans sa préface et dans "caractères et habillements de la pièce", Beaumarchais donne de précieuses indications au lecteur sur ses personnages :
- Le Comte est essentiellement caractérisé par son rang social et par sa puissance :"Un grand seigneur espagnol... un maître absolu que son rang, sa fortune, sa prodigalité rendent tout-puissant... C'est un mari peu délicat....assez galant,..., un
peu libertin."De plus, il doit être joué "très noblement avec grâce.... la corruption du cœur ne doit rien ôter au bon ton de ses manières."
- La Comtesse est identifiée à ses qualités morales : c'est "la plus vertueuse des femmes... Un modèle de vertu, l'exemple de son sexe et l'amour du nôtre.... Un caractère aimable et vertueux". L'éloge dithyrambique participe à la mise en place de
l'image de la femme victime du libertinage de son mari.
- Figaro est présenté comme un personnage dominant tant par ses qualités que par son rôle. C'est "l'homme le plus dégourdi de sa nation..... il incarne "le feu et l'esprit.... Il ne ruse avec son seigneur que pour garantir ce qu'il aime et sauver sa propriété." De plus, la sagesse et la gaieté en font le parangon du valet émancipé , il est " de la sagesse assaisonnée de gaieté et de saillies."
-Suzanne n'est pas une servante quelconque, elle est " spirituelle, adroite et rieuse ... mais non de cette catégorie presque effrontée de nos soubrettes corruptrices... Dans tout son rôle, il n'y a pas une phrase, pas un mot qui ne respire la sagesse et l'attachement à ses devoirs."
- Chérubin est par avance excusé et justifié de ses penchants pour la Comtesse. Beaumarchais insiste beaucoup sur sa jeunesse, ce qui ruine toute intention qui pourrait porter atteinte à la décence et à la morale : "un enfant de treize ans, aux
premiers battements du cœur..., idolâtre [de] sa marraine est-il sujet de scandale ?... Aimé de tous, vif, espiègle et brûlant comme tous les enfants spirituels.... Pour lui imprimer plus fortement le caractère de l'enfance, nous le faisons exprès tutoyer
par Figaro... Timide à l'excès devant la Comtesse, ailleurs un charmant polisson."
- Marceline est " Une femme d'esprit, née un peu vive, mais dont les fautes et l'expérience ont réformé le caractère."

La présentation du personnage principal dans les pièces est, le plus souvent , prise en charge par un autre personnage qui lui est proche, chez Molière déjà. Beaumarchais respecte ce principe mais de façon plus discrète : les caractères sont esquissés par petites touches et pris en charge par plusieurs personnages.

- Figaro apparaît d'abord comme un personnage aux multiples qualités aux dires de la gente féminine :
Marceline le considère comme un jeune homme gai et bon "Jamais fâché ; toujours de belle humeur ; [...] sémillant, généreux, généreux."(I,4), séduisant, c'est "Le beau, le gai, l'aimable Figaro" (I,4) et épicurien " Donnant le présent à la joie et s'inquiétant de l'avenir tout aussi peu que du passé" ( I,4)
Suzanne nous présente un fiancé malicieux et ingénieux, "De l'intrigue et de l'argent, te voilà dans ta sphère."(I,1),particulièrement gai "J'aime ta joie parce-qu'elle est folle" la Comtesse voit en lui l'élément indispensable pour rappeler le Comte à l'ordre "... lui seul peut nous [...] aider... il a tant d'assurance." ( II,1)
En revanche, le regard des personnages masculins ne voit que ses défauts.
Pour Bartholo, Figaro est un personnage de la parole débridée, " Un bavard enragé" et " le plus fier insolent" (I,3).
Le Comte considère son valet comme un menteur (II,20), toujours intéressé par l'argent et sournois "Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune et jamais aller droit" (III,5), un insolent qui se trouve partout où on ne l'attend pas et qui brouille les
pistes au point que le comte ne sait plus où il en est "Le fil m'échappe"(III,4)
Pour parachever le portrait de Figaro, il suffit de lire son autoportrait dans son monologue (V,3). Il se peint tel " Un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir... ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux avec délices ! orateur selon le danger, poète par délassement, amoureux par folles bouffées..."( c'est moi qui souligne)
Amoureux, il n'hésite pas à dire et à redire son amour pour Suzanne :" Il n'y a que mon amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi" et il ajoute " En fait d'amour [...] trop n'est pas même assez."( IV,1)
Son amour est tel que sa jalousie éclate lorsqu'il croit que Suzanne a donné rendez-vous au Comte sous les marronniers et sa colère est sans limite ( lui qui venait de confier à sa mère que la jalousie "n'est qu'un sot enfant de l'orgueil" et que "si
Suzanne doit me tromper un jour, je le lui pardonne d'avance" ( IV,13) !!!). Figaro devient alors un personnage très sérieux qui porte un regard cynique sur le monde qui l'entoure, remettant en cause les fondements mêmes de la société et se posant
des questions existentielles qui préfigurent le héros romantique du début du XIXème siècle. A la question "Quel est le moi dont je m'occupe" il répond "un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal
folâtre". Le bilan amer qui clôt ce monologue "J'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite et trop désabusé...Désabusé ! ... Désabusé !" a des accents de déréliction.
Personnage sensible, Figaro cache mal son émotion et, sans fausse pudeur, apprenant que Marceline est sa mère, il laisse éclater l'intensité de sa joie "Je les ( les larmes) retenais bêtement ! Va te promener la honte ! Je veux rire et pleurer en même temps."(III,19)
Dans sa préface, Beaumarchais, disait de Figaro qu'il était "de la sagesse assaisonnée de gaieté" et de fait il n'est pas un personnage excessif mais au contraire un personnage nuancé qui use de deux armes pour combattre le Comte : la parole,
le rire et la ruse.


- Le Comte
Il s'agit d'un personnage beaucoup moins nuancé que celui de son valet et si Figaro attire les sympathies, le Comte attise les réprobations. Deux traits de caractères dominants sont mis en évidence par les différents personnages : Le libertinage et la jalousie.
Dés la scène 1 de l'acte I, Suzanne atteste le libertinage du Comte " C'est sur la tienne qu'il a des vues"
Selon Marceline " il est jaloux et libertin"( I,4)
Bartholo précise " Libertin par ennui, jaloux par vanité" (I,4)
La Comtesse constate "Il ne m'aime plus"(II,1) et "la seule vanité" (II,16) est la cause de sa jalousie.
Figaro ose lui dire " Vous êtes infidèle" (III,5)
La jalousie du Comte est telle qu'elle va jouer un véritable rôle dans la dramaturgie. Dés la scène 2 de l'acte II, Figaro ajuste sa stratégie pour confondre le Comte :"... tempérons d'abord ses ardeurs de nos possessions en l'inquiétant sur les siennes" : le rendez-vous sous les grands marronniers, source de péripéties et de rebondissements, est élaboré et il faudra attendre la fin de l'acte V pour sa mise en scène.
Dans les scènes 10,11,12,13,16,17,19 de l'acte II, la jalousie du Comte, poussée à l'extrême, se met en scène et offre au spectateur l'image avilie de ce grand seigneur. Soupçonneux, craintif, il s'emporte et ne se maîtrise plus "Furieux", "tapant du pied", il se laisse dominer par la colère. Il prend "des précautions inutiles" en fermant à clef la porte de la chambre de Suzanne alors qu'elle est dans la chambre de la Comtesse. Il est ridicule lorsqu'il s'adresse" au cabinet". Il ne contrôle plus ses mouvements " il marche pour sortir et revient" ; il oublie son honneur et n'hésite pas à faire "un scandale public" au risque de devenir "la fable du château"; il manque de respect à sa femme en la tutoyant familièrement "tu es bien audacieuse". Les attitudes du comte apparaissent d'autant plus ridicules que la cause de sa jalousie est injustifiée : pour
l'heure, il n'a rien à craindre d'un enfant de treize ans ; de plus sa jalousie est en contradiction avec son libertinage.
Le libertinage joue lui aussi un rôle dans la dramaturgie.Son enjeu est double : il est à l'origine, de l'intrigue principale de la pièce à savoir l'obstacle au mariage de Suzanne et de Figaro et du conflit qui oppose le maître et le valet.
Séducteur impénitent le Comte est prêt à se renier en voulant user d'un droit( "le droit du seigneur") aboli par lui-même dans "Le Barbier de Séville" pour séduire la future comtesse Almaviva.
Enfin, pour assouvir ses désirs, il abuse de son autorité et agit en maître absolu. Les verbes de volonté et les impératifs dominent le plus souvent les propos qu'il tient et quand ces artifices de l'autorité ne suffisent pas il n'hésite pas à avoir recours au chantage "Si tu manquais à ta parole... point de rendez-vous, point de dot, point de mariage" (III,9) ou à la mauvaise foi ( cf le jugement qu'il prononce en la défaveur de Figaro dans le procès qui l'oppose à Marceline)


- La Comtesse
Elle est un personnage diamétralement opposé à son mari. "Noble et belle mais imposante"(I,7) selon Chérubin, elle est consciente des défauts du Comte et en souffre. "Il ne m'aime plus" (II,1) confie-t-elle à Suzanne et la solitude à laquelle elle
est contrainte lui pèse : "je ne suis plus la Rosine que vous avez tant poursuivie ! Je suis la pauvre comtesse Almaviva ; la triste femme délaissée, que vous n'aimez plus". La distance entre le prénom et la patronyme est ici éloquente : la jeune fille
aimée et arrachée à un vieux tuteur jaloux ( Bartholo) dans "le Barbier de Séville" n'est plus qu'un être social condamné à assurer un rôle : celui de la femme trompée.
Vertueuse, elle reste néanmoins fidèle à ce mari volage ( même si d'aucuns considèrent sa tendresse pour Chérubin plus importante qu'il n'y paraît) mais elle n'est pas résignée. Elle va tout faire pour reconquérir son mari et par là même sauver
l'honneur du Comte. A l'école de Figaro, elle va , avec l'aide de Suzanne, élaborer une stratégie qui lui rendra son mari.
Espiègle et ingénieuse Comtesse qui aura la joie d'entendre son mari lui demander pardon (II,19 ; V,19)
Contrairement à certaines critiques, je ne pense pas que la Comtesse soit un personnage qui se laisse dominer. Certes elle craint la colère de son mari, lors de la "scène du cabinet" et devant l'urgence de la situation elle est prête à avouer la
présence de Chérubin mais elle joue parfaitement la comédie au point que le comte ne peut se douter de la supercherie ; de plus il faut lire la pièce dans le contexte de son époque et au XVIIIème siècle, la femme ( Marceline nous l'expliquera : théâtre de société) dépend entièrement de son mari et si les hommes peuvent tromper leurs femme en toute impunité, la femme mariée doit rester vertueuse. D'autre part, c'est à l'insu de Figaro et contre la volonté de Suzanne qu'elle se rendra au rendez-vous sous les marronniers déguisée en Suzanne. C'est donc un personnage qui évolue au fil de la pièce et qui s'enhardit au point de gagner seule la victoire sur le Comte.


- Suzanne
Définie par Figaro, c'est "une charmante fille ! Toujours riante, verdissante,pleine de gaieté, d'esprit, d'amour et de délices ! mais sage..."(I,2) Ce portrait élogieux dicté par un amour sans borne corrobore celui de Beaumarchais et insiste sur la joie de vivre du personnage. Toutefois, Figaro lui reproche sa trop grande sagesse. De fait, Suzanne, très attachée aux traditions morales, garde les épanchements amoureux pour leur mariage et lorsque son fiancé lui demande "un petit baiser", elle refuse "[..] Et quand dirait mon mari demain ?" (I,1). Sauvegarder son honneur de jeune fille, sa dignité et son amour sont ses buts et c'est au nom de ces trois principes qu'elle refuse de céder au Comte malgré la promesse d'une dot conséquente : Suzanne ne se vend pas.
Elle entretient avec Marceline des relations conflictuelles. La scène 5 de l'acte I met en présence les deux rivales et Suzanne persifle en traitant son aînée de "Duègne". Le jeu scénique des révérences ponctue ironiquement la querelle des deux femmes. Suzanne se laisse envahir par une colère jalouse lorsqu'elle voit Figaro embrasser Marceline (III,8 : quiproquo oblige, Suzanne ignore tout de la scène de reconnaissance)"Tu l'épouses à gré puisque tu la caresses"
Personnage plein de bon sens et d'esprit, elle a le sens de la répartie. Au chantage du Comte elle répond par un autre chantage : "Point de mariage, point de droit du seigneur" (II,9). Lorsque le Comte lui demande de ne rien dire de ses intentions à Figaro elle détourne la réponse par une formule bien à propos : "Je lui dis tout hors ce qu'il faut taire."(III,19)
Perspicace, dans la scène 8 de l'acte I, elle utilise "le gros fauteuil de malade" comme troisième lieu pour cacher Chérubin à l'arrivée du Comte. De même, à la scène 17 de l'acte II, sortant du cabinet à la place de Chérubin, elle sauve la Comtesse d'une situation qui lui était très défavorable.
Sûre d'elle, elle n'hésite pas à se moquer des autres personnages en les contrefaisant. Ainsi se moque-t-elle de la timidité de Chérubin en présence de la Comtesse ( II,4) et traduit ses hésitations par des onomatopées péjoratives : " Et gnian, gnian, gnian, gnian...". Elle ridiculise la jalousie du Comte quand apparaissant devant lui elle dit : "Je le tuerai, je le tuerai. Tuez-le donc, ce méchant page."(III,17)
Enfin, servante dévouée au service de la Comtesse, elle est une complice attachante qui ne recule devant rien (elle agira contre la volonté de Figaro) pour sauver l'amour de sa maîtresse pour son mari.


- Marceline
Il s'agit du personnage qui du point de vue dramaturgique évolue le plus. Au début de la pièce, rivale de Suzanne, alliée du Comte, amoureuse de Figaro, lucide quant aux relations qu'entretiennent le Comte et la Comtesse "Elle languit... son mari la néglige."(I,4), elle devient une mère aimante et secourable à partir de la scène 16 de l'acte III : "Sois heureux pour toi ,mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde : il ne manquera rien à ta mère" et elle accueille Suzanne avec tendresse "Embrasse ta mère ma jolie Suzannette"(III,17). Dés lors, elle change de camp, devient l'alliée de Figaro et le Comte se retrouve seul dans la quête de son désir.
Marceline, c'est aussi, et surtout peut-être, cette femme de caractère qui, le verbe haut, ose se lancer dans un réquisitoire contre le pouvoir des hommes et dans un plaidoyer pour les femmes opprimées. Féministe avant l'heure Marceline ? Gardons-nous de ces étiquettes et saluons seulement sa lucidité et sa clairvoyance quant à la précarité de la
position de la femme au XVIIIème siècle.


-Chérubin
" Ce rôle ne peut être joué [...] que par une jeune et très jolie femme" précise Beaumarchais dans "Caractères et habillements" pour insister sur la jeunesse du personnage et l'innocence de ses intentions. C'est un très jeune adolescent en pleine puberté, à la sensualité naissante ; lui-même le confie à Suzanne : "Je sens ma poitrine agitée ; mon cœur palpite au seul aspect d'une femme... Enfin, le besoin de dire à quelqu'un " je vous aime" est devenu...si pesant, que je le dis tout seul."(I,7), et Suzanne ne voit en lui " qu'un morveux(gamin) sans conséquence"(I,7).On peut à ce titre considérer comme injuste l'éloignement que le comte lui impose. Mais Chérubin est celui qui permettra de mesurer l'ampleur de la jalousie du Comte et de mettre en place une coalition de tous les personnages contre l'autorité abusive du Comte. En effet, chacun s'applique à cacher et à protéger Chérubin contre l'ordre du Comte : n'est-ce pas bafouer son autorité ?
Par ailleurs, la présence de Chérubin jusqu'à la fin de la pièce est nécessaire à Beaumarchais pour annoncer la dernière pièce de sa trilogie, "La Mère coupable". Lorsque suzanne affirme "Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le
plus grand vaurien"(I,7), elle annonce la relation amoureuse qu'il aura avec la Comtesse. De même, Figaro entrevoit son destin tragique "A moins qu'un coup de feu"(I,10), destin qui se réalisera dans l'intertexte : Chérubin meurt effectivement au
combat

( d'après Jocelyn Vilemin)

Faire comme Dominique Blanc =travailler ses connaissances sur les oeuvres, les personnages, les situations en autodidacte toujours un peu complexée de ne pas avoir étudié dans de grandes écoles. Noter ce que vous faites dans ce domaine. une question en ce sens pourrait vous être posée à l'entretien de l'examen: avez-vous comme Dominqiue Blanc chercher à en savoir un maximum sur les oeuvres, les personnages?