Le fou du roi : Ou comment la folie peut-elle éclairer la raison ?
Au Moyen-Âge, les traités de bonne
gouvernance recommandent l’emploi d’un « fou » aux côtés du roi.
Shakespeare lui-même leur rend hommage : « C’est un métier aussi ardu
que l’état de sage, dit-il, car la folie dont il ne fait montre que
sagement est ingénieuse ». Qui sont ces fous du roi ? Et quel est leur
rôle ?
Rencontre avec Gilles Lecuppre, historien médiéviste.
Quand apparaissent les premiers fous du roi ?
Dès le XIème siècle, on trouve des « fous à gage » dans
les cours féodales. Il s’agit de monstres, de fous pathologiques ou de
comédiens qui simulent la folie pour couvrir leurs pitreries.
Peu à peu, des fous « professionnels » s’installent de façon fixe, en
Angleterre notamment. En France, c’est en 1316, qu’est créé le premier
office de bouffon. Geoffroy, le fol de Philippe V, devient en quelque
sorte le premier fou fonctionnaire !
Comment expliquer cet emploi de fous professionnels ?
L’arrivée des « fous du roi » correspond à l’émergence
de ce qu’on appelle communément « l’Etat moderne ». Mais ne voyez pas là
un paradoxe. En réalité, plus le pouvoir royal s’accroît, plus son
exercice devient « technique ». Au premier abord, le fou répond à un
besoin de divertissement personnel du roi.
Qu’est-ce qui caractérise le « fou du roi » au Moyen-Âge ?
Le fou est le spécialiste des mots. Son répertoire est
large, des devinettes aux histoires en passant par les chansons et
autres sarcasmes. Et sa liberté d’expression est immense : ne peut-on
pas tout dire sous le déguisement du fou ?
Il se distingue également par son accoutrement, et notamment sa
« marotte » : un simulacre de sceptre surmonté d’une tête de roi hilare
couverte de grelots. Le fou est donc littéralement le double du roi. Il
est d’ailleurs aux côtés du monarque en permanence, en privé comme en
public.
Sa mission première reste la drôlerie : il se moque du roi, voire de ses
visiteurs. Mais il est bien plus qu’un simple amuseur. Alter ego du
roi, il lui rappelle en permanence ce qu’il est (un homme) et ce qu’il
ne doit pas devenir (un tyran). Tous les traités de gouvernance du
Moyen-Âge (les « Miroirs des Princes ») insistent sur ce rôle : par son
extravagance, le fou met le pouvoir en perspective. Il est un garde-fou,
en somme !
Le fou intervient-il dans les décisions royales ?
Indirectement, oui. Il faut savoir qu’au Moyen-Âge, le
roi ne gouverne pas seul. Il est entouré en permanence d’un réseau de
conseillers - des nobles, essentiellement, qui constituent une cour où
se conjuguent flagornerie et défense des intérêts individuels.
Dans ce cadre, le fou jouit d’une position privilégiée : sa folie,
réelle ou supposée, l’autorise à intégrer dans son discours les choses
qui déplaisent et que les autres courtisans ne peuvent se permettre de
dire. Sans atteindre le rôle de conseiller, il a le privilège tortueux
de remettre le roi à sa place. En un sens, on peut aussi considérer
qu’il représente une certaine opinion publique, même si tel n’est pas
son rôle. Il exerce donc bien une influence... même si elle reste
subliminale.
Le fou a donc au fond quelque chose d’un sage...
Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de véritables
fous. Au début peut-être, mais rapidement cette charge très prisée
(c’est un emploi à vie !) est dévolue à d’anciens savants, médecins ou
apothicaires qui se « reconvertissent » en poètes. C’est notamment le
cas du plus célèbre d’entre eux, Triboulet, bouffon de François Ier dont
Victor Hugo a fait le personnage central de sa pièce, « Le roi
s’amuse ».
Et quand disparaissent-ils ?
La dernière figure importante est celle de L’Angély, qui
officiait auprès de... Louis XIV !
Mais déjà à l’époque il n’a plus les attributs du fou et son discours
s’est lissé, penchant de plus en plus vers la satire bienséante et
fidèle.
Au fond, le fou du roi « se dissout » à mesure que toute la cour se
pique de faire de bons mots. Pas besoin de fou du roi à l’époque de
Voltaire ou Beaumarchais !
Aujourd’hui, plus personne ne joue donc ce rôle ?
Les fonctions de gouvernement sont devenues trop
sérieuses pour accepter des fous au sein même des palais. Même si la
satire, elle, se porte bien !
Cela dit... Prenez George Bush : lors d’une cérémonie officielle récente
à la Maison Blanche, il est apparu le mois dernier accompagné d’un
sosie. Toute la soirée, ce dernier s’est ri des travers du Président - y
compris de ses gaffes commises lors de déplacements à l’étranger.
On retrouve bien là l’idée du « double du roi » !